ELLE (Québec)

ELLE RENCONTRE

- Texte MANON CHEVALIER | photos LEDA & ST.JACQUES | direction artistique ELSA RIGALDIES direction mode ANTHONY MITROPOULO­S | stylisme FLORENCE O. DURAND

Simplement Guylaine Tremblay.

AVEC SON TALENT À FLEUR DE PEAU, ELLE SEULE PEUT NOUS FAIRE PASSER DE L’OMBRE

À LA LUMIÈRE DANS LA MAGIE DE L’INSTANT. SON CARBURANT, C’EST L’ÉMOTION PURE. C’EST AUSSI LE LIEN PUISSANT QU’ELLE TISSE AVEC LE PUBLIC QUÉBÉCOIS QUI L’AIME D’AMOUR. ELLE NOUS PARLE DE LA VIE APRÈS UNITÉ 9, DE DÉSIR ET DU DERNIER TABOU DE NOTRE SOCIÉTÉ...

On a toutes été marquées par Guylaine. Normal: elle fait partie de la famille. Depuis 35 ans, on se passionne pour tout ce qui lui arrive au petit comme au grand écran, ainsi que sur scène. Si elle a su s’enraciner à ce point dans nos vies, c’est surtout en raison de sa rare humanité. Car la regarder jouer, c’est aussi apprendre à vivre. Apprendre à se libérer du poids du secret, à se mesurer à ses peurs et à assumer pleinement sa liberté. C’est ce qu’elle a illustré en incarnant si généreusem­ent Marie, l’ex-détenue d’Unité 9 sur les ondes d’ICI Radio-Canada Télé, qui a déplacé des montagnes pour mieux dompter ses démons. Une héroïne marquante à laquelle elle vient de faire ses adieux, sept ans après avoir franchi la porte de Liettevill­e. Dans un registre certes plus léger, la comédienne fait aussi oeuvre utile en faisant valser les préjugés entourant la cinquantai­ne dans la comédie En tout cas, où on souhaite la retrouver pour une troisième saison. À 58 ans, Guylaine Tremblay réunit ses deux plus grandes aspiration­s: celles de divertir et de faire évoluer les esprits. Au moment de notre rencontre, dans un café animé de son quartier, elle est comme on se l’imagine: longue chevelure détachée, yeux vifs et sourire aussi franc que son coeur. Autour d’elle flottent les effluves de rose, de vétiver et d’ambre du parfum qu’elle porte depuis 20 ans. «Je suis une fidèle», avoue d’emblée celle qui réussit le rare exploit d’être à la fois une icône et une femme comme vous et moi. Pas étonnant qu’on l’aime tant.

Guylaine, comment vous sentez-vous à l’heure des adieux à Unité 9? Je suis très émue! Ça a été un voyage merveilleu­x, une aventure humaine formidable durant laquelle j’ai trouvé des camarades qui me sont devenus très chers! Et au-delà de la fin d’une grande partie de ma vie profession­nelle, c’est un au revoir à une famille avec laquelle j’ai vécu de très grandes émotions!

Que vous reste-t-il de Marie Lamontagne, votre alter ego dans cette série signée Danielle Trottier? Je n’oublierai jamais son courage et sa résilience. Marie, elle va continuer d’avancer, malgré ses blessures. Pour elle, la vie est droit devant! Je suis contente que la série se soit terminée sur une note d’espoir. C’est ce que l’auteure voulait montrer: qu’on est toujours plus fort qu’on croit.

Selon vous, est-ce que l’émission a adouci notre regard sur les détenues? Tout à fait! Des statistiqu­es démontrent que ces femmes ont moins de mal à trouver du travail depuis la diffusion d’Unité 9! C’est un effet concret de l’apport social de la série. Et ça nous rappelle que chacun de nous, à sa modeste façon, peut changer les choses. C’est formidable!

À des années-lumière de Marie, vous campez une cinquanten­aire très exubérante dans la comédie En tout cas, où vous envoyez un signal à notre société obnubilée par la jeunesse... Complèteme­nt! Danielle, c’est une gourmande, qui a son opinion sur tout. Elle se fiche de son âge et du regard des autres. Elle est game: c’est ce que j’aime chez elle! Ce qu’elle dit au fond, c’est: «Vis ce que t’as à vivre!» Je trouve ça le fun de camper une femme de 50 ans imparfaite qui se donne toutes les permission­s!

Comme celle de tomber amoureuse d’un copain d’adolescenc­e? Oui! D’ailleurs, son coup de foudre pour Jean-François [Normand Brathwaite] redonne de l’espoir à tous les célibatair­es du Québec! (Rires) C’est la preuve qu’un coeur peut vibrer et qu’on peut désirer et être désirée à tout âge.

Et vous, qu’est-ce que le temps vous apporte? De la joie! On ne se mentira pas, le temps file et les rides s’installent. Mais je n’ai jamais eu autant de moments de grâce que depuis que je suis dans la cinquantai­ne. C’est une chance de pouvoir se dire «Je suis en paix», en faisant simplement la vaisselle... Cette plénitude-là n’aurait pas été possible à 30 ans.

Ça tient à quoi, selon vous? La trentaine, c’est l’âge où on a beaucoup de décisions à prendre, trop d’affaires à résoudre. Et puis, on aime ça les émotions fortes, ça nous donne l’impression d’exister! Maintenant, je préfère le calme. Ça compense les pattes d’oie! (Rires)

Vous avez déjà confié sur le site de Julie Bélanger que puisque vous ne pouviez pas enfanter, votre «plus beau geste de désobéissa­nce, ça a été l’adoption». Qu’avez-vous découvert à travers cette grande aventure? Être soi-même avec ses propres valeurs, ça teinte nos relations. Je m’en aperçois avec mes deux filles adoptives [Juliane et Marie-Ange, nées à Taïwan]. Elles n’ont aucun lien biologique avec moi et pourtant, elles ont embrassé mes valeurs. Elles sont respectueu­ses, ouvertes à la différence et elles apprivoise­nt leurs peurs. Ça me rend fière!

Quel genre de mère êtes-vous? Une mère poule! Je fais tout ce que je peux pour que mes filles soient heureuses. J’essaie de les guider et de les laisser expériment­er les choses par elles-mêmes, même si c’est difficile parfois! Je suis très ouverte, on peut discuter de tout, mais je suis leur mère, pas leur amie. Car pour moi, la relation parent-enfant est la plus belle de toutes!

«La trentaine, c’est l’âge où on a beaucoup de décisions à prendre, trop d’affaires à résoudre... Maintenant, je préfère le calme.»

Robe en satin (Montagne); bague (personnel).

Robe en coton et jupe en cuir (Hugo Boss); bague (personnel); escarpins en suède (L’intervalle).

Juliane, votre aînée de 22 ans, a d’ailleurs suivi vos traces en se fiançant lors de vos célébratio­ns familiales du 1er janvier dernier... Je l’ai peut-être influencée sans le savoir! (Rires) Ce que je sais, c’est que je veux rester une éternelle fiancée. C’est joli, les fiançaille­s: c’est plus une promesse qu’une obligation... même après bientôt dix ans de vie à deux!

Comment avez-vous célébré vos propres fiançaille­s? On s’est retrouvés avec des membres de ma famille et quelques amis, dans un resto, le soir de mon anniversai­re. C’était un moment de grande intimité qu’on a préféré garder entre nous...

Vous avez rencontré votre amoureux à la fin de la quarantain­e. Est-ce arrivé comme une surprise dans votre vie? Totalement! À ce moment-là, j’étais au sommet dans Annie et ses hommes, et pourtant, je rentrais toute seule chez moi... Je me disais que ça allait être ça, ma vie. J’avais des enfants, des amis et un métier merveilleu­x, qu’est-ce que je pouvais bien vouloir de plus?

Vous vous étiez résignée au célibat, en quelque sorte? Oui. J’étais écoeurée par ma feuille de route amoureuse. Je trouvais l’amour compliqué. Je n’avais pas de temps pour ça. Je me trouvais des raisons, alors qu’au fond, j’étais plus blessée que je le croyais. Puis, j’ai rencontré mon chum [Christian Lebel, un capitaine à la Sûreté du Québec]. C’est un humain merveilleu­x. Il a adopté deux enfants asiatiques, lui aussi. On s’est compris sans avoir à s’expliquer. Un vrai cadeau de la vie! Pourtant, je me posais plein de questions au début...

Vous aviez peur de plonger? Quand on a vécu des échecs amoureux, on peut en venir à douter de son propre jugement. Puis je me suis rendue à l’évidence! Aujourd’hui, cette histoire d’amour est connectée à la femme que je suis. Je suis une «cougarette»! Christian a huit ans de moins que moi, et je m’en fous complèteme­nt. Être amoureuse à mon âge, ça rend aussi plaisant d’aller au Réno-Dépôt qu’à Venise!

Ou chez Maxi? (Éclats de rire) Oui! Quand Martin Matte m’a proposé de jouer dans la publicité du supermarch­é, j’ai tellement ri! Il en fallait de l’autodérisi­on [pour faire un clin d’oeil à sa mésaventur­e de porte-parole pour Vacances Sinorama, le voyagiste tombé en faillite]. Et moi, je n’en manque pas!

Il n’y a rien à votre épreuve! Vous avez même campé une kleptomane dans le délirant vidéoclip Magasin à 1 $, des rappeurs Seba et Horg. Vous étonnez-vous encore vous-même? Je trouve la vie infiniment plus surprenant­e que tout ce qu’on peut imaginer! Pourquoi la limiter à nos envies, alors qu’elle peut nous mener beaucoup plus loin et nous ouvrir des horizons plus vastes?

«Ce que je sais, c’est que je veux rester une éternelle fiancée. C’est joli, les fiançaille­s: c’est plus une promesse qu’une obligation... même après bientôt dix ans de vie à deux!»

C’est votre façon d’envisager votre métier? C’est sûr! Je travaille fort, sans être obsédée par l’idée de décrocher un rôle. Je n’ai jamais été volontaire. Après 35 ans de métier, oui, je pourrais approcher des réalisateu­rs. J’aime être désirée, il faut croire! (Rires)

Cette grande ouverture fait de vous la formidable animatrice du magazine social Banc public sur les ondes de Télé-Québec. En quoi la comédienne nourrit-elle l’interviewe­use? Le jeu aussi est un métier d’écoute, où il faut être présent pour l’autre. J’aime tout comprendre: j’en suis fatigante! Pour moi, un problème nommé est à moitié guéri. Les gens ont tellement besoin d’être entendus sans être jugés! Or, de nos jours, on confond préjugé et opinion. On réagit trop vite, sans prendre le temps de réfléchir. C’est le grand mal de notre époque!

Vous faites allusion aux réseaux sociaux? Entre autres, même si de mon côté, je ne les nourris pas tant que ça. Je n’y pense pas! Comme je dis souvent aux gens: vous avez déjà accès à la partie la plus intime de moi à travers mes rôles!

Vous qui avez tout joué, tout tenté, quel est le dernier tabou de notre société selon vous? La bonté! J’ai l’impression que dès qu’on dit qu’on est du côté de l’amour et de la bienveilla­nce, on trouve ça souvent niaiseux ou pas important. Quand c’est tout le contraire, à mon sens.

Quels mots d’écrivain vous inspirent le plus? C’est une phrase d’Albert Camus: «Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été.» [Une paraphrase de L’été, paru en 1954.] On en a tous un, même s’il vente et qu’il fait froid dans nos vies. J’ai eu la chance de découvrir le mien. Après, il faut le laisser briller et aider les autres à trouver le leur. Mon Dieu, on dirait que je suis une sainte. Ce n’est pas ça du tout! (Rires) Il y a tellement place à l’améliorati­on en tant qu’individu!

Votre tournée théâtrale comme vos continuité­s à la télé sont bouclées. Comment percevez-vous cette nouvelle liberté? Ça me stimule de ne pas savoir ce qui m’attend. Tout ce qui se termine permet à une autre ère de commencer. La vie est comme un corridor: si toutes les portes sont ouvertes, ça fait juste des courants d’air. Il faut en fermer quelques-unes pour avoir une direction.

Pourra-t-on renouer avec la Guylaine Tremblay des débuts dans des projets plus marginaux, par exemple? Alexis Martin [l’acteur et dramaturge qui lui avait notamment écrit un rôle jubilatoir­e dans Matroni et moi, sur scène et au cinéma] et moi, on a un projet théâtral en tête. Et il y a d’autres plans dans l’air, encore secrets. Qui sait? Je franchirai peut-être la soixantain­e dans une pièce délirante, qui m’allume! ●

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(Stella McCartney chez Holt Renfrew); escarpins en suède (L’intervalle); bracelet en laiton plaqué argent sterling (Jenny Bird), bague (personnel).
Robe en crêpe (Stella McCartney chez Holt Renfrew); escarpins en suède (L’intervalle); bracelet en laiton plaqué argent sterling (Jenny Bird), bague (personnel).
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