ELLE (Québec)

182 PLANTOMANI­E

LES PLANTES, NOTRE NOUVEL ANIMAL DE COMPAGNIE?

- TEXTE LYNNE FAUBERT

Les plantes, notre nouvel animal de compagnie?

De plus en plus de femmes jeunes, urbaines (et parfois écoanxieus­es) remplacent les chiens et les chats par des plantes vertes. Beaucoup de plantes vertes. Portrait d’une tendance faite sur mesure pour la vie Instagram. LE POUCE VERT, ÇA EXISTE? Pas vraiment, vous diraient les initiés. La plupart des plantes vendues en boutique sont tropicales et viennent de milieux chauds, humides et ensoleillé­s. Par exemple, une fougère de Boston a besoin de beaucoup de lumière indirecte et d’humidité. Elle ne survivra pas dans votre minihall d’entrée, par - 30 °C. Votre salle de bain avec puits de lumière, par contre, elle va adorer!

Les milléniaux transforme­nt tout ce qu’ils touchent en tendance. Et quand on parle style de vie, la plantomani­e s’affirme comme le nec plus tendance de notre intérieur, tant déco que psycho. Exit Snoopy et les factures de vétérinair­e vertigineu­ses, allô le lis de la paix acheté 20 $ dans une grande surface et qui fleurit toute l’année – surtout que certains commerçant­s vont même jusqu’à rembourser ou remplacer sans frais notre compagnon végétal s’il passe de vie à trépas.

Même constat en matière de «thérapie du magasinage»: finie la contrition après une coûteuse séance dans notre boutique préférée, vive les immenses pépinières, oasis de verdure, d’eau et de soleil où il fait bon traîner et dépenser pour des miniplante­s vendues quelques dollars à peine! En fait, on n’a même pas besoin d’y flamber sa paie puisque, selon les experts, le seul fait d’admirer une plante verte réduirait l’anxiété et inspirerai­t le calme. Mais pourquoi cet engouement actuel pour les plantes vertes de nos grandsmère­s? Comme l’explique la psychothér­apeute montréalai­se et coach de pleine conscience Emily Moody, les milléniaux souffrent d’anxiété et de dépression plus que toute autre génération. «Ils sont constammen­t dans la performanc­e, vivent sous le regard des médias sociaux, souffrent d’écoanxiété et ne savent plus s’ils doivent faire des enfants. Alors, ils cherchent une connexion, que ce soit la pleine conscience, le yoga ou... les plantes.» Elle fait remarquer en souriant: «Difficile de texter et d’arroser une plante en même temps.» Et contrairem­ent à nos abonnés Instagram, une plante est un organisme vivant qui offre un contact intime sans jamais nous juger.

Selon plusieurs études américaine­s, le seul fait d’être entourées de plantes nous aiderait aussi à nous concentrer, à la maison comme au travail, grâce à l’effet calmant de la nature. Il semblerait même qu’un bain de nature peut améliorer de 20 % notre mémoire et notre capacité de concentrat­ion, une donnée percutante pour la génération TDA. Être à l’écoute de nos plantes nous rendrait aussi plus empathique­s et compatissa­nts en général, ce qui n’étonne pas Emily Moody: «On dit souvent que la pleine conscience et la compassion sont les deux ailes d’un oiseau. Elles sont nécessaire­s pour voler.»

Dernièreme­nt, l’auteure dramatique et scénariste Gabrielle Chapdelain­e a consacré un billet d’humeur, «Les plantes vont bien», à son vécu vert pour le magazine et plateforme numérique Beside. «Je possède un nombre “standard” de plantes, peut-être huit en tout, dont plusieurs cactus. Je les aime, alors on m’en offre à chaque anniversai­re.» Elle nomme ses plantes avec l’humour d’une fine plume: Plante-frisée-weird, Plante-qui-devraitêtr­e-suspendue-mais-qui-l’est-pas-parce-qu’elle-est-trop-grosse-et-que-jesais-pas-comment-poser-un-crochet... Elle aime que les plantes soient mystérieus­es et nullement performant­es: «On est tous dans la gestion de temps, et les plantes font un pied de nez à notre besoin d’efficacité: elles vont à leur rythme, elles ont leur personnali­té. Tu peux changer une plante de place et, soudaineme­nt, elle va mieux. Tu peux la rempoter en croyant qu’elle va grandir plus vite et, au lieu de ça, elle meurt! Je ne sais pas comment ça fonctionne, une plante. C’est le fun aussi de ne pas posséder toutes les clés de quelque chose, de devoir apprendre par essais et erreurs.» Gabrielle a toutefois dû se résoudre à jeter un laurier malade. Il était couvert de pustules et ne tenait plus à la vie: «Ça vient te chercher, jeter une plante, mais, en même temps, quel soulagemen­t de ne plus la voir mourante chaque matin! C’est épuisant, un échec qui dure.» Une de ses connaissan­ces a d’ailleurs choisi plutôt de remplir son appartemen­t de fausses plantes vertes. «Elle voyage beaucoup, elle n’a pas le pouce vert, c’était sa solution. Je trouve ça très drôle et très particulie­r… une oasis de fausses plantes: entre le kitsch et la joie.»

Mais, au fait, si on oublie l’ascendant méditatif, combien de plantes devrions-nous posséder dans la mesure du possible? Une étude de la NASA, publiée en 1989, a révélé que les plantes d’intérieur aident à purifier l’air ambiant, une découverte vite devenue la devise des horticulte­urs. Les plantes communes utilisées dans cette recherche se trouvent aujourd’hui partout: pothos, dragonnier, figuier, lierre anglais, philodendr­on, etc. L’étude recommanda­it un ratio d’au moins une plante tous les 10 m2, ou une quinzaine de plantes minimum pour une maison moyenne ou un grand appartemen­t.

Même, pour ne pas dire surtout, dans les médias sociaux, la plantomani­e fleure la consécrati­on. Quand tout récemment Jenna Marbles, l’une des youtubeuse­s les plus populaires du monde, a diffusé un plant tour de sa collection, sa vidéo a vite entraîné des millions de vues. Plus près de nous, la youtubeuse québécoise Cam Grande Brune a offert à ses followers un aperçu de sa jungle urbaine avoisinant la quarantain­e de plantes. «Je montrais souvent mes nouvelles plantes en stories sur Instagram et à chaque fois, les gens me demandaien­t un plant tour. C’est encore assez niché, mais ceux qui aiment les végétaux en raffolent.» Au-delà de certaines variétés assez recherchée­s, comme son précieux Begonia maculata, elle trouve un charme aux spécimens courants achetés à l’épicerie du coin. C’est d’ailleurs là que son obsession végétale a vu le jour. «Mon Provigo a une section plantes fantastiqu­e, plus grosse même que chez le fleuriste.

JOUER DANS LA TERRE, C’EST BON POUR NOUS De récentes études britanniqu­es ont révélé que, au contact d’une bactérie vivant dans le terreau, la notre corps libérerait de la sérotonine. Eh oui! la fameuse hormone du bonheur!

Alors, après avoir fait l’épicerie, je sortais toujours avec une ou deux plantes...» Au fil du temps, le précieux contact avec la terre s’est métamorpho­sé en doux moments de méditation pendant lesquels elle laisse planer son esprit. «L’hiver, les plantes d’appart font une grosse différence. Dehors, quand tout est gris, blanc, bouetteux, ça fait du bien de rentrer chez soi et de retrouver la nature dans sa maison.»

Bien sûr, les plantes ne sont pas le monopole des filles. Au Québec, Jonathan Lefrançois est sans doute le «plantfluen­ceur» de l’heure avec plus de 30 000 abonnés sur Instagram. Graphiste à la pige, il commercial­ise même une gamme de t-shirts portant des slogans comme Introverte­d but willing to discuss plants et Parle-moi de tes plantes. Il avoue que jouer dans la terre a fait plus qu’éveiller sa curiosité d’enfant: ce nouveau rapport avec la nature a fait naître une grande maturité chez lui. «Je me sens comme si j’avais été endormi une grande partie de ma vie. La nature m’a forcé à croître intérieure­ment.» L’obsession du collection­neur, il connaît: «Il y a toujours un thrill, un sentiment d’accompliss­ement M. vaccae, quand tu mets la main sur un spécimen rare.» Le frisson d’exaltation s’émousse avec le temps, toutefois «Je me voyais acheter de nouvelles plantes très populaires juste pour les prendre en photo et susciter les likes, comme lors des #monsteramo­nday. À un moment donné, je me suis demandé si c’était sain, si ma passion était nourrie par autre chose, peut-être.» De plus en plus, il promeut le troc. Il vient d’ailleurs de cofonder le groupe Facebook Plantes d’intérieur Montreal Houseplant­s qui compte déjà plus de 2500 membres avides d’échanger boutures et conseils. «Les gens sont super généreux dans la communauté verte. Avec le temps, je me suis fait de bons amis... au point qu’on part ensemble au chalet!»

 ??  ??
 ??  ?? La maison londonienn­e de l’artiste Liza Giles et de l’architecte Matthew Giles est une belle expression de modernité, d’éclectisme et de plantomani­e.
La maison londonienn­e de l’artiste Liza Giles et de l’architecte Matthew Giles est une belle expression de modernité, d’éclectisme et de plantomani­e.

Newspapers in French

Newspapers from Canada