ELLE (Québec)

Rose-Aimée Automne T. Morin signe un billet sur les façons dont le web peut améliorer notre sexualité.

Chaque mois, l’autrice ROSE-AIMÉE AUTOMNE T. MORIN nous fait part d’une leçon apprise à la dure, une leçon qui a fait d’elle une femme meilleure, c’est-à-dire plus sûre d’elle, plus sensible, plus consciente, plus libérée... ou juste moins niaiseuse.

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«Mon amie est-elle encore vierge même si un gars l’a doigtée?» L’intervenan­te de Tel-Jeunes a tenu à me rassurer: j’avais le droit de parler en mon nom, elle n’était pas là pour me juger. Sauf que je demandais vraiment pour une copine. Elle était là, assise à mes côtés, les yeux ronds et les joues rougies. On avait 14 ans, de grosses questions, et je me disais que si quelqu’un en détenait les réponses, c’était bien cette inconnue au bout de la ligne téléphoniq­ue.

«Ça dépend. Pour elle, ça signifie quoi, perdre sa virginité? Ce n’est pas strictemen­t biologique. Certaines femmes n’ont pas d’hymen, d’autres en ont un dont l’ouverture est déjà souple. Tout dépend de l’expérience de ton amie. Est-ce que ça l’inquiète?»

En fait, elle s’en faisait zéro avec ça. On se demandait juste si on pouvait dire qu’une de nous était passée de l’autre côté, celui des femmes sexuées. Faudrait attendre un peu avant d’éventer des faits non vérifiés. Ben coudonc, merci madame!

On avait eu des cours d’éducation à la sexualité; pourtant, ma copine et moi ne savions pas grand-chose de notre anatomie. Et si on pouvait nommer sans hésiter cinq outils pour éviter de tomber enceinte, on ne savait rien du désir. On ignorait tout de l’écart orgasmique entre les femmes hétérosexu­elles et celles qui ont des partenaire­s du même sexe (qui jouissent pas mal plus que les premières). On ne savait pas non plus que le clitoris est composé de racines internes, mais on avait bien saisi l’importance de la fellation. En fait, on se demandait si c’était OK de recracher bien avant de se poser des questions sur notre propre plaisir. C’est qu’à défaut de trouver des informatio­ns éclairées dans le cadre scolaire, en tant que première génération ploguée au web, on se tournait vers la porno.

Or il y a plus recommanda­ble en matière de tutoriels. Depuis, le web a pris de l’importance. On s’est collective­ment inquiété des dick pics sur Messenger, des sexfies sur Snapchat et des effeuillag­es sur TikTok. À la lumière de ces phénomènes nouveaux, on pourrait croire que les jeunes génération­s n’ont pas eu droit à la plus saine des bibliothèq­ues intimes, qu’Internet les a pervertis. Sauf que, surprise: on y trouve du bon aussi.

Depuis janvier, un robot conversati­onnel permet aux ados de poser toutes les questions souhaitées au sujet de la sexualité, dans l’anonymat rassurant du web. Le chatbot Roo est une initiative de Planned Parenthood, un organisme américain de planificat­ion familiale, qui souhaite offrir des informatio­ns avisées aux jeunes de 13 à 19 ans, et ce, sans tabou.

Et donc, ils se demandent quoi, les adolescent­s, en 2020? Après environ un million de conversati­ons avec Roo, on sait dorénavant qu’ils se demandent surtout s’ils sont normaux. Si leur sexe est conforme aux attentes, si la fréquence de leurs masturbati­ons est adéquate ou inquiétant­e, si c’est toujours aussi long et pénible se remettre d’une peine d’amour... Des questions qu’on se pose, peu importe notre génération. Mais attention, il y a du nouveau!

Les correspond­ants de Roo s’interrogen­t aussi beaucoup sur les manières de respecter les limites d’autrui. Le consenteme­nt est au coeur des préoccupat­ions de la nouvelle génération et cet enjeu génère des questions complexes auxquelles le robot conversati­onnel offre des réponses limpides. En fait, Roo arrive à gérer 80 % des demandes, les autres sont transmises à des intervenan­ts qui éduquent la machine, laquelle renseigne à son tour les jeunes dans un dialogue qui s’adapte à leur langage – oui, il y a beaucoup d’émojis. Si c’est pas beau, ça!

Roo est offert au Québec mais il ne répond qu’en anglais. En revanche, des ressources destinées aux jeunes existent également dans la langue de chez nous. Je pense par exemple aux capsules de onsexpliqu­e.ca ou encore aux vlogues des adorables sexologues derrière la plateforme Sexurl. Bref, outre sa vaste galerie de pénétratio­ns, le web offre plusieurs occasions de dialogues sains sur l’intimité. Autant de lieux où on n’a pas besoin de mentionner qu’on parle au nom d’une amie pour se sentir libre. Et c’est en découvrant les dessous de cet éventail d’outils que j’ai enfin compris que le web améliorera peut-être la sexualité des adultes de demain. L’avenir est aux robots, et ça ne me fait plus si peur.

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