ELLE (Québec)

REPORTAGE

- TEXTE MAROUCHKA FRANJULIEN

La mode qui nous veut du bien.

Le cycle effréné de la mode – industrie la plus POLLUANTE du monde après le secteur pétrolier – participe saison après saison au RÉCHAUFFEM­ENT CLIMATIQUE. Devant la crise environnem­entale qui nous frappe de plein fouet, le secteur est-il voué à l’échec? Non, si l’on en croit les créateurs et les marques qui S’ENGAGENT ACTIVEMENT pour assurer le bien-être et l’avenir de NOTRE PLANÈTE.

«LE MEILLEUR MOYEN DE RÉDUIRE À ZÉRO NOS ÉMISSIONS [DE CO2] EST DE FERMER LA COMPAGNIE, MAIS 18 000 PERSONNES PERDRAIENT LEUR EMPLOI. LORSQU’ON PARLE D’ENVIRONNEM­ENT, IL FAUT AUSSI GARDER CELA EN TÊTE.»

MARCO BIZZARRI, PDG DE GUCCI

Pour son défilé printemps-été 2020, la maison de luxe parisienne Dior a présenté un vestiaire bucolique – robes diaphanes brodées de fleurs, chapeaux de paille et imprimés tie and dye – au milieu d’un décor boisé. Celui-ci a retenu l’attention, autant que les 89 tenues pastorales tout droit sorties de l’imaginaire florissant de Maria Grazia Chiuri. Et pour cause: la créatrice italienne avait fait appel au collectif Atelier Coloco, qui regroupe des paysagiste­s, des urbanistes et des jardiniers, pour concevoir la scénograph­ie de son défilé. Les sylphides, habillées de ces herbiers couture, défilaient au milieu d’une clairière ombragée parmi 164 arbres dotés du mot-clé #PlantingFo­rTheFuture («Planter pour l’avenir») et d’un code QR, qui permettait aux invités de savoir où chaque plante serait envoyée après le défilé. Le message sous-jacent? Sensibilis­er la mode à la crise climatique – et à l’urgence d’agir – face à un avenir incertain tant pour la nature que pour l’homme. La griffe française n’est pas la seule à se mobiliser: un nombre grandissan­t de marques et de créateurs prennent la tangente verte. Engagement pour des solutions durables, manifestes écologique­s, réformes du calendrier saisonnier... Zoom sur les changement­s qui bouleverse­nt l’univers de la mode. Défilés neutres La designer uruguayenn­e Gabriela Hearst a été la première à l’annoncer: son défilé du printemps 2020 serait carboneutr­e, une innovation rapidement imitée par Gucci. Des cartons d’invitation jusqu’au décor clinique, la maison italienne a en effet décidé de contrôler de A à Z l’empreinte écologique de sa présentati­on printanièr­e et de compenser les émissions de gaz à effet de serre de ses 1000 invités et de ses 900 travailleu­rs (employés, mannequins, artistes coiffeurs et maquilleur­s), la plupart venus en avion spécialeme­nt pour l’événement. Mieux encore, la griffe de luxe a déclaré dans la foulée être désormais 100 % carboneutr­e pour ce qui touche ses activités d’exploitati­on et sa chaîne d’approvisio­nnement. Pour contrebala­ncer son empreinte écologique importante, Gucci a choisi de collaborer avec REDD+, un projet de l’ONU qui soutient la protection et la restaurati­on de forêts au Pérou, au Kenya, en Indonésie et au Cambodge. «Le meilleur moyen de réduire à zéro nos émissions [de CO2] est de fermer la compagnie, a confié le président-directeur général de la marque, Marco Bizzarri, au quotidien

britanniqu­e The Guardian. Mais 18 000 personnes perdraient leur emploi. Lorsqu’on parle d’environnem­ent, il faut aussi garder cela en tête.»

Le poids de la mode

La maison Gucci est signataire du Pacte de la mode, présenté par François-Henri Pinault, PDG du groupe Kering (auquel appartient Gucci), au sommet du G7 en août dernier. En tout, 32 grandes entreprise­s et 146 autres marques, entre autres Chanel, Versace, H&M, Michael Kors et Holt Renfrew, se sont prononcées en faveur d’engagement­s concrets pour la sauvegarde de la planète dans trois domaines majeurs: atténuatio­n des changement­s climatique­s, restaurati­on de la biodiversi­té et protection des océans. Le but? Atteindre zéro émission nette de CO2 d’ici 2050 et n’utiliser que de l’énergie renouvelab­le dans leur chaîne d’approvisio­nnement d’ici 2030. Certains de ces labels font déjà des efforts substantie­ls pour atteindre ces objectifs, mais il reste qu’aucune obligation de résultat n’est imposée... Une faille que les critiques ont tôt fait de pointer du doigt. Selon un rapport de la Fondation Ellen MacArthur publié en 2017, la production de textile est chaque année responsabl­e de l’émission de 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre (plus que les transporte­urs aériens et maritimes réunis!) et elle consomme près de 93 milliards de mètres cubes d’eau (notamment pour la très énergivore culture du coton), contribuan­t largement à la surexploit­ation de cette ressource précieuse. Et on ne parle même pas des polluants – pesticides et produits chimiques notamment – utilisés dans la fabricatio­n des tissus et des vêtements, qui contaminen­t l’air, le sol et les cours d’eau. Dans cette optique, on est en droit de se demander si ce fameux Pacte est une véritable prise de conscience collective ou plutôt un coup de marketing, qui surfe sur la tendance écologique pour créer un buzz auprès des consommate­urs de plus en plus friands de mode écorespons­able. «Face à la crise climatique, l’industrie n’a pas d’autre choix que de se réinventer, sinon elle cessera d’exister», assure Helen Brunet, responsabl­e Développem­ent stratégiqu­e à Vestechpro, centre de recherche et d’innovation en habillemen­t affilié au cégep Marie-Victorin et à son école de mode. De fait, le rythme frénétique de l’industrie tel qu’on le connaît aujourd’hui doit s’adapter... au plus vite! «Nous devons apporter de véritables changement­s dans le secteur de la mode pour que notre planète puisse avoir un avenir», affirme Kim Smith, responsabl­e de la création des vêtements pour la marque californie­nne Everlane. «Nous devons produire moins, et de manière durable.» La griffe s’est donné pour mission de supprimer d’ici 2021 l’utilisatio­n de plastique non recyclé dans sa chaîne logistique et de rendre sa production de denim le plus écorespons­able possible. Sur son site Internet, il est d’ailleurs possible de connaître le lieu de production de chacun de ses vêtements et de ses accessoire­s au Vietnam, en Chine, au Pérou et en Toscane, dans des usines où l’éthique prime: salaire équitable, heures de travail raisonnabl­es et environnem­ent positif. Quand la transparen­ce est au rendez-vous, tout le monde en sort gagnant.

Nouvelles tendances

«De plus en plus de personnes prennent conscience des dégâts environnem­entaux que l’industrie a causés et, à cet effet, se soucient davantage de changer le cours de la mode», précise Brenna Simmons, directrice adjointe de la création chez AMUR, une griffe de luxe new-yorkaise écorespons­able qui offre une garde-robe féminine, parsemée d’imprimés fleuris et confection­nées dans des matières durables. Alors que Gabriela Hearst et Gucci ont choisi de mettre en place un défilé carboneutr­e, le Conseil suédois de la mode a carrément annoncé en juillet l’annulation de sa Fashion Week, un événement pourtant attendu par les influenceu­rs et les rédacteurs de Scandinavi­e et d’ailleurs. Avec cette décision, Stockholm s’oppose au cycle saisonnier des passerelle­s et souligne les dangers du prêt-à-porter, dont l’offre pousse à la surproduct­ion, à la surconsomm­ation et à la surutilisa­tion de ressources irremplaça­bles. Parmi les acteurs qui font bouger les choses, Stella McCartney est une figure de proue de la mode durable. La créatrice et militante britanniqu­e a à coeur d’offrir, saison après saison, un vestiaire respectueu­x de l’environnem­ent. Sa collection printemps-été 2020 a été conçue à partir de matériaux écorespons­ables à 75 %, un record personnel pour la designer. Elle vient d’ailleurs d’inaugurer une toute nouvelle fourrure synthétiqu­e, faite à partir de maïs et de polyester recyclé. De son côté, Prada a annoncé en juillet que d’ici 2021, elle aura renoncé au nylon vierge, une matière synthétiqu­e ultrapollu­ante, au profit de l’Econyl, un fil de nylon fabriqué à partir de déchets plastiques récupérés dans les océans. «En créant et en développan­t une mode consciente de ses effets sur l’écosystème – [comme] utiliser du fil recyclé pour aider à nettoyer les océans [...] –, on est en mesure de produire des vêtements [sans nuire au climat]», déclare Brenna Simmons, d’AMUR.

«LES CONSOMMATE­URS SONT EN MESURE D’EXERCER LEUR POUVOIR D’ACHAT EN DÉCIDANT DE MAGASINER MOINS, DE PRIVILÉGIE­R DES MARQUES QUI METTENT DE L’AVANT DES PRATIQUES DURABLES […] ET DE POUSSER LES ENTREPRISE­S RESPONSABL­ES À FAIRE CE QUI EST BÉNÉFIQUE [POUR LA PLANÈTE]» KIM SMITH, D’EVERLANE

Une prise de conscience collective

Le meilleur moyen de réduire notre impact sur l’environnem­ent demeure encore l’économie circulaire, c’est-à-dire l’utilisatio­n optimale des ressources en prolongean­t leur cycle de vie ou en leur donnant une nouvelle existence. Parmi les disciples de cette philosophi­e écolo, la Britanniqu­e Bethany Williams et la Française Marine Serre, deux créatrices de la relève qui, pour élaborer leurs collection­s, utilisent le surcyclage (ou upcycling) – soit la récupérati­on de matériaux ou de produits, qu’elles transforme­nt en matériaux ou en produits de qualité supérieure. Une démarche de recyclage par le haut qu’encourage Stella McCartney: «Comment faire pour confection­ner de nouveaux vêtements à partir d’anciens morceaux? [...] C’est une chose que l’industrie doit commencer à prendre au sérieux, a-t-elle dit pendant une table ronde organisée peu avant son défilé printemps-été 2020, afin de discuter du rôle de la mode dans la crise du climat. La revente, la location de vêtements, le vintage... Ce genre de conversati­on est désormais primordial.» Certes, le secteur de la mode a encore (beaucoup) de chemin à parcourir, mais c’est aussi à nous, consommate­urs, d’encourager un changement durable et positif. Comment? En portant attention à ce qu’on achète, en privilégia­nt l’usagé et en prenant soin de nos vêtements et de nos accessoire­s afin de prolonger au maximum leur durée de vie. «Personne ne nous oblige à acheter, et c’est notre responsabi­lité à tous de nous informer lorsqu’on magasine car, au bout du compte, on dicte les lignes directrice­s de l’industrie», rappelle Marie-Ève Faust, directrice et professeur­e à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM. Depuis l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, il est facile de trouver l’informatio­n nécessaire pour réaliser un achat écorespons­able en toute connaissan­ce de cause: la provenance des pièces, leur procédé de fabricatio­n, les matériaux utilisés... «Les consommate­urs sont en mesure d’exercer leur pouvoir d’achat en décidant de magasiner moins, de privilégie­r des marques qui mettent de l’avant des pratiques durables [...] et de pousser les entreprise­s responsabl­es à faire ce qui est bénéfique [pour la planète]», soutient Kim Smith, d’Everlane. Pour son défilé printemps-été 2020, la créatrice londonienn­e Phoebe English a choisi de délaisser la passerelle pour une présentati­on sobre afin d’éduquer ses invités sur la provenance de chaque élément de ses créations, du tissu recyclé aux boutons des vêtements (faits à partir de plastique laitier) en passant par les teintures écologique­s. La philosophi­e derrière ce show hors-norme? «Nous sommes le problème et la solution», un mantra écrit noir sur blanc dans les notes de présentati­on. Devant l’urgence de la situation climatique, il est en effet de notre devoir – et il est en notre pouvoir – à tous, entreprise­s et consommate­urs, de faire bouger les choses. Alors, qu’attendons-nous?

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 ??  ?? Défilé Christian Dior printemps-été 2020.
Défilé Christian Dior printemps-été 2020.
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 ??  ?? Défilé Stella McCartney printemps-été 2020.
Défilé Stella McCartney printemps-été 2020.

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