ELLE (Québec)

J’AI ENFIN COMPRIS QUE…

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Rose-Aimée Automne T. Morin raconte le moment où elle a compris qu’elle ignore si elle veut vraiment des enfants.

Un coup de poing direct dans l’utérus? Un tsunami émotif? Une illuminati­on qui donne la chienne? Je n’arrive pas encore à décrire précisémen­t l’effet que l’essai Sorcières – la puissance invaincue des femmes, de la journalise franco-suisse Mona Chollet, a eu sur moi. Chose certaine, il est grave.

J’ai toujours voulu des enfants. Beaucoup! Une équipe complète de hockey, dirait un certain candidat d’Occupation Double. Mes amies vous le confirmero­nt: je suis la plus maternelle de notre bande. J’adore les bambins! Je les trouve super bizarres; ils me fascinent. Ce sont souvent mes humains préférés dans une pièce, même s’ils sentent toujours un peu le fromage mouillé. Ils m’aiment aussi. J’ai 10 neveux et nièces; j’ai le tour, c’est certain. Je suis faite pour élever toute une marmaille; je l’ai toujours su.

Puis, il y a quelques mois, j’ai enfin lu cet essai qui fait tant jaser depuis sa parution, en octobre 2018. Il s’intéresse aux sorcières du 21e siècle, plus précisémen­t à la réappropri­ation de la figure historique­ment malmenée qu’entreprenn­ent aujourd’hui les féministes. Une bonne part du livre porte ainsi sur les femmes qui font le choix de dire non à la maternité... Selon Mona Chollet, celles qui tournent le dos au rôle qu’on leur demande d’embrasser incarnerai­ent les sorcières de notre époque. On s’en méfie, on se dit qu’elles le regrettero­nt, qu’elles ne savent pas ce qu’elles font. Pourtant, la journalist­e en fait l’éloquente démonstrat­ion: ces femmes ont longuement réfléchi et vivent généraleme­nt très bien avec leur décision. En fait, elles sont libres. Non pas que la maternité impose nécessaire­ment des chaînes, mais ces femmes ont simplement et consciemme­nt refusé d’obéir aux diktats de la société pour des raisons qui leur appartienn­ent et qu’il ne nous revient pas de juger.

Évidemment, une personne peut aussi délibéréme­nt choisir d’embrasser la maternité et s’y épanouir parfaiteme­nt! Ce qui est important ici, c’est la notion de choix éclairé.

Donc, moi, pourquoi ai-je toujours voulu des enfants? Me poser la question, c’était prendre conscience que je n’ai jamais décidé d’en vouloir. Cette tendresse que je leur porte, cette envie de soigner autrui, de vampiriser la douce folie de l’enfance, je les ai prises pour autant de preuves de mon désir de procréatio­n. Mais au fond, ces caractéris­tiques sont-elles vraiment synonymes d’une sincère volonté de devenir mère?

Non. Elles se conjuguent parfaiteme­nt avec mon rôle de tante, de marraine, d’amie. Rester sans enfant ne signifiera­it donc en rien faire une croix sur les joies d’en côtoyer, d’en aimer, d’offrir de mon savoir et d’en retirer le double.

En même temps, c’est facile de tout confondre: la maternité est un rôle qu’on nous demande d’apprivoise­r très tôt avec nos poupées. Il est de notre devoir, en naissant fille, d’intégrer la notion de care. En vieillissa­nt, on normalise la charge mentale pour éviter de tout «crisser» là et on finit par sourire aux blagues d’horloge biologique en essayant de ne pas trop penser à l’injustice du temps qui passe sur nos ovaires. Parce que, attention! On nous dit que si, nous, on ne veut pas d’enfant, notre corps, lui, en voudra toujours... On avale ça, on y croit, on se construit autour des idées d’autrui, et si on ne prend pas le temps de s’y arrêter, on fonce sans trop y penser dans le rêve de la famille même pas dysfonctio­nnelle.

Les mots de Mona Chollet m’ont obligée à m’arrêter. À y penser, pour de vrai.

Pourquoi ai-je toujours voulu des enfants? Ça m’a pris un moment pour l’accepter, mais la réponse, c’est que je ne sais pas si j’en veux vraiment. Et l’écrire comme ça, c’est une façon de me rendre doucement, peut-être, vers la terrifiant­e idée que je n’en veux pas.

Depuis des mois, j’examine chacune des injonction­s auxquelles j’ai souscrit en tant que personne dotée d’un nid au creux du ventre, et plus je les rejette, plus l’évidence apparaît: j’ai droit à un choix. Il me reste à le faire.

Quel vertige!

 ??  ?? Chaque mois, l’autrice ROSE-AIMÉE AUTOMNE T. MORIN nous fait part d’une leçon apprise à la dure, une leçon qui a fait d’elle une femme meilleure, c’est-à-dire plus sûre d’elle, plus sensible, plus consciente, plus libérée... ou juste moins niaiseuse.
Chaque mois, l’autrice ROSE-AIMÉE AUTOMNE T. MORIN nous fait part d’une leçon apprise à la dure, une leçon qui a fait d’elle une femme meilleure, c’est-à-dire plus sûre d’elle, plus sensible, plus consciente, plus libérée... ou juste moins niaiseuse.

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