ELLE (Québec)

LA FOIS OÙ…

Des personnali­tés féminines inspirante­s se racontent sans tabou pour nous. Voici la fois où l’animatrice et chroniqueu­se culturelle EUGÉNIE LÉPINE-BLONDEAU a choisi d’utiliser son pouvoir à bon escient.

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Eugénie Lépine-Blondeau a compris son pouvoir.

J’AI LONGTEMPS PENSÉ QUE je deviendrai­s chanteuse d’opéra. J’avais une passion pour les airs italiens, un penchant prononcé pour la dramaturgi­e (lire ici: le drama) et un véritable amour de la scène.

Mais une fois mon baccalauré­at entamé, j’ai été convaincue que je n’avais pas ce qu’il fallait pour faire carrière en chant classique. J’ai cru me rendre utile à la société (!?), et j’ai fait une maîtrise en science politique, laissant ma voix derrière moi. J’ai cru, pendant un moment, que je me destinais à un métier à vocation sociale ou politique.

Alors, quand on m’a proposé d’être chroniqueu­se culturelle à Radio-Canada pour la nouvelle équipe du matin, j’ai été très surprise et j’ai d’abord refusé, persuadée que je ne rentrais pas dans le moule habituel des chroniqueu­ses culturelle­s de la radio publique. Autant j’estimais que c’était un immense privilège d’avoir cette tribune, autant je pensais ne pas avoir le profil recherché.

Mais j’étais curieuse. Je suis donc allée consulter une longue lignée de femmes magiques qui avaient occupé ce fauteuil matinal de chroniqueu­se (et une bonne psy!). Elles m’ont encouragée à relever le défi et à y mettre ma couleur. J’ai finalement accepté le poste, la peur au ventre, prête à essayer de devenir «critique» culturelle.

Ces femmes, j’ai humblement pensé que je pouvais les imiter. J’ai étudié le vocabulair­e qu’elles utilisaien­t quand elles examinaien­t un film du point de vue de la réalisatio­n, quand elles jugeaient une pièce de théâtre sous l’aspect des techniques de jeu des comédiens ou qu’elles analysaien­t les arrangemen­ts de tel ou tel album.

J’ai très longtemps cru, que pour être une bonne chroniqueu­se culturelle, il fallait traiter des oeuvres selon des critères techniques et spécifique­s. J’ai aussi cru qu’en acceptant, j’allais toujours me mesurer à l’aune du travail qu’elles avaient accompli.

Peu de temps après avoir obtenu le poste, j’ai croisé mon amie Régine, et elle m’a dit: «Réalises-tu le pouvoir que tu as?» Non... je n’avais pas pensé à ça.

J’avais pensé à la responsabi­lité et aux attentes élevées. J’avais pensé, sans prétention, aux conséquenc­es des critiques parfois mitigées ou malheureus­es.

Mais le pouvoir dont Régine me parlait était tout autre. C’était celui de proposer un regard différent sur la culture et de choisir les voix à amplifier.

Par cette simple question, Régine m’a permis de comprendre que le micro que j’utilise tous les matins doit non seulement être tendu vers ceux et celles qui n’en ont pas, mais qu’il doit aussi servir, parfois, à soumettre l’art et la culture au regard et au caractère de la société dans laquelle ils s’inscrivent. Ce qui veut dire qu’il peut parfois servir à souligner le manque de répliques données par des femmes dans un blockbuste­r ou à se poser des questions sur l’importante représenta­tion policière dans une série télé... Et que ça peut être fait entre deux ou trois critiques d’albums de musique classique ou néodisco. (C’est une question de dosage.)

Certaines personnes jugent que ce genre de critique n’est pas valable en culture, et on m’a trop souvent reproché, comme chroniqueu­se culturelle, de faire du militantis­me sous le couvert d’une chronique.

Je me suis beaucoup remise en question à la suite de ces commentair­es négatifs, étant sensible au ton parfois véhément employé sur les réseaux sociaux et étant avide de m’améliorer.

Mais je pense que si, finalement, ma voix ne sert pas à porter les airs de Puccini, elle doit au moins être en harmonie avec les préoccupat­ions de notre époque.

Si j’ai un quelconque pouvoir, comme me le disait Régine, je crois que c’est celui-là.

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