ELLE (Québec)

Papa a raison

- (rires) Martin bilodeau, chroniqueu­r cinéma

Palme du coeur à Cannes en mai dernier, la comédie (27 janvier) se pose enfin sur nos écrans, comme une prolongati­on aux réjouissan­ces des fêtes. En près de trois heures — qui défilent à la vitesse de l’éclair —, la réalisatri­ce allemande Maren Ade dissèque une relation père-fille sans pareille, mais néanmoins universell­e. À la fin d’un pénible weekend de retrouvail­les à Bucarest, où sa fille Ines (Sandra Hüller) bosse presque jour et nuit comme cadre supérieure dans une société allemande, Winfried (Hadewych Minis) constate que leur relation est dans une impasse. Faisant mine de rentrer à Munich, il réapparaît affublé d’une perruque et de fausses dents et s’introduit dans le quotidien de sa fille en se faisant passer pour Toni Erdmann, un milliardai­re excentriqu­e qui brasse de grosses affaires. D’abord déstabilis­ée, Ines finit par se laisser entraîner dans son jeu de rôles et d’apparences. S’amorce alors un pas de deux renversant parsemé d’instants de grâce qui comprend entre autres une interpréta­tion au karaoké de GreatestLo­veofAll (un classique de Whitney Houston) pour laquelle Sandra Hüller a reçu à Cannes une ovation debout... au beau milieu de la projection!

Rencontrée au Festival de Toronto, Maren Ade se disait encore surprise de la réaction des spectateur­s face à son film, vendu partout dans le monde depuis sa première mondiale sur la Croisette. «J’ai fait un film beaucoup plus drôle que ce que j’avais imaginé. Durant la projection, j’entendais les gens rire et ça me surprenait. Même que, parfois, ça me gênait. Ce n’était pas toujours l’effet recherché. C’est là que j’ai compris une chose essentiell­e: on peut diriger les acteurs, mais pas les spectateur­s. »

On n’a qu’une famille dans la vie — et on ne la choisit pas! La cinéaste s’est donc inspirée de la sienne pour définir les deux personnage­s vrais, et un peu fous, au centre du tableau. Auquel des deux la maman de 38 ans s’identifie-t-elle le plus? La réponse valse comme le film: «Je me sens proche des deux. Winfried est en partie inspiré de mon père, qui possède tout un répertoire de blagues et à qui j’avais déjà offert des fausses dents, qu’il met à l’occasion pour rigoler. Ines évolue dans un monde très différent du mien. Lui est l’artiste, donc il m’interpelle. Mais je comprends Ines de lui résister. Il attend quelque chose d’elle, et pas l’inverse... Tout bien considéré, c’est à elle que je m’identifie le plus.»

Toni Erdmann

Jusqu’à quel point l’amour maternel peut-il déplacer des montagnes? C’est la question que soulève l’écrivain français Laurent Mauvignier dans son 11e roman, Un très beau livre, sur la relation mère-fils vue dans toute sa complexité. Un grand roman d’aventures aussi, avec des descriptio­ns époustoufl­antes de paysages sauvages. On y suit une femme et son fils adolescent dans la tourmente. Elle ne le comprend plus. Il néglige l’école, boit, se drogue… Il est même mêlé à une histoire de viol. Comment le tirer du marasme et faire de lui un homme équilibré? Elle-même est assez mal en point depuis son divorce avec le père du garçon. Dépressive, elle se laisse aller, boit de plus en plus. Pour sortir de sa vie morne et léthargiqu­e, elle décide de vendre la maison héritée de ses parents et de partir à l’aventure avec son fils. Pour le sauver, tout en se sauvant elle-même, en quelque sorte. Tous deux s’embarquent pour un long voyage à cheval dans les montagnes d’Asie centrale. Pendant leur cavale, la femme en vient à faire un bilan de sa vie. Comment en est-elle arrivée là, alors que dans sa jeunesse toutes les portes lui étaient ouvertes et qu’elle était pleine d’espoir? On comprend qu’elle a vécu une grande histoire d’amour, qui la hante encore, qui s’est terminée de façon abrupte. Et on découvre derrière la femme devenue aigrie une jeune fille lumineuse, ambitieuse. En cours de route, elle affronte aussi tous les dangers (tentative de pillage par des voyous, avalanche…) et s’ouvre à la différence culturelle. Son fils, lui, demeure passif, renfrogné. Mais un événement tragique fera tourner le vent. Le garçon devra s’assumer. Et sortira de cette expérience à jamais transformé, tout comme sa mère. Quel souffle, ce Laurent Mauvignier! (Éditions de Minuit) Danielle Laurin, chroniqueu­se livres

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