ELLE (Québec)

LA LISTE

- Si le bonheur est une accumulati­on de choses qui rendent heureux, encore faut-il être capable de les remarquer quand elles passent. Pour s’aider, l’auteur MATHIEU CHARLEBOIS en fait la liste, dans l’ordre (ou pas).

Sur la liste infinie des choses qui font du bien: la musique qui aide à grandir.

Les musiques qui me font exploser le cerveau sont de plus en plus difficiles à trouver. C’est inévitable: ça vient avec l’âge, comme l’apnée du sommeil et l’envie de prendre un petit verre d’eau pétillante avec du citron. Je ne peux pas découvrir une seconde fois John Coltrane, Philippe B ou Belle and Sebastian. Je ne peux pas avoir une deuxième fois 18 ans, et manquer un après-midi de cégep pour écouter 10 fois d’affilée l’album Kid A en me disant chaque fois «BEN VOYONS DONC, QUOSSÉ ÇA?», majuscules incluses. Le rush de découvrir de la musique complèteme­nt nouvelle toutes les semaines est un deuil que je ne suis pas encore arrivé à faire. Ce que le passage du temps nous donne en contrepart­ie, comme pour s’excuser, c’est d’avoir des albums qui collent dans notre vie pendant 10 ans. Quinze ans. Vingt ans. Ce sont rarement les albums qui débarquent dans nos oreilles comme des tornades. Ceux-là, on a tendance à les écouter à répétition pendant quelques mois, avant de peser sur «pause» un jour et d’y revenir surtout pour se remémorer l’époque où on les écoutait sans arrêt. À l’inverse, je ne me souviens pas de la première fois où j’ai plongé le tympan dans le magnifique East of Eden, de Taken by Trees, la création solo de la Suédoise Victoria Bergsman, ou dans l’étourdissa­nte discograph­ie des rockeurs de Yo La Tengo. Je me suis simplement réveillé un jour en constatant que je les écoutais désormais au moins une fois par semaine depuis quelques années. Ils sont dans ma vie depuis plus longtemps que plusieurs de mes amis. Notre histoire d’amour est plus longue que ma plus longue relation. Ils étaient là quand j’avais besoin de pleurer ma vie. Ils vont être là quand je vais avoir besoin d’arrêter de pleurer ma vie. Arrive un moment où on ne sait plus si on connaît ces albums de fond en comble, ou si ce ne sont pas plutôt eux qui connaissen­t nos moindres recoins. Quand j’écoute la chanson Greyest Love of All, j’ai l’impression qu’une chanteuse suédoise que je ne connais pas me souhaite pour vrai, juste à moi, de trouver un peu de paix. Comment fait-elle pour savoir que j’en ai besoin? Elle sait, c’est tout. Ça fait plus de 10 ans qu’on se côtoie, elle et moi. En les écoutant aujourd’hui et en se rappelant comment on se sentait lorsqu’on les écoutait jadis, on constate ce qui a changé depuis. C’est parce qu’elle sert de repère, en plus d’être une amie, que je place «La musique qui vieillit avec nous» en 73e position de la liste infinie des choses qui font du bien.

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