Marie-Claude Barrette: faire oeuvre utile avec Cultes religieux: Des enfants oubliés
DANS CULTES RELIGIEUX: DES ENFANTS OUBLIÉS, UN DOCUMENTAIRE DE DEUX ÉPISODES OFFERT SUR CLUB ILLICO ET RÉALISÉ PAR PATRICIA BEAULIEU, L’ANIMATRICE DE DEUX FILLES LE MATIN EXPOSE LE SORT DE CENTAINES D’ENFANTS AYANT GRANDI DANS DES GROUPES RELIGIEUX.
«Nous voulions savoir comment ça fonctionne, explique Marie-Claude Barrette au téléphone. Nous souhaitions dresser un portrait de la situation, parler aux intervenants et aux victimes. Comment et pourquoi laissons-nous vivre des enfants ainsi au nom de croyances spirituelles et religieuses? Par exemple, je n’aurais pas pu éviter l’école à mes enfants, mais dans certains cas, des gens le font, et nous n’intervenons pas... Ce projet m’intéressait grandement. Ce que je fais doit être porteur de sens, et ce documentaire-là éveille les consciences. Il dresse un portrait réel de ce qui se passe encore en 2021.»
Marie-Claude Barrette va ainsi à la rencontre de victimes qui, sous la contrainte des croyances spirituelles de leurs parents, sont restées marquées à jamais. «Nous avons, entre autres, rencontré des Témoins de Jéhovah qui en sont sortis. Nous avons recueilli le témoignage de Myriam Keyzer, qui ne veut pas nommer le lieu de culte de sa famille, car sa soeur et son frère sont toujours dans le groupe religieux. Elle était toute petite lorsque ses parents ont décidé de quitter la Belgique pour vivre dans ce milieu religieux. Elle a grandi dans cet univers et a subi ses premières agressions sexuelles vers l’âge de trois ans. On peut imaginer le drame de cette femme!»
Des témoignages qui risquent de toucher les gens, voire d’en choquer certains. «C’est très émouvant, confie Marie-Claude. Des victimes ont décidé de participer à ce documentaire pour aider les milliers d’enfants qui vivent le cauchemar qu’elles ont vécu dans leur jeunesse. Elles espéraient de l’aide... Maintenant, elles veulent donner un sens à leur geste d’abandonner leur communauté en aidant d’autres jeunes. Il faut comprendre que les gens qui quittent leur groupe laissent tout derrière eux. C’est comme s’ils étaient excommuniés. Et s’ils reviennent, ils doivent adhérer à nouveau aux croyances et redevenir une brebis... Ces personnes ont donc tout perdu et se sont retrouvées dans le néant!»
Ce documentaire veut susciter une réflexion sur l’imputabilité des adeptes de cultes. «J’ai interviewé beaucoup de spécialistes au cours de ma carrière, et c’est la première fois où ils étaient tous autant impliqué émotivement dans le dossier. Et ils ont tous senti une impuissance devant ces groupes qui se défendent en invoquant la Charte des droits et libertés. Ça m’a vraiment étonnée! Nous avons décidé d’être une société laïque; nous ne devrions donc jamais laisser ces enfants subir des sévices physiques et psychologiques au nom des croyances religieuses! Il faut aussi leur assurer une éducation au même titre que n’importe quel autre enfant! Ça ouvre les yeux sur beaucoup de choses; nous savons que ces groupes existent, mais nous ne savons pas tout...»
DES CONDITIONS DIFFICILES
Les tournages de Cultes religieux: Des enfants oubliés ont évidemment subi des contraintes en raison de la pandémie. «Nous n’avions pas les conditions optimales dès le départ, explique l’animatrice. Nous avons rencontré notre première interlocutrice, Myriam Keyzer, en pleine canicule dans une chambre du Manoir RouvilleCampbell, où l’air climatisé ne fonctionnait pas. Le sujet était aride; il y avait donc déjà quelque chose de lourd dans l’atmosphère. Le témoignage de cette femme était très troublant. C’est difficile de gratter un bobo en posant des questions pénibles... En temps normal, on prend le temps de manger avec nos invités, on peut les serrer dans nos bras... Là, il n’y avait rien de tout ça. Il a fallu que je m’adapte, parce que je trouvais ça dur de leur faire vivre ça sans contact physique. Nous avons quand même tenté de prendre soin d’eux dans la mesure du possible. Nous devions aussi voyager pour réaliser ce documentaire, mais la covid-19 a changé bien des choses.»
Avec ce documentaire, Marie-Claude Barrette retrouve Patricia Beaulieu, la réalisatrice d’Où es-tu?, une série dans laquelle l’animatrice s’entretenait avec des proches de personnes disparues sans laisser de traces. «Patricia et moi avions eu des entretiens difficiles avec Où es-tu?, mais cette fois-ci, à certains moments, nous étions vraiment ébranlées. Nous nous demandions comment ces gens-là arrivaient à survivre après tout ce qu’ils ont vécu...»
Marie-Claude ne craint pas les représailles des membres de ces communautés. «Je ne sais pas si j’aurai des réprimandes. Ils ne sont pas à l’aise avec notre démarche parce qu’ils sont convaincus qu’ils suivent la bonne voie. Mais peu
importe les réactions, j’ai accepté de réaliser ce projet pour les enfants, les piliers et l’avenir d’une société. Qui va prendre soin d’eux si nous ne le faisons pas?»
DE NOUVELLES ÉPREUVES
Les dernières mesures gouvernementales semblent ébranler l’animatrice. Comment Marie-Claude vit-elle le confinement? «Je trouve ça difficile. La première fois, c’était un peu inusité, et on croyait s’en tirer rapidement. Mais là, on attend le vaccin, et on est encore limités. Je respecte entièrement les mesures et je les comprends, mais le plus difficile, c’est qu’on est isolés alors qu’on a besoin des uns et des autres pour s’en sortir! C’est là qu’on se rend compte de l’importance des contacts, des regards, des sourires... Le second confinement est plus dur que le premier. Mes amis me manquent. J’oublie parfois de les appeler parce qu’on s’est construit une autre vie à la maison. Notre quotidien était beaucoup plus équilibré auparavant, entre la maison, le travail et les sorties. J’ai très hâte d’aller au resto, de voir le monde. J’ai hâte à un paquet d’affaires. Et je trouve ça très dur quand je vois des gens qui ne respectent pas les règles. Il ne faut pas juste se méfier du virus... Par exemple, je dis à mon père d’arrêter de sortir, parce que s’il tombe et se casse une hanche, les médecins seront-ils capables de le recevoir à l’hôpital et de lui donner des soins adéquats? Probablement pas, parce qu’ils sont débordés... Je suis en faveur du confinement, mais est-ce facile? La réponse est non.»
CINQ PROJETS
Malgré ces moments pénibles et déconcertants, Marie-Claude ne s’assoit pas sur ses lauriers. Et elle garde sa gaieté et son humour. «Je travaille à cinq projets. J’ai l’air de gérer une multinationale! (rires) Il y a les rencontres Zoom, Teams et FaceTime, les appels téléphoniques... Et je suis aussi proche aidante! C’est quelque chose d’être proche aidante en temps de pandémie; il y a tellement de restrictions! J’ai une pensée pour tous les autres proches aidants. Ce n’est pas facile.»
Parmi ses projets, on retrouve évidemment l’incontournable émission Deux filles le matin, qui célébrait d’ailleurs son 20e anniversaire en 2020. «Ce sont comme mes vieilles chaussures, mais elles sont loin d’être rangées! (rires) Sinon, j’écris un livre aux Éditions Libre Expression. Je dois le déposer dans quelques mois. Il porte sur mon regard sur la vie. Cet ouvrage me permet de m’exprimer. Je n’ai pas l’occasion de le faire en animant, parce que mon rôle à l’émission consiste à laisser les gens parler. Mais j’apprends tellement de choses grâce à ces rencontres et dans mon cheminement personnel que j’ai envie de les raconter. Je suis très féministe. Je parle du fait d’être capable de prendre sa place en tant que femme; il y a tellement de femmes qui n’osent pas le faire! Je me fais souvent demander de donner des conférences sur des sujets de ce genre, mais je n’ai jamais le temps de tout dire; un livre force à réfléchir, à structurer les idées.»
Il y a aussi une série documentaire sur laquelle elle ne peut pas encore dévoiler trop de détails. «Nous filmerons pendant presque 10 mois. C’est un gros mandat; nous suivons de près une situation particulière. Et j’ai aussi fait partie d’un groupe pour un projet d’écriture international avec des gens en compagnie de qui je n’aurais jamais cru travailler dans ma vie! Nous allons dévoiler le résultat sous peu. Alors avec Cultes religieux: Des enfants oubliés et Deux filles le matin en plus, j’ai beaucoup de tiroirs ouverts en même temps dans ma tête! (rires)»
«Nous ne devrions jamais laisser ces enfants subir des sévices physiques et psychologiques au nom des croyances religieuses!»