Échos vedettes

«J’APPRENDS À VIVRE POUR MOI»

– Francine Ruel

- SAMUEL PRADIER

FRANCINE RUEL A ÉTÉ BOULEVERSÉ­E APRÈS AVOIR VISIONNÉ LES PREMIERS ÉPISODES D’ANNA LA SÉRIE ADAPTÉE DE SON ROMAN

ET ÉCOUTÉ LES BALADOS DANS LESQUELS SON FILS RACONTE SON HISTOIRE. ELLE SOUHAITE MAINTENANT QUE LA SÉRIE AIT UNE INFLUENCE SUR LE REGARD QUE LES GENS PORTENT SUR LES SANS-ABRIS.

ET ARNAUD, ET L’ENFANT-VIEILLARD, ANNA

En écrivant son roman Anna et l’enfantviei­llard, directemen­t inspiré de sa propre vie, Francine Ruel n’imaginait pas forcément que cette histoire serait un jour mise en images. Pour elle, regarder les épisodes de la série était comme recevoir des images très claires de son passé, mais aussi de sa vie actuelle. «C’est comme si on touchait à quelque chose de palpable, de très vrai, avec la sensibilit­é et les silences que le scénariste François Archambaul­t a mis en images. On voit les personnage­s prendre le temps de réfléchir, prendre le temps de respirer, mais aussi de souffrir, ça reste une série nature, très réaliste. Quand j’ai écrit le roman, je voulais que mon fils sache à quel point il est un être formidable, car il ne le sait pas assez. Cette série, et j’espère juste qu’il va la voir un jour, c’est un cadeau de rédemption.»

La série suit le quotidien d’une mère inquiète et dévouée qui tente d’aider son fils, qui vit dans la rue. Contrairem­ent à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas un cas isolé. «Je ne savais pas, en écrivant le roman, que j’ouvrais une boîte de Pandore, a expliqué l’autrice. J’ai participé à beaucoup de salons du livre et j’ai été submergée par les témoignage­s de gens qui me parlaient de leur fils, de leur fille, de leur cousin, de leur petit voisin, d’un ami qui vit la même chose.» Elle s’est d’ailleurs remémoré les paroles d’un monsieur qui lui avait dit: «Vous êtes chanceuse, parce que vous avez les mots pour le dire.»

«À travers tout ça, j’aimerais que l’on comprenne que tous ces gens vivent des choses difficiles. Comme dans la série, j’ai menti sur la situation de mon fils. Personne ne se vante d’avoir un enfant dans la rue. On n’en parle pas.»

Elle espère également qu’avec la série, les gens comprendro­nt comment on tombe dans la rue, et surtout que ce n’est une partie de plaisir pour personne. «Il faudrait arrêter de penser que ce sont des pouilleux, des drogués ou des alcoolique­s. Ils ont des parents, des conjoints, et parfois même des enfants. Ce sont des humains dont la vie a, un jour, lâché et qui n’arrivent pas à s’en sortir. Jean-Marie Lapointe dit quelque chose de très juste: tomber dans la rue, ça se fait en un claquement de doigts. Sortir de la rue, c’est une autre paire de manches.»

ASSUMER LA SITUATION

Une scène est particuliè­rement difficile, mais révélatric­e, dans la série, c’est lorsqu’Anna va acheter un manteau à son fils. Le regard dédaigneux de la vendeuse a l’effet d’un poignard dans le coeur. «Moi, je n’ai pas honte. J’emmène mon fils au restaurant. Il m’a déjà demandé si j’avais honte de lui. Je lui ai répondu non, mais que j’avais hâte d’être fière de lui. Si je suis capable d’assumer le fait que j’ai écrit cette histoire-là, je suis capable d’assumer d’être avec lui.»

Francine révèle que lorsque l’accident de son fils est arrivé, elle jouait dans la série Scoop, mais personne n’a été mis au courant de sa situation. «C’était privé, c’était ma douleur. Ça m’a ensuite pris des années avant d’être capable de mettre des mots pour exprimer cette douleur, cette peine et ces événements qui brisent une vie.»

En marge de la série, Étienne, le fils de Francine, a enregistré une série de cinq balados (D’Arnaud à Étienne, disponible prochainem­ent sur qub.ca) dans lesquels il raconte sa vie, son parcours et son quotidien. «J’ai dit aux producteur­s que s’ils voulaient entendre parler de la rue, le mieux était de lui parler à lui. Dans le roman, j’ai écrit ce que mon fils m’avait raconté. Tout le reste, je ne le savais pas. Mon fils est allé dans des collèges privés, il a beaucoup voyagé. Il est poli, il s’exprime bien et surtout, il ne triche pas. Dans les balados, il parle, par exemple, de sa consommati­on, au complet. J’ai découvert des choses.»

GARDER LE LIEN

Il n’y a pas une semaine où Francine ne reçoit pas un message de quelqu’un lui demandant des conseils pour aider un proche qui vient de tomber dans la rue. «Il n’y a qu’une seule réponse: on ne peut pas aider quelqu’un qui n’est pas prêt à se faire aider. Je suis dans la même situation. Je dis souvent de donner de l’amour et surtout de garder le lien, c’est tout ce qu’on peut faire. Moi, j’ai une psy qui m’a sauvé la vie en me disant que mon fils était un adulte, que je devais lui redonner sa vie et sauver la mienne. Ça n’empêche pas de les aimer, d’avoir de la peine, et de trouver ça effrayant. Mais c’est la seule chose qu’on peut faire.»

L’autrice raconte que, dans la rue, tout est toujours à recommence­r. «Mon fils vient, par exemple, de perdre sa chambre parce que le propriétai­re a changé et que le nouveau a mis huit ex-sans-abris à la porte. C’est toujours la petite misère.»

REPRENDRE SA VIE

Francine est toujours en contact avec son fils, mais il est entrecoupé de périodes où elle n’a plus de nouvelles, exactement comme Anna dans la série. Et si elle habite à la campagne depuis plusieurs années, ce n’est pas anodin. «Je commence à être à l’aise pour venir à Montréal. La seule vraie crainte que j’ai, c’est si, un jour, je vois mon propre fils quêter entre les voitures. Je ne suis pas sûre de pouvoir passer à travers ça. Je ne sais pas si je serais capable de voir ça.»

«Ça m’a pris des années avant d’être capable de mettre des mots pour exprimer cette douleur, cette peine et ces événements qui brisent une vie.»

Dans l’optique de reprendre sa vie en main, Francine Ruel avoue timidement qu’elle va de mieux en mieux. «J’apprends à me soigner et à vivre pour moi. Dans le documentai­re Reconstrui­re le lien, j’ai eu un souhait, c’était de m’asseoir sur un banc avec mon fils. Ça fait longtemps que j’avais envie de ça, mais pas pour faire des reproches ou donner des conseils, juste pour l’écouter. Mais il n’est pas capable de parler de lui, de sa peine, et de pourquoi il est encore dans la rue. Je lui ai alors parlé de moi. Je lui ai dit que j’ai 74 ans et que je suis très fatiguée. Je lui ai demandé s’il me donnait la permission de lâcher prise, et il me l’a donnée. Je le fais un peu plus chaque jour. Je vais de mieux en mieux, et j’aimerais que lui aussi aille mieux, mais ce n’est pas de même que ça marche.»

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 ?? ?? Anna et Arnaud (Guylaine Tremblay et Nico Racicot), les doubles fictifs de Francine Ruel et de son fils, Étienne.
Anna et Arnaud (Guylaine Tremblay et Nico Racicot), les doubles fictifs de Francine Ruel et de son fils, Étienne.

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