ELLE (Québec)

La tentation du recoupling.

DEPUIS LES TABLOÏDS HOLLYWOODI­ENS JUSQUE CHEZ NOUS, LES COUPLES SE FONT, SE DÉFONT ET, FAIT NOUVEAU, SE REFONT BEAUCOUP. ENQUÊTE SUR UNE TENDANCE AMOUREUSE EN PLEIN BOUM.

- texte DANIÈLE GERKENS adaptation EMMANUELLE MARTINEZ

Sur les écrans radars d’Hollywood, la nouvelle a eu l’effet d’une bombe. Début mars 2017, près de deux ans après leur séparation, Jennifer Garner et Ben Affleck officialis­aient leurs retrouvail­les en annulant une procédure de divorce. Dans la foulée, Ben Affleck rendait hommage sur son compte Facebook à «Jen, qui l’a soutenu et a pris soin des enfants» pendant qu’il combattait l’alcoolisme. Le couple s’est à nouveau défait depuis, comme c’est le cas de Coeur de pirate avec le tatoueur Alex Peyrat, dont on apprenait le remariage après une séparation médiatisée en 2016. Quant à Brad Pitt et Angelina Jolie, les rumeurs avancent qu’ils se reparlerai­ent... pour mieux se retrouver? Et chez nous, des duos, tels que Kim Lévesque-Lizotte et Éric Bruneau, ou Andrée Watters et Sylvain Cossette, ont décidé de laisser une seconde chance à leur histoire.

Si certains amants terribles comme les couples Frida Kahlo et Diego Rivera (deux mariages, un divorce, des tromperies incessante­s), Elizabeth Taylor et Richard Burton (deux mariages, deux divorces, des crises épiques et des rivières de diamants) ou encore Natalie Wood et Robert Wagner (deux mariages, un divorce) demeurent gravés dans les mémoires, il semblerait que le remariage entre ex-conjoints soit actuelleme­nt plus populaire que jamais. À rebours du conscious uncoupling (se séparer sans se haïr) popularisé par Gwyneth Paltrow et Chris Martin en 2014, va-t-on assister à une vague de recoupling, nom que les médias américains ont déjà donné au phénomène? Peut-on reformer un couple heureux et durable après s’être déchirés, à l’image de Jillian et Patrick Dempsey ou de Miley Cyrus et Liam Hemsworth?

Bien que non quantifiab­le, la «deuxième chance» fait incontesta­blement plus d’adeptes qu’autrefois. Tous les psychothér­apeutes l’assurent: tenter à nouveau l’aventure avec le même partenaire quelques années plus tard n’a rien d’une bizarrerie. Cette (relative) banalisati­on du recoupling serait d’ailleurs le résultat de plusieurs facteurs. «Tout d’abord parce que divorcer n’a plus rien d’exceptionn­el, explique Sylvie Angel*, psychiatre et thérapeute familiale. Reste que l’on se sépare souvent trop rapidement et, parfois, pour de mauvaises raisons. Entre l’érosion du désir, le travail, les enfants en bas âge et le quotidien, les partenaire­s ont très vite de multiples raisons d’être frustrés. Toutes ces contrainte­s font exploser les couples. Difficile de rester dans la parenthèse enchantée de l’amour quand on vous lance régulièrem­ent: “Descends la poubelle”, “ramasse tes chaussette­s”, ou “pense à payer les factures”!»

Les avocats le confirment. Selon eux, les reproches sont quasi toujours les mêmes: sacrifice non reconnu des femmes se sentant réduites au statut de mère ou de fée du logis et manque de désir ou de sexe pour les hommes. «La plainte la plus

fréquente dans les divorces est “je ne me sentais plus exister”, précise Robert Neuburger**, psychiatre et psychanaly­ste. Si, dans le passé, s’éloigner rimait le plus souvent avec fin de la relation, les couples d’aujourd’hui, enfants des divorcés d’hier, sont conscients des dégâts qu’entraîne cette décision. Ils sont plus réalistes, font des bilans réguliers qui, parfois, conduisent à une séparation, voire à une procédure de divorce. Mais cela ne signifie pas pour autant que c’est définitif.»

Au Québec, les procédures de séparation ellesmêmes sont devenues moins lourdes. «On incite les couples qui vivent une rupture à se séparer ou à divorcer à l’amiable, sans passer en cour, en offrant notamment aux familles avec enfants à charge cinq heures gratuites de médiation pour atténuer les conséquenc­es de la séparation, témoigne Sophie Bérubé, avocate médiatrice. Dans ma pratique, je vois autant de couples qui collaboren­t que de couples en conflit. Mon rôle est de les aider à simplifier leurs rapports. Les résultats sont positifs, surtout pour les enfants qui n’ont pas à subir le stress de leurs parents qui se disputent.» Quand le divorce vire à la thérapie familiale, version radicale...

Bien se séparer pour mieux se retrouver. C’est le cas de Caterina, 52 ans et trois enfants. Il y a 10 ans, son mari et elle se sont séparés. «Marc était saturé du train-train quotidien, explique-t-elle. Il m’accusait de n’être pas assez présente, de ne pas m’occuper de lui. Un an plus tard, nous avons divorcé, et les enfants ont grandi en garde partagée dans une ambiance apaisée. Nous avons continué à nous voir même si nous avons eu chacun d’autres relations, puis nous avons mis les compteurs à zéro en vidant notre sac. Il y a quelques années, nous avons même recommencé à nous “fréquenter” et, depuis deux ans, nous sommes officielle­ment ensemble.» Un cas étonnant? Non. Mais une nouvelle union avec l’ancien partenaire ne fonctionne que si l’on a dressé le bilan de ses erreurs, qu’on a soldé le premier couple. En effet, inventer une nouvelle équation amoureuse requiert un travail de chacun sur lui-même et sur le couple passé, seul ou avec l’aide d’un profession­nel. Comme le rappelle Sylvie Angel, «il y a deux victimes et deux bourreaux. Une troisième personne neutre peut aider à rétablir le dialogue, même si l’issue de chaque histoire d’amour est un mystère». Hélène, 45 ans, qui a interrompu une procédure de divorce trois mois avant le jugement, en sait quelque chose. «Paul a eu une liaison. J’ai voulu divorcer tout en sachant que c’était l’homme de ma vie. En parallèle de la procédure, on a parlé des nuits entières, on a entamé une psychothér­apie de couple... Je lui ai confié mon angoisse qu’il me quitte. Il m’a avoué être épuisé par mon surinvesti­ssement dans mon entreprise. Nous sommes sortis de cette crise plus mûrs, plus forts, plus adultes. Dorénavant, je n’idéalise plus Marc, tout en étant consciente de ses multiples qualités. Le seul hic, c’est que personne dans notre entourage n’a compris notre décision.»

Si la société est infiniment plus tolérante qu’autrefois vis-à-vis des divorces, la «re-vie commune» de couples séparés ou divorcés reste dérangeant­e... «La remise en couple est souvent incomprise, constate Sylvie Angel. Les proches prennent position, encouragen­t les plaintes, critiquent l’autre. Accepter plus tard que “le mauvais” devienne à nouveau “l’aimé”, c’est difficile, pour la famille et les amis comme pourles enfants.»

Réaffirmer au monde le choix de l’ex qui nous a tant fait souffrir ou qu’on a tant critiqué nécessite donc une vraie force. Un recoupling est-il alors une option pour tout le monde? À condition d’évoluer, peut-être. Les anciens couples qui se relancent dans l’aventure à deux se montrent d’ailleurs plus enclins à vivre un «nouveau mariage» qu’un «remariage», soit une relation basée sur de nouveaux paramètres plutôt qu’un retour à la dynamique préséparat­ion. «La meilleure solution est celle que le couple invente lui-même, explique Robert Neuburger. Toutes les configurat­ions sont possibles, mais elles impliquent de la lucidité, du dialogue et de la créativité.» Michel, 68 ans, et Jacqueline, 67 ans, ont renoué, tout en conservant chacun leur appartemen­t pour rester libres. Arthur, 40 ans, et Mélanie, 42 ans, vont mieux, ensemble sous le même toit et toujours mariés, depuis qu’une procédure de divorce (stoppée) leur a permis de mettre au clair leurs rapports financiers et de répartir l’ex-patrimoine commun. Tous ont passé un nouveau contrat et se félicitent de la même chose: avoir investi plus profondéme­nt leur «re-relation amoureuse». Une évidence pour laquelle milite Gerald Rogers, psychologu­e américain. Après un divorce difficile, il a publié sur Facebook un manifeste des conseils qu’il aurait aimé recevoir plus tôt. Parmi ceux-ci: ne jamais arrêter de se faire la cour, retomber amoureux encore et encore, ne pas essayer de changer l’autre, prendre ses responsabi­lités, laisser vivre son partenaire, faire (un peu) l’idiot, être présent, se donner de l’espace, être transparen­t, grandir ensemble, pardonner immédiatem­ent... L’histoire ne dit pas si Gerald Rogers et sa femme s’aiment à nouveau, mais ceux qui choisissen­t de mettre en pratique tous ces conseils ou une partie sont, manifestem­ent, de plus en plus nombreux. Après tout, accepter que notre partenaire ne soit pas infaillibl­e et faire le pari de l’aimer encore et toujours, n’est-ce pas la recette des couples au long cours?

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Robert Wagner et Nathalie Wood, circa 1957. Diego Rivera et Frida Kahlo, dans les années 1930.
 ??  ?? Elizabeth Taylor et Richard Burton, en 1965. Les très on and
off Ben Affleck et Jennifer Gardner.
Elizabeth Taylor et Richard Burton, en 1965. Les très on and off Ben Affleck et Jennifer Gardner.
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 ??  ?? Liam Hemsworth et Miley Cyrus.
Liam Hemsworth et Miley Cyrus.
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Éric Bruneau et Kim Lévesque-Lizotte.
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Andrée Watters et Sylvain Cossette.
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Jillian et Patrick Dempsey.

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