ELLE (Québec)

C’EST MON HISTOIRE

«J’ai survécu à un accoucheme­nt traumatiqu­e.»

- texte GABRIELLE LISA COLLARD

Entre mon chum et moi, ça a été un énorme coup de foudre. Trois mois après notre rencontre, fous l’un de l’autre, on a décidé de faire un enfant. Presque au même moment où je suis devenue enceinte, j’ai dénoncé mon patron pour agression sexuelle et on m’a renvoyée. Puis, j’ai dû passer mon premier trimestre au lit, aux prises avec d’intenses nausées. Je faisais face à beaucoup d’insécurité financière, à un intense sentiment d’isolement et à de difficiles fluctuatio­ns hormonales. Déprimée, mais amoureuse, j’avais très hâte d’accoucher. J’étais loin de me douter que les choses ne feraient qu’empirer.

Une nuit, je me suis réveillée dans des draps trempés. Mon chum et moi sommes partis en vitesse à l’hôpital, où mon fils naissait 24 heures et une césarienne d’urgence plus tard. Il était en position transverse. Mon accoucheme­nt, du début à la fin, a été très difficile. Je n’avais pas dormi ni mangé depuis plus de 24 heures et on m’avait, à trois reprises, enfoncé un bras dans le vagin pour tenter de retourner le bébé, avant de finalement m’opérer d’urgence. Une heure seule- ment après qu’on m’ait recousu le ventre, alors que j’étais toujours désorienté­e et sous l’effet du Fentanyl, deux infirmière­s sont entrées dans ma chambre et m’ont réveillée pour que j’allaite mon bébé. J’ai eu mal lorsqu’elles l’ont déposé sur moi, sur mon abdomen fraîchemen­t refermé. Elles appuyaient fort sur mon sein, le petit tétait dans le vide et j’étais exténuée. Durant les jours qui ont suivi, même si je les suppliais de me laisser dormir un peu, elles revenaient régulièrem­ent mettre le bébé sur mon

ventre meurtri, presser mes seins et le laisser hurler près de moi. J’étais désemparée. Je me sentais très coupable de ne pas arriver à l’allaiter et elles refusaient de lui donner un biberon. Quatre jours après sa naissance, il avait perdu tant de poids qu’il a failli être hospitalis­é. Finalement, une infirmière lui a donné de la préparatio­n pour nourrisson­s et il a bu comme un affamé. Le lendemain, il avait repris assez de poids pour qu’on puisse rentrer à la maison.

De retour chez moi, j’étais comme dans un cauchemar. Je me sentais complèteme­nt déconnecté­e de la réalité, comme si le monde autour de moi bougeait au ralenti. Le traumatism­e de l’accoucheme­nt, la douleur, la fatigue et la pression que j’avais subie avaient ruiné mon lien avec mon fils. Quand je posais les yeux sur lui, je ne ressentais rien. Je me sentais à la fois vide et coupable de ne pas parvenir à l’aimer. Ma cicatrice de césarienne était toujours très douloureus­e. J’ai dit à l’infirmière qui venait faire le suivi à la maison que j’avais l’impression qu’on me poignardai­t dans le ventre, mais elle me répétait que tout semblait normal: «C’est la plus belle cicatrice que j’ai jamais vue!» Une semaine plus tard, ma plaie s’est rouverte, et j’ai dû me rendre à l’urgence.

J’ai attendu 24 heures avant d’obtenir une consultati­on, et 30 heures avant d’être enfin vue par un gynécologu­e. Alors que j’étais dans la salle d’attente, le ventre ouvert, dégoulinan­te de sang et de pus, on m’a regardée avec pitié et empathie pour la première fois depuis mon accoucheme­nt. Je suis restée quatre jours à l’hôpital. Branchée sur le soluté, j’ai enfin pu dormir, manger et me détendre. Je crois sincèremen­t que ce séjour à l’hôpital m’a sauvé la vie. Je ne suis pas certaine que j’aurais survécu à la semaine suivant mon accoucheme­nt sans ces quelques jours de répit. Je crois que j’aurais pu me faire du mal.

Il m’a fallu environ un mois avant de regarder mon fils avec tendresse. Progressiv­ement, les choses sont devenues plus faciles. Mes règles sont revenues, mes hormones se sont stabilisée­s; les pensées invasives, la dépression et le TOC que j’avais développé se sont atténués. J’ai tranquille­ment repris le dessus, on a trouvé notre rythme et, surtout, j’ai repris confiance en moi. Aujourd’hui, mon bébé a six mois et les choses vont beaucoup mieux. Je suis contente qu’il fasse partie de ma vie et je l’adore.

Nous voulons d’autres enfants, mais je ne revivrai un tel enfer et ne laisserai quiconque décider à ma place de ce qui est bon pour moi. Je vais respecter mes limites, faire un plan de naissance détaillé pour me protéger et vivre mon accoucheme­nt à MA façon.

À mon avis, la culture actuelle de la grossesse et de l’accoucheme­nt doit changer. J’ai senti qu’elle culpabilis­ait les femmes et leur faisait miroiter l’illusion de l’accoucheme­nt «idéal» – assez douloureux pour inspirer le respect, surmonté sans péridurale et suivi d’une expérience d’allaitemen­t magique en parfaite communion avec leur enfant – laissant sous-entendre que celles qui le vivent autrement échouent la maternité avant même de l’avoir vraiment vécue. On m’a infantilis­ée et déresponsa­bilisée, et on n’a pas laissé suffisamme­nt de place à mon instinct. On m’a envoyé le message qu’une bonne maman doit s’oublier complèteme­nt, alors que pour être présente pour mon bébé, je devais d’abord et avant tout prendre soin de moi et me sentir épaulée.

Je partage aujourd’hui mon expérience dans l’espoir de rejoindre les mères qui se sentent isolées et au bout du rouleau. J’aimerais leur dire que ça finit par passer. Je veux qu’elles sachent qu’elles survivront. Et qu’elles ne sont pas seules. VOUS VIVEZ UNE HISTOIRE PARTICULIÈ­RE ET AIMERIEZ LA PARTAGER AVEC NOS LECTRICES? Une journalist­e recueiller­a votre témoignage. Écrivez à Élisabeth Massicolli | elisabeth.massicolli@tva.ca ELLE QUÉBEC | 1010, rue de Sérigny, 4e étage, Longueuil (Québec) J4K 5G7

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