Portrait de la maquilleuse Jo Baker, qui s’est fait connaître pour ses looks ludiques et singuliers.
Cette année, la maquilleuse a boudé les traditionnelles JO BAKER mises en beauté qu’on voit habituellement défiler sur les tapis rouges au profit de looks à la fois LUDIQUES et singuliers. Portrait d’une artiste HAUTE EN COULEUR, pour qui l’ordinaire n’a rien d’attrayant.
Lorsque l’actrice anglaise Lucy Boynton, qu’on a adorée dans Bohemian Rhapsody, a foulé le tapis rouge des Golden Globes en janvier 2019, elle portait une magnifique robe dorée Celine… et avait formé sur ses paupières à l’aide d’un fard caramel métallisé des arches exagérées, qui rappelaient dans leur inspiration l’architecture des cathédrales gothiques. Son maquillage, qui détonnait parmi une vague de mises en beauté plus convenues, a tôt fait d’attirer l’attention, et la star a vite été consacrée beautista de l’année. Le génie derrière ce look – et de nombreux autres! – s’appelle Jo Baker. «Les réactions que ce maquillage a suscitées ont été incroyables. Et on n’avait rien planifié! On a tout imaginé le jour même», explique l’artiste britannique. On rencontre Jo Baker à la foire alimentaire derrière le Royal York Hotel, à Toronto, où elle sirote un Coca-Cola dans l’espoir de vaincre les effets du décalage horaire. C’est le premier vendredi du Festival international du film de Toronto, et elle est arrivée la veille, directement après le Festival du film de Venise. «Je reçois tellement de félicitations de la part des gens de l’industrie. Tout le monde me dit “Oh my God, Jo! Mais d’où te viennent ces idées? On a tellement hâte de découvrir les prochains maquillages que tu vas réaliser!”» De nombreuses célébrités qui n’étaient pas sur Instagram jusqu’à maintenant lui ont même confié qu’elles s’étaient créé un compte juste pour pouvoir suivre ses créations. Un exemple de son talent? Le feu d’artifice de strass argenté avec lequel elle a sublimé le regard de Lucy Boynton quelques jours plus tard, afin de sublimer les accents pailletés de sa robe Prada. Bien que les chemins de l’actrice et de la maquilleuse se soient croisés auparavant lors de séances photo sporadiques à L. A., ce n’est que cette année que Lucy Boynton est devenue une cliente régulière de Jo Baker. Avec les multiples apparitions publiques de l’actrice, le talent de la maquilleuse n’a pas tardé à être remarqué à l’international. Cette fructueuse collaboration est tout aussi avantageuse pour l’actrice, dont les looks passaient sous le radar jusqu’à tout récemment. Pour Jo Baker, 2019 restera à jamais l’année où un «nouveau chapitre hautement satisfaisant» s’est écrit dans sa carrière, puisqu’elle a enfin eu la liberté de réaliser les mises en beauté dont elle avait toujours rêvé. Il faut dire que, jusqu’à maintenant, sa créativité était souvent freinée lorsqu’elle travaillait avec des célébrités. «Dans la plupart des cas, j’arrivais avec une vision ultracool, mais on me demandait d’opter pour une version plus prudente, moins exaltée», raconte-t-elle. Le décès de son père en 2018 a aussi remis plusieurs choses en perspective. «Je me suis demandé: “Si je meurs dans deux ans, serai-je fière de ce que j’ai accompli?” La réponse a été non.» La chance de travailler avec quelqu’un d’avant-gardiste comme Lucy Boynton a permis à l’inventivité de Jo Baker de s’épanouir. «Lucy n’a peur de rien, ce qui me permet d’exécuter des looks incroyables, révèle la maquilleuse. Elle me fait totalement confiance et me laisse carte blanche: quand je lui présente une idée, elle embarque sans hésiter!» L’artiste-maquilleuse de 39 ans a grandi au coeur de Londres – ce à quoi elle attribue en grande partie son approche ludique et fantaisiste de la beauté – et a passé son enfance et son adolescence à feuilleter des magazines tels que i-D, The Face et Pop. Grande adepte de peinture et de dessin, elle n’a pas tardé à utiliser les visages comme toile: elle appliquait par exemple de
la colle à paillettes sur les lèvres de ses camarades de classe pendant les cours d’arts plastiques. Les quatre années au cours desquelles elle a travaillé au comptoir M·A·C d’un grand magasin Selfridges lui ont permis de perfectionner sa technique. «Je devais maquiller environ 120 personnes par jour, estimet-elle. C’était un feu roulant de nuances. Plusieurs préfèrent les tons neutres, mais j’ai toujours été fascinée par les possibilités infinies que les couleurs nous offrent.» Elle a ensuite brièvement bossé dans les coulisses des défilés de mode, avant de réaliser que ce n’était pas le milieu qui lui convenait. «J’exécutais la vision de quelqu’un d’autre.» L’occasion de déménager à L. A. est survenue il y a 15 ans, quand un de ses wamis photographes l’a engagée pour faire la mise en beauté d’Usher pendant une séance photo à Londres. Le chanteur a tellement apprécié le travail de Jo Baker («Il était captivé par ma méthode, parce que j’utilisais simultanément 12 cache-cernes, que je fondais les uns aux autres sur le dos de ma main avant de les appliquer sur son visage.») qu’il l’a mandatée pour qu’elle l’accompagne pendant les nombreuses conférences de presse qui ont suivi le lancement de son album Confessions. C’est d’ailleurs lui qui, dans la foulée, l’a parrainée pour son visa américain. Les années qui ont suivi, elle a continué à collaborer avec beaucoup d’artistes masculins, dont Eminem, jusqu’à ce qu’elle ait une révélation: «J’étais excellente, mais invisible. Je devais me contenter de faire en sorte que mes clients n’aient pas l’air de vivre un lendemain de veille. C’était ennuyant», confie la maquilleuse. Elle a donc décidé de recentrer son art autour de sa clientèle féminine, dont Sharon Stone et Emmy Rossum, et a commencé à se faire reconnaître comme la maquilleuse «sortant de l’ordinaire» à l’approche «cool et moderne». Jo Baker puise son inspiration partout. «Mes yeux sont grands ouverts en permanence», dit-elle, précisant qu’elle porte attention aux textures et aux couleurs qui l’entourent, et ce, en tous lieux. D’ailleurs, la pince d’un homard au coeur d’un plat de linguinis lui a récemment inspiré l’excentrique trait de ligneur rouge qu’elle a dessiné sur les paupières de Lucy Boynton avant de napper ses cils inférieurs de la même couleur. Pour l’artiste, prendre pour modèle des objets de tous les jours est une façon, en quelque sorte, de les honorer. «C’est un peu comme si je disais aux gens: “Peut-on s’arrêter un moment et célébrer ce qui nous entoure?”» Au final, on obtient des maquillages certes moins léchés, mais les looks sont inattendus et bien plus intéressants. Et c’est exactement le résultat escompté. «Je préfère que mes clientes aient l’air cool plutôt que glamour. Mon but n’est pas qu’elles soient ravissantes ou sexy. Tant mieux si elles le sont, mais ce n’est pas l’essence de mon travail.» Lorsque l’artiste publie ses oeuvres sur son compte Instagram (@missjobaker), elle les accompagne d’un collage qui présente ses inspirations, allant des ailes d’un oiseau exotique à une rôtie brûlée. «J’essaie de montrer ce qui se passe dans ma tête afin qu’on saisisse la démarche inhérente à chaque maquillage que je crée», précise-t-elle. Elle veut aussi élever le discours relatif à cette industrie et faire en sorte qu’il ne soit pas seulement le véhicule du placement de produit. «C’est important de montrer à mes abonnés que le maquillage, ce n’est pas que des personnes qui disent: “Ce fard à joues est incroyable” ou “Babe, tu dois ab-solu-ment te procurer cet illuminateur, il a changé ma vie”, dit-elle d’un ton un peu moqueur. Ça rend le tout futile, alors qu’il est possible de jaser de beauté avec intelligence.» Ressent-elle la pression d’épater la galerie, maintenant que ses fans attendent avec impatience ses prochaines créations? Jo Baker jure que non. «J’adore l’engouement que suscite mon travail, car je sens que je ne le fais plus seulement pour moi, maintenant. Les gens ont soif de voir quelque chose de neuf, ils veulent se sentir inspirés.» Le degré de viralité de certaines des mises en beauté qu’elle a réalisées cette année la conforte dans l’idée qu’elle a le pouvoir de créer un moment marquant, peu importe l’événement. Pas qu’aux Oscar ou au Met Gala. «Et ça, c’est vraiment excitant. Car en tant qu’artiste, je veux que le plus de gens possible entrent dans mon petit monde fantaisiste et comprennent ma vision!»