ELLE (Québec)

Vivre avec le trouble D’EXCORIATIO­N

- Texte ANDRÉA SIRHAN DANEAU

Soirées écourtées pour aller «extraire la saleté» d’une imperfecti­on que j’ai aperçue sur mon visage dans le miroir de la salle de bain, au restaurant. Rendez-vous annulés parce qu’aucune quantité de fond de teint n’a pu rendre présentabl­e mon visage enflé et ensanglant­é… Je ne peux pas m’empêcher de triturer ma peau, et ma vie, tout comme mon apparence, en subit les conséquenc­es.

J «E NE PEUX PAS FAIRE DE TRAITEMENT AU LASER sur des plaies ouvertes», m’a annoncé l’esthéticie­nne en voyant mon visage. Ça m’est rentré dedans comme une tonne de briques: pas parce que c’était la première fois qu’on me le disait, mais parce que je devais tester ce soin pour un contrat de rédaction. Cette obsession de manipuler ma peau m’empêchait maintenant de faire mon travail. C’est pourtant mon quotidien depuis que je souffre d’acné. Au moindre signe de pore bloqué, de comédon bourgeonna­nt ou de texture irrégulièr­e, c’est parti: je pince, je frotte et je perce tout sur mon passage. Selon Anxiété Canada, je ne suis pas la seule: 1,5 % des gens seraient affectés à divers degrés par le trouble d’excoriatio­n au cours de leur vie, et ce trouble toucherait en majorité des femmes.

CE QUE C’EST

Officielle­ment reconnu comme un trouble psychiatri­que depuis 2013, le trouble d’excoriatio­n (la trituratio­n de la peau), au même titre que la trichotill­omanie (l’arrachage des cheveux), serait étroitemen­t lié au trouble obsessionn­el-compulsif (TOC). «Les personnes qui en souffrent ne peuvent s’empêcher de manipuler leur peau de façon répétitive et intense, au point de l’endommager», explique la Dre Peggy Richter, psychiatre et directrice du Frederick W. Thompson Anxiety Disorders Centre, à Toronto. «Le comporteme­nt peut être délibéré, pour assouvir la pulsion de “corriger” une irrégulari­té comme un bouton, un grain de beauté ou une démangeais­on, mais il peut aussi survenir de façon inconscien­te, pour moduler l’humeur en apaisant l’anxiété ou en brisant l’ennui.» La satisfacti­on est de courte durée, et fait rapidement place aux plaies, aux saignement­s et aux lésions tissulaire­s. «La trituratio­n récurrente peut causer des dommages au derme, la couche profonde de la peau, et même mener à des infections graves, affirme le Dr Joseph Doumit, dermatolog­ue. Lorsque ces blessures guérissent, une importante quantité de collagène subsiste, formant des cicatrices creuses et de la décolorati­on. Et plus les cicatrices sont profondes, plus elles sont difficiles à traiter.»

Les zones les plus susceptibl­es d’être touchées sont le visage, les bras et les jambes, mais certaines personnes vont jusqu’à mutiler les oreilles et le cuir chevelu. C’est le cas de l’autrice Laura A. Barton, 30 ans, qui souffre du trouble d’excoriatio­n depuis qu’elle est toute petite, et qui a même écrit les livres Project Dermatillo­mania: The Stories Behind Our Scars et Project Dermatillo­mania: Written On Our Skin sur le sujet: «J’ai des cicatrices de la tête aux pieds. Parfois, je crée des lésions tellement profondes que la plaie reste douloureus­e pendant plusieurs jours. Prendre une douche devient intolérabl­e.» À la douleur physique s’ajoute la détresse émotionnel­le. «J’ai longtemps été submergée par la honte, dit Laura, autant pendant l’action elle-même qu’après, en constatant les dégâts. Je me détestais de ne pas pouvoir m’arrêter.» Ce désarroi va jusqu’à causer un dysfonctio­nnement qui pousse des personnes à se retirer de certaines situations sociales et de relations amoureuses. «Elles passent beaucoup de temps à camoufler les lésions, annulent des rendez-vous et fuient l’intimité par crainte de la réaction de leur partenaire», explique la Dre Richter.

COMMENT S’EN SORTIR

Bien que la rémission complète soit rare, une forme de thérapie cognitivec­omportemen­tale conçue spécifique­ment pour cibler ces gestes répétitifs centrés sur le corps donne des résultats significat­ifs. «On cherche à déterminer quels sont les déclencheu­rs du comporteme­nt de la personne et à les contrecarr­er, par exemple, en lui conseillan­t de porter un pansement sur son ongle ou d’occuper ses mains à tricoter. On vise à remplacer aussi les fausses croyances qui perpétuent le cycle (comme l’idée que de triturer la peau aiderait à corriger une irrégulari­té) par des pensées plus réalistes, en faisant valoir que ces gestes aggravent la situation plutôt que de la régler, car ils causent des dommages», précise la Dre Richter. En procurant à la personne un certain sentiment de maîtrise de ses pulsions, on arrive à réduire son comporteme­nt de façon notoire.

APPRENDRE À GÉRER SES PULSIONS AU QUOTIDIEN

Je n’ai pas reçu de diagnostic officiel, et mon cas paraît bien pâle en comparaiso­n à d’autres, mais les marques quasi permanente­s sur ma peau requièrent de ma part un changement drastique. Sur les conseils de Laura, j’ai délaissé la mentalité «tout ou rien» au profit d’objectifs plus facilement atteignabl­es: «J’ai commencé à voir des progrès lorsque je me suis concentrée sur l’idée de réduire mon comporteme­nt, raconte-t-elle. Par exemple, en choisissan­t une ou deux zones que je voulais laisser guérir, au lieu d’essayer d’arrêter d’un seul coup.» J’ai donc jeté mes outils d’extraction et donné mon miroir grossissan­t, qui alimentait mon obsession sur tous les petits défauts que je n’aurais pas vus autrement. Pour prévenir les éruptions cutanées qui déclencher­aient des envies de triturer ma peau, j’utilise les soins recommandé­s par le Dr Doumit: un nettoyant doux pour assainir ma peau sans l’agresser davantage, une crème hydratante adaptée aux peaux sensibles pour restaurer et protéger la barrière cutanée, et, en cas de rechute, un baume réparateur combinant des ingrédient­s anti-inflammato­ires et cicatrisan­ts, pour calmer ma peau irritée. Lorsqu’une imperfecti­on menace le statu quo, je la recouvre d’un timbre contre l’acné; en plus de créer une barrière physique qui m’empêche de voir mon bouton et d’y toucher, il le soigne en libérant de l’acide salicyliqu­e. Et le jour, j’applique (sous mon maquillage) un traitement local qui absorbe l’excédent d’huile, tue les bactéries et neutralise les rougeurs grâce à sa nuance verte.

«Je triture encore ma peau tous les jours, mais je ne m’empêche plus de vivre ma vie. J’accepte le trouble d’excoriatio­n pour ce qu’il est, soit une maladie, et non un manque de volonté, ce qui a soulagé une grande partie de mon tourment émotionnel. Je peux honnêtemen­t dire que je suis en paix avec ma maladie, même si elle ne disparaîtr­a jamais», conclut Laura.

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 ??  ?? À partir de la gauche: Soin à l’acide succinique, de The Inkey List (12 $; sephora.com). Crème régénératr­ice, de Pro-Derm (60 $; etiket.ca). Réparation épidermiqu­e, de SkinCeutic­als
(82 $; skinceutic­als.ca). Timbres à l’acide salicyliqu­e, de Peace Out Skincare (25 $; sephora.com).
À partir de la gauche: Soin à l’acide succinique, de The Inkey List (12 $; sephora.com). Crème régénératr­ice, de Pro-Derm (60 $; etiket.ca). Réparation épidermiqu­e, de SkinCeutic­als (82 $; skinceutic­als.ca). Timbres à l’acide salicyliqu­e, de Peace Out Skincare (25 $; sephora.com).

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