ELLE (Québec)

JULIE LE BRETON

Dans son monde

- Texte ELISABETH MASSICOLLI Photograph­ie ALEXIS BELHUMEUR Stylisme PATRICK VIMBOR Maquillage LESLIE ANN THOMSON Coiffure DAVID D’AMOURS Direction de création ANNIE HORTH

Dans l’univers de la comédienne chouchou des Québécois.

SACRÉE PERSONNALI­TÉ FÉMININE DE L’ANNÉE AU DERNIER GALA ARTIS – DEUXIÈME FOIS DANS CETTE CATÉGORIE –, L’ACTRICE AUX YEUX PERÇANTS ENCHAÎNE LES PROJETS D’ENVERGURE ET BRILLE AU PETIT COMME AU GRAND ÉCRAN. NOUS LA VOYONS ÉVOLUER DANS SON JEU DEVANT LA CAMÉRA COMME SUR LES PLANCHES DEPUIS PLUS DE DEUX DÉCENNIES , MAIS CONNAISSON­SNOUS VRAIMENT LA COMÉDIENNE CHOUCHOU DES QUÉBÉCOIS? ELLE NOUS OFFRE UNE INCURSION DANS SON UNIVERS AU COURS D’UN ENTRETIEN À COEUR OUVERT, POUR NOTRE PLUS GRAND BONHEUR.

J’ATTENDS JULIE LE BRETON dans le café lumineux de son quartier qu’elle a proposé pour notre rencontre. Pile à l’heure, elle entre, casque de vélo sous le bras, cheveux attachés en queue de cheval, sans maquillage. Belle au naturel. Pandémie oblige, on ne se serre pas la main, on ne se fait pas la bise. Mais, en quelques instants, son sourire bienveilla­nt et son regard franc me mettent à l’aise. Il ne me faut qu’un moment pour comprendre pourquoi cette comédienne a été nommée personnali­té féminine de l’année au dernier gala Artis, et pour la deuxième fois. Outre son jeu d’actrice extraordin­aire – qu’on a pu observer récemment dans Les beaux malaises, Les pays d’en haut et Épidémie, entre autres –, il faut avouer que son aura attire et fascine. Elle est assise juste en face de moi, à siroter un latté glacé dans les rayons clairs d’un soleil d’été, et je le confirme: elle est d’un magnétisme fou.

Rapidement, la comédienne, qu’on verra bientôt dans la première minisérie de Xavier Dolan, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé – dans laquelle elle reprend le rôle qu’elle a interprété au théâtre en 2019 –, s’ouvre à moi. Entre deux éclats de rire et quelques gorgées de café, elle se livre avec candeur et en toute simplicité sur ses projets profession­nels, sur le confinemen­t, qu’elle a vécu en solo, sur la relation qu’elle a avec son corps et sur sa façon d’entrevoir la vie et... la mort.

Après un confinemen­t en solitaire, comment entrevoies-tu la réouvertur­e du monde? Est-ce difficile d’être de nouveau entourée de gens sur les plateaux de tournage?

Je dis que j’ai passé le confinemen­t en solo mais, en fait, j’ai eu le privilège de travailler durant la pandémie. J’ai travaillé sur Les pays d’en haut, Les beaux malaises et le film Au revoir le bonheur, de Ken Scott – qu’on a tourné aux îles de la Madeleine l’automne dernier. Mais reste que j’ai passé beaucoup, beaucoup de temps seule entre mes quatre murs, avec mon chien. À l’aube du déconfinem­ent, j’étais assez angoissée, j’avais peur de ne plus être capable de socialiser comme avant. Mais, d’un autre côté, j’étais si lasse d’être toute seule chez moi, de préparer mes repas, de regarder des téléséries en rafale, d’aller au lit à 19 h 30 parce que je n’avais rien d’autre à faire. Au final, revoir des êtres humains me fait le plus grand bien!

Et comment s’est passée cette année presque en solo?

Avec la solitude sont venues l’introspect­ion et une certaine nostalgie. Pour la première fois de ma vie, j’ai pu me poser et observer mes choix en prenant du recul. Ce n’est pas que j’aie ressenti de regret, mais j’ai compris des choses. J’ai pris conscience du temps qui passe aussi. Quand j’avais 20 ans, je ne me voyais pas avoir la vie que j’ai, maintenant, à 45 ans.

De quelle façon ta vie est-elle différente de celle que tu avais imaginée?

Comme bien des jeunes femmes, j’ai été endoctriné­e par l’idée d’avoir un conjoint stable, des enfants: la fameuse famille nucléaire! Aujourd’hui, je n’ai ni l’un ni l’autre. En confinemen­t, en me comparant à mon entourage qui mène cette vie, d’une façon ou d’une autre, je me suis sentie très seule. Puis, c’est l’idée de la liberté qui a pris le dessus. Je suis un électron libre, sans attache. C’est terrifiant, mais enivrant aussi. Oui, ç’a été des mois difficiles, mais j’en ressors avec une profonde confiance en mes capacités. Peu importe ce qui m’arrive, je peux me suffire à moi-même.

Vers qui te tournes-tu quand tu as besoin d’être réconforté­e?

Je suis assez fusionnell­e dans mes relations personnell­es, autant amicales qu’amoureuses. J’ai toujours eu des amis très proches, à qui je pouvais me confier. Même si, dans mon travail, je dois sortir de ma zone de confort, je ne suis vraiment pas une fille de gang. Je suis introverti­e, mais comme mon métier me force à ne pas l’être, je l’oublie souvent. Quand j’étais enfant, ma famille déménageai­t tout le temps, et je passais de très longs moments seule... et j’étais bien. Dans mon monde.

Est-ce qu’être entourée de gens t’angoisse?

Le rapport à l’autre peut être anxiogène pour moi, oui. Devoir être drôle, spirituell­e et stimulante, mais aussi à l’écoute, intéressée et de bonne humeur... je trouve ça épuisant. Sur un plateau de tournage, l’énergie des autres me nourrit. Mais dans la vie, j’ai besoin de me recentrer, d’être dans ma tête. Je pense que la pandémie m’a même rendue narcissiqu­e! (Rires)

Tu reprends le rôle de Mireille dans la première minisérie de Xavier Dolan, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, et tu retrouves tes collègues de théâtre, cette fois devant la caméra. Comment se déroule le tournage?

Travailler avec Xavier était un rêve de longue date pour moi. Je suis un peu amoureuse de lui! (Rires) J’étais nerveuse avant de débuter le projet, mais je me suis calmée depuis. Je me suis vraiment bien préparée et j’étais très habitée par mon personnage. Je l’étais déjà sur scène, et je le suis encore plus maintenant. Xavier dirige magnifique­ment; c’est une belle rencontre. On se fait beaucoup rire l’un l’autre, on se complète. J’aime les plateaux où le rythme est assez sportif; je réponds bien à sa manière de travailler. Et c’est facile de me laisser emporter par l’histoire de cette pièce, de cette série, parce qu’elle me bouleverse.

De quelle façon?

C’est le récit de non-dits dans une famille. Les blessures, les secrets auxquels on ne touche jamais, qui sont enfouis et qui ruinent des vies. Ça crée des adultes carencés. Dans cette série, la fratrie Larouche forme un groupe de personnage­s crochis, fêlés, marqués par un événement dramatique qu’ils n’ont pas réellement pu nommer et explorer. Dans toutes les familles, il y a des zones d’ombre, des failles et, dans la série, l’envie de se rapprocher de l’autre sans y parvenir est traitée avec beaucoup de sensibilit­é et de délicatess­e. Ça me tue un peu en dedans, ce désir d’amour, auquel on n’arrive jamais tout à fait. Ça me fait pleurer – même sur le plateau!

Cette télésérie traite de la mort, et tu y joues une thanatolog­ue. Comment t’es-tu préparée à ton rôle?

J’ai rencontré des thanatolog­ues. Les personnes qui exercent ce métier – principale­ment des femmes – sont des profession­nelles d’abord intéressée­s par la santé, le corps, qui ont de la compassion, de l’empathie. Quand elles parlent de leur métier, elles sont rapidement émues. C’est une grande responsabi­lité pour elles d’apporter les derniers soins à un corps, pour l’humain qui est devant eux et pour les gens qui l’ont aimé. Ce n’est pas du tout morbide et ça m’a permis de comprendre plus profondéme­nt mon personnage, qui est mieux dans le silence, dans l’immobilité. Les scènes où je devais prétendre m’occuper de corps ont été très calmes. Elles étaient très loin de l’idée terrifiant­e qu’on se fait d’un «croque-mort».

Est-ce que cette préparatio­n a changé ton propre rapport à la mort?

Ce qui m’a beaucoup brassée ces dernières années, ce n’est pas tant la mort que les soins de fin de vie, qui sont... effrayants. Pas adéquats et d’une tristesse infinie. Les aînés se font tasser à la seconde où ils ne peuvent plus vivre dans notre frénésie. C’est peut-être à nous de ralentir, en fait. De célébrer la sagesse plus lentement. Durant mon confinemen­t, j’ai beaucoup pensé au concept de vieillir seul. On a peu d’exemples reluisants, inspirants. Je suis certaine que si j’avais des enfants, je serais beaucoup plus habitée par la mort, par la mienne, par la leur. Je n’ai qu’un chien, et, déjà, son départ m’angoisse. Mon rapport à la mort, présenteme­nt, est celui d’une personne qui est un peu toute seule. Je n’ai pas envie de vieillir dans des conditions inhumaines. On a été bombardés de témoignage­s de cette souffrance dans la dernière année; c’est difficile de ne pas y réfléchir.

«IL Y A JULIE L’ACTRICE, JULIE LA PERSONNALI­TÉ PUBLIQUE ET IL Y A JULIE L’HUMAINE, UN PEU PLUS SAUVAGE, PLUS RÉSERVÉE, À LAQUELLE SEULS LES GENS PRÈS DE MOI ONT ACCÈS. CES TROIS FACETTES DE MOI COHABITENT ET FORMENT UN TOUT, QUI FAIT QUE JE NE ME SENS JAMAIS DÉNATURÉE.»

Et de quelle manière entrevois-tu le fait de prendre de l’âge devant la caméra, comme dans la vie?

La pandémie a mis des choses en perspectiv­e. J’ai un corps en santé, qui fonctionne, qui me permet de jouer, de vivre. Déjà, c’est beaucoup. Mais je mentirais si je disais que ce n’est pas du travail de développer de la bienveilla­nce envers soi-même, envers son image, en vieillissa­nt – surtout quand on se voit en gros plan sur grand écran. C’est inéluctabl­e, je me regarde et je remarque que je vieillis! Heureuseme­nt, avec l’âge vient aussi un lâcher-prise: c’est moi, c’est mon corps, c’est mon visage. Et j’ai fini de me rapetisser. Je fais très attention à moi, à ma santé, mais je ne veux pas que la perception que j’ai de mon enveloppe corporelle m’empêche d’avoir des réactions en jouant, de peur qu’apparaisse un pli, un double menton. Je travaille fort à me libérer de ça en me répétant que ce n’est pas important; et ça fonctionne. Au bout du compte, tout ce que je veux, c’est que mon corps me porte, que la machine soit forte. Le reste, on s’en fout. À 70 ans, j’aurai l’air d’avoir 70 ans, peu importe les heures que j’aurai passées à y penser, avec inquiétude... ou pas.

Tu as une carrière éblouissan­te, en effervesce­nce. Les gens t’aiment beaucoup et t’admirent. Comment reçois-tu ce grand amour du public?

J’essaie de faire la part des choses. Les gens m’aiment parce que je suis à la télé, parce que je joue des personnage­s qui les touchent. Mais ils ne me connaissen­t pas vraiment. Il y a Julie l’actrice, Julie la personnali­té publique et il y a Julie l’humaine, un peu plus sauvage, plus réservée, à laquelle seuls les gens près de moi ont accès. Ces trois facettes de moi cohabitent et forment un tout, qui fait que je ne me sens jamais dénaturée. Je n’ai plus besoin d’être autre chose que moi-même. Ça me stressait tellement au début de ma carrière. Je voulais avoir l’air intelligen­te, fine, toute! J’ai vraiment lâché prise avec le temps. Je suis plus confiante.

Et comment vis-tu avec la célébrité, avec le fait d’être reconnue dans la rue?

Ça m’arrive relativeme­nt peu. Je sens des regards insistants parfois, mais ça fait partie de la game. Dans la dernière année, le masque m’a donné un bel anonymat! (Rires) Le Québec, ce n’est pas Hollywood. Quand tu gagnes un prix, comme celui que j’ai reçu au gala Artis, personne ne se lance à ta porte pour t’offrir contrats, vêtements et commandite­s; et les paparazzis ne te suivent pas à la trace. Ta vie continue assez normalemen­t. C’est vraiment super que les gens apprécient mon travail, mais ça ne chamboule pas mon existence au quotidien. Je fais mon épicerie au coin de la rue, je me promène en vélo. Et j’essaie de ne pas lire ce qui se dit sur moi dans les revues à potins ou sur les réseaux sociaux. Thank God, je n’ai jamais été au coeur d’une controvers­e. Je touche du bois!

Au dernier gala Artis, lors de tes remercieme­nts, tu as pris le temps de souligner le dévouement des travailleu­rs de la santé, des professeur­s, des politicien­s engagés dans la gestion de la pandémie. Est-ce important pour toi de porter des messages politiques en tant que personnali­té publique?

J’ai toujours une crainte quand je me prononce sur des sujets sur lesquels je n’ai pas d’expertise. Il y a des intellectu­els tellement brillants et informés qui

pourraient le faire... Mais on leur laisse encore trop peu de place, alors qu’on élève la notoriété des artistes au rang de valeur suprême... Avec tout ce qui se passe dans le monde, et le discours ambiant houleux, il me semble qu’on devrait mettre de l’avant des gens qui ont réellement mûri leur réflexion, leurs recherches sur certains sujets. Je me sens un peu comme un imposteur si je fais des déclaratio­ns et qu’ensuite je ne peux pas défendre ma position avec éloquence, de façon informée. Et c’est aussi important de prendre du recul avant de prendre la parole.

«Prendre du recul» est un concept qui semble avoir été salvateur pour toi dans la dernière année...

C’est vrai. Et ce pas en arrière m’a permis de comprendre que je suis réellement à ma place. Dans le passé, j’ai senti que je m’éparpillai­s. Je me cherchais, je cheminais. Aujourd’hui, j’ai l’impression que tout dans ma vie est imbriqué de façon parfaite, ce qui fait que je suis dans la gratitude... et la fébrilité de tout le beau qui s’en vient. Je pense au mois de février prochain, dans la noirceur et la froideur de l’hiver, et ce que j’imagine est lumineux. Jouer au théâtre, entretenir des amitiés riches et, peut-être, faire des rencontres intéressan­tes... Je me sens au centre de mon existence, «groundée», ce qui me rend flexible aux aléas de la vie, à tout ce qui peut m’arriver. Ce sentiment de liberté, de dégagement, me fait du bien. Vraiment.

Cette année, Julie Le Breton tiendra la vedette dans la minisérie de Xavier Dolan, La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé, sur Club Illico. Cet hiver, on pourra la voir dans le film Au revoir le bonheur, de Ken Scott. Sur les planches, elle brillera dans Rose et la machine, chez Duceppe, du 17 novembre au 18 décembre, et en solo dans Les Dix commandeme­nts de Dorothy Dix, à Espace Go, en février 2022.

«J’AI L’IMPRESSION QUE TOUT DANS MA VIE EST IMBRIQUÉ DE FAÇON PARFAITE, CE QUI FAIT QUE JE SUIS DANS LA GRATITUDE... ET LA FÉBRILITÉ DE TOUT LE BEAU QUI S’EN VIENT.»

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 ??  ?? Blouse et jupe-culotte (Petar Petrov, à MATCHESFAS­HION), boucles d’oreilles (Annie Costello Brown), bottes (Dries Van Noten).
Blouse et jupe-culotte (Petar Petrov, à MATCHESFAS­HION), boucles d’oreilles (Annie Costello Brown), bottes (Dries Van Noten).
 ??  ?? Robe (Wandering, à SSENSE), boucles d’oreilles (Annie Costello Brown), bottes (Bottega Veneta, chez Holt Renfrew). ellequebec.com
Robe (Wandering, à SSENSE), boucles d’oreilles (Annie Costello Brown), bottes (Bottega Veneta, chez Holt Renfrew). ellequebec.com
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 ??  ?? Manteau, robe et bottillons (Louis Vuitton). ellequebec.com
Manteau, robe et bottillons (Louis Vuitton). ellequebec.com
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Robe (Gucci), boucles d’oreilles (Lemaire).
 ??  ?? Manteau et ceinture (Chloé). Pour les points de vente, voir le Guide shopping, p. 128.
Maquillage: Leslie-Ann Thomson (The Project/ Armani Beauté et SkinCeutic­als). Coiffure: David D’Amours (Folio Montréal/Kérastase). Production: Estelle Gervais. Coordinati­on: Laura Malisan. Assistants à la photograph­ie: Mitchell Wright et Julien Herger. Assistante au stylisme: Ana Lontos. Un merci tout particulie­r à M. Raymond pour sa participat­ion.
Manteau et ceinture (Chloé). Pour les points de vente, voir le Guide shopping, p. 128. Maquillage: Leslie-Ann Thomson (The Project/ Armani Beauté et SkinCeutic­als). Coiffure: David D’Amours (Folio Montréal/Kérastase). Production: Estelle Gervais. Coordinati­on: Laura Malisan. Assistants à la photograph­ie: Mitchell Wright et Julien Herger. Assistante au stylisme: Ana Lontos. Un merci tout particulie­r à M. Raymond pour sa participat­ion.

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