ELLE (Québec)

ÉCOUTER SON INSTINCT

- PARTIR POUR RACONTER, MICHÈLE OUIMET, BORÉAL, EN LIBRAIRIE. CLAUDIA LAROCHELLE, CHRONIQUEU­SE LITTÉRAIRE

C’est certaineme­nt plus de la moitié des étudiants en journalism­e qui comptent parmi leurs idoles la grande Michèle Ouimet, reporter internatio­nale à La Presse durant 25 ans. Une profession par laquelle elle s’est distinguée et qui l’a menée du Rwanda à l’Arabie saoudite, en passant par l’Iran, le Pakistan, l’Afghanista­n, la Syrie, le Mali et l’Égypte. Les années ont passé, le journalism­e a changé, la couverture à l’étranger perd du terrain et elle, elle a pris sa retraite... Ses reportages nous manquent. Or voici un récit, Partir pour raconter, qui nous y replonge au fil de plus de 300 pages envoûtante­s. Michèle Ouimet a encore le feu sacré et, dans sa nouvelle vie qui ne l’ennuie pas un seul instant, il crépite d’une autre manière. «La retraite, c’est retrouver la maîtrise de son temps et ça, c’est fantastiqu­e. Quand tu as passé ta vie à tout faire en même temps et que tu peux maintenant te payer le luxe de faire une chose à la fois, ça n’a pas de prix», précise celle qui goûte à l’écriture de fiction, heureuse de n’avoir aucune limite de mots, sans la pression des deadlines . «Oui, j’avais un instinct, mais il était doublé de prudence, précise-t-elle. Je parlais beaucoup aux autres journalist­es sur le terrain, leur demandant si ça valait le coup, si c’était dangereux. Et puis, avec de bons fixers, c’est encore mieux. Je me suis trompée des fois, lourdement au Liban où j’ai été piégée. C’est aussi ça, la guerre. Tu ne peux pas prévoir. J’ai parfois pris de mauvaises décisions. Mais j’ai toujours réussi à m’en sortir. Et en ce moment, mon instinct me dit que c’est assez. J’ai aussi des fragilités physiques, je ne serais plus capable de porter des vestes pare-balles. J’ai beau nager chaque semaine, j’en ai eu du stress dans ma vie, et il n’y a plus tellement de place pour ça. J’ai quand même 65 ans.» Soixante-cinq ans, toujours la même sincérité, toujours la même ouverture généreuse. Ce récit est d’une franchise indéniable, et bien écrit, c’est sûr. Émouvant par moments. Michèle Ouimet revient même sur la fois où, dans la jeune vingtaine, elle s’est fait violer… Cet événement a-t-il été déterminan­t dans son choix de carrière, avec le sang-froid qui l’accompagne? «Freud s’amuserait à disséquer tout ça. Chose certaine, je ne voulais pas que cette peur me paralyse. Je ne suis pas sûre que je pourrais encore affronter pareille peur – la peur de mourir, au fond; la peur la plus forte. Mais je n’ai jamais eu peur de mourir sur le terrain, peut-être que ça m’a immunisée, que ça m’a permis d’être celle que je suis devenue.»

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