Bienvenue au Girls Club, là où on s’entraide et s’élève.
Et si on faisait exploser le plafond de verre en s’entraidant?
Le monde des affaires, c’était autrefois une affaire de gars. Un club exclusif. VIP. Avec des codes. Des façons de fonctionner. Des principes que des dizaines de guides ont tenté de percer.
Prenons, par exemple, le best-seller Hardball for women – Winning at the game of business, de Pat Heim et Tammy Hugues. Ce livre paru en 1992, réédité deux fois depuis, nous dictait que, pour réussir «dans ce monde d’hommes», il fallait agir comme eux. Suivre leur modèle. Leurs règles. (Il y était aussi précisé que les garçons jouent aux cowboys et aux Indiens [sic], et les filles, à la poupée.) Aujourd’hui, ce texte de référence semble dater d’il y a 100 ans. Et pourtant.
«Les femmes ont toujours été déchirées entre le désir d’être silencieuses et fortes, réservées et intelligentes, remarque Debra Margles. Mais elles franchissent de plus en plus d’obstacles. Gravissent les échelons.» Présidente de Michael Kors Canada depuis 16 ans, elle voit les jeunes femmes secouer les structures. «Dans mon entreprise, elles sont nombreuses et elles ont des rêves. De grands.»
La confrérie au féminin, alors? «Je ne pense pas qu’on se soutienne encore autant que les hommes le font, dit-elle. Mais on va y arriver. Les temps changent.» Dans son temps, les filles étaient élevées différemment des garçons. «Mon père, lui, m’a élevée comme un homme. Il m’a dit de foncer. Il était très moderne.»
Aujourd’hui, conseiller à une fille de foncer n’est plus exceptionnel. Mais insiste-t-on assez sur l’importance de le faire en entraînant les autres à sa suite, en les élevant? La présidente de Michael Kors Canada rappelle que, lors du dernier concours Miss Univers, on a demandé à la Sud-Africaine couronnée, Zozibini Tunzi, quelle était la chose la plus importante à apprendre aux filles d’aujourd’hui. Sa réponse? Le leadership. «Il faut donner encore plus de pouvoir aux femmes.»
En mode positif
Et lorsqu’on l’a, ce pouvoir, Debra Margles croit qu’il faut l’utiliser pour faire briller ses consoeurs. «J’aime inspirer les autres autant qu’être inspirée. Surtout par des femmes talentueuses à l’énergie positive.»
Positive. Le mot est important. Car le mythe des filles jalouses qui se mettent des bâtons dans les roues est tenace. «Je déteste le potinage, la mesquinerie. Au bureau, je fais attention à être chaleureuse, attentionnée, dit Debra Margles. Sans oublier toutefois que je dirige une entreprise! Je ne suis pas une bitch sans coeur, simplement une femme qui fait son boulot. On ne reprocherait jamais cela à un homme, non?»
Faudrait-il se lancer en affaires comme on se lance dans un sport de combat? Sans gants, avec du sang, et tant pis pour les blessés? Et si le secret résidait tout simplement dans l’entraide? Sans que tout soit nécessairement «dentelle et douceur»? «Trop souvent, on confond “se soutenir entre femmes” et “séances de yoga et kumbaya”», ironise la présidente. L’important, c’est de se pousser à se dépasser, à développer ses aptitudes. Parfois, tout ce dont on a besoin, c’est de se faire rassurer. Sur le choix d’une tenue comme sur une idée de projet.»
Debra Margles, qui évolue depuis plus de trois décennies dans le monde de la mode, n’est toutefois pas naïve. En affaires, ce n’est pas toujours licorne, arcen-ciel, et tout-le-monde-il-est-gentil. «J’ai 58 ans. On m’a souvent déçue. Mais en vieillissant, on apprend.» La plus grande leçon qu’elle a retenue? «Donner sans rien espérer en retour. Et par “donner”, je ne parle pas forcément d’argent. Ça peut être simplement un conseil.»
Et si à son tour elle devait offrir un conseil aux femmes, quel serait-il? «Savoir dire non. Et ne pas être aussi
dures envers elles-mêmes», répond la maman de deux enfants. «Prenez-moi, par exemple. Je ne suis pas parfaite. Je n’appelle pas assez ma mère. Je ne vois pas mes soeurs assez souvent. Je ne fais pas assez d’aérobique. Mais en tant que femmes, on doit cesser de se culpabiliser. Et, surtout, de se juger entre nous.»
Alors, on danse?
C’est également dans l’idée d’éliminer les jugements qu’on porte sur soi que Camille Rouleau a créé Ballet Hop! Avec cette «ligue de garage de ballet», comme elle l’appelle, elle a voulu inspirer les filles à se serrer les coudes et à secouer les codes. Le nom d’un de ses cours le dit d’ailleurs: «sans chichis». Ainsi, ses studios du Mile End, de Verdun et de Longueuil sont des lieux «où on ne porte pas d’uniforme, où la prof n’est pas une dame avec un chignon super serré qui crie après les danseuses, où on peut être poches en paix...»
L’entrepreneuse-danseuse de 29 ans est loin de la compétitivité sauvage qui entache trop souvent le ballet. Elle met de l’avant la force de l’amitié, de la compassion. Être en compétition et se battre contre d’autres femmes, en plus de se battre contre son propre corps? Non, surtout pas. «S’il faut lutter, c’est ensemble, croit Camille. Contre les stéréotypes, les idées reçues.»
A-t-elle eu à se battre elle-même durant sa carrière? «Si on m’a regardée bizarrement quand j’ai commencé, c’est bien plus en raison de mon âge et de ma face de bébé que de mon sexe. Peut-être qu’il a fallu que je me batte plus qu’un gars aurait eu à le faire... mais je ne le sais pas: je ne suis pas un homme.»
Et elle est entourée de filles. Pour remédier au «manque général de femmes dans des postes de pouvoir», Camille en a engagé six pour combler les postes de direction et de gestion de son entreprise. «Même les chiens au bureau sont des femelles!» dit-elle en rigolant. Les profs de Ballet Hop!, elles, sont des travailleuses autonomes. Dans les boutiques de ses succursales, elle propose des oeuvres d’artisanes québécoises: les maillots de danse fabriqués par Mlle.Petrouchka, les bijoux faits main d’AtelierCharlie. Une affaire de filles? De famille aussi. Sa maman, Monique, s’occupe de sa comptabilité, et sa soeur, Laurence, est propriétaire du Café des Impertinentes, associé à Ballet Hop! dans le Mile End.
Ce qui fait le charme de son girls club? Son inclusivité. Dans les vitrines de ses studios, on peut lire qu’elle souhaite la bienvenue à toutes les femmes: «les musclées, les vieilles, les carrées, les rondes...» Précision ici: les portes ne sont pas fermées aux mecs. Seulement, les communications de l’entreprise se font au féminin. L’inverse se fait bien, n’est-ce pas? Les effets sont sociologiquement éloquents: Camille Rouleau reçoit fréquemment des courriels de gars qui demandent s’ils sont admis. «Ça me choque un peu. Si c’était un gym et si tout le site était rédigé au masculin, je peux vous garantir qu’aucune femme n’appellerait pour demander si elle peut y aller. Mais quand les gars voient un peu de rose, quelques textes accordés au féminin, bingo!, ils ne savent plus s’ils sont inclus.»
Une autre chose qui la chicote? «Que les entreprises de services plus “typiquement féminines” soient souvent dévalorisées. Perçues comme moins glamour. Les écoles de danse, les salons d’esthétique... Certains considèrent ça comme des jobs de fifilles, alors que c’est tout aussi valable que de la conception de logiciels ou de la technologie.»
Pas qu’une entreprise de femmes
Une idée que partage Erica Perrot, qui a fondé il y a 15 ans la craquante entreprise de jouets raplapla. Selon elle, les femmes entrepreneures sont respectées. Ce sont les types d’entreprises qu’elles tendent à fonder qui le sont moins. À titre d’exemple, cette chef d’entreprise, qui a appris à coudre grâce à ses grandsmamans en Suisse, remarque que cet art complexe est aussi ardu que dévalorisé. La raison, selon elle? «La couture est un métier essentiellement féminin.» D’où l’importance de ne pas baisser les bras devant certaines injustices. Comme devant ce fournisseur qui a refusé de lui ouvrir un compte parce que «cette petite business tenue par une femme n’avait pas de valeur à ses yeux».
À ses yeux de patronne d’entreprise, il est primordial d’offrir de bonnes conditions aux travailleuses, des salaires justes. Et, en complément, de petites attentions: un massage sur chaise, des fleurs. Une atmosphère agréable. «Une des forces qu’on a, entre femmes, c’est de se parler, de s’appuyer.» Et de bien s’entourer. Elle l’a fait avec sa grande fille Lili, 20 ans, qui
travaille à ses côtés, et sa fidèle collaboratrice, Dominique Dansereau, qui est responsable de «l’hôpital pour personnes en tissu» de raplapla. Un service de réparation de poupées et de toutous maganés par trop de câlins et de bisous. À 42 ans, Erica se nourrit de la force de son équipe. Féminine de surcroît. «C’est souvent notre rôle d’être réconfortantes, d’être des présences apaisantes pour les enfants. C’est ce que je veux transmettre avec mes jouets. Cela dit, j’ai déjà eu un employé masculin à la boutique. C’était une autre dynamique, mais c’était super aussi.»
Âmes soeurs de travail
«Que ce soit au féminin, au masculin, tous genres – ou pas de genres – confondus, l’entrepreneuriat, c’est un défi en soi!» lance à ce propos Loïse Desjardins Petrone, 29 ans. À ses côtés, sa collaboratrice, Chloé Migneault-Lecavalier, 33 ans, renchérit:
«Réussir dans ce domaine, c’est une fierté.» Et tout une: il y a cinq ans à peine, le duo lançait la chocolaterie Lecavalier Petrone dans un mini-espace, à Boucherville. Deux déménagements plus tard, la chef chocolatière-pâtissière, Chloé, et la directrice artistique, pro de la communication, Loïse, se sont installées dans un magnifique local de 1600 pi2, à Pointe-Saint-Charles. Un quartier qu’elles ont vu s’embourgeoiser. C’est ici que leur coeur intervient. S’aider entre entrepreneures, d’accord. Mais il est tout aussi important pour elles de s’impliquer dans leur communauté.
C’est pourquoi elles font souvent le don de leurs sublimes sucreries à Madame prend congé, un organisme qui les redonne à «des femmes dans le besoin qui ne reçoivent pas beaucoup de douceur».
Car Chloé et Loïse aiment donner au suivant. Récemment, ce sont des emplois qu’elles ont offerts à deux jeunes chocolatières, Katherine Dion et Julie Marcil Masse. La première n’avait pas d’expérience, mais elle avait la motivation. La seconde faisait preuve d’un dévouement immense. «Dans notre parcours, on a croisé des gens qui ont reconnu notre passion et notre persévérance. Qui nous ont offert une chance, même si on n’avait pas le meilleur CV qui soit, raconte Loïse. On a voulu suivre cet exemple.»