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Dans le bel arrière-pays de Whistler, la prévision des avalanches, c’est du sérieux.

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WENDY BROOKBANK A LE DON DE VOUS FAIRE FAIRE DES trucs que votre tête ne veut même pas vous voir tenter. Je me tiens à ses côtés, à fixer une cuvette à pic au sommet du mont Whistler. « Tant que le coeur y est », lance la guide de ski d’Extremely Canadian, puis elle suggère : « Regarde toute cette poudreuse. » Mon côté aventureux décide que l’argument en vaut un autre. Nous nous glissons dans la Sun Bowl et sa poudreuse vierge. Bientôt, nous flottons sur de l’émotion pure.

Je suis venue à Whistler Blackcomb, plus grande station de ski d’Amérique du Nord, en évitant ses pistes damées afin de puiser à la splendeur sauvage de la Colombie-Britanniqu­e. On y offre du ski en zone balisée sur pentes abruptes, mais aussi l’occasion de

découvrir ce que les gens du coin savent déjà : que la région de Whistler se prête au ski de randonnée, souvent assez facile d’accès depuis les remontées.

Une journée avec Mme Brookbank, pionnière du ski libre et exskieuse de compétitio­n, est l’intro idéale. « On ne sait jamais quel genre de neige ou d’à-pics la nature nous réserve», dit-elle. Sur le mont Blackcomb, nous traversons vers Spanky’s Ladder, l’entrée d’une intimidant­e cuvette du versant arrière où nous devons enlever nos skis et marcher jusqu’au sommet. Mme Brookbank se place comme en compétitio­n, sourit et s’élance. Je la perds de vue (la pente aussi) dans le brouillard. Tout ce que je sais, c’est que je descends. Vite.

Dévalant la Garnet Bowl, au moins je n’ai pas à me soucier des avalanches : la station gère le plus grand programme de prévention d’avalanches d’Amérique du Nord. Celles-ci surviennen­t quand une couche de neige fraîche n’adhère pas à la surface et se met à glisser sur la pente, ou qu’une vieille couche du manteau neigeux se fragilise et se détache du sol. Elles sont un souci majeur à Whistler Blackcomb, qui reçoit, en moyenne, près de 12 m de neige par hiver.

Dirigée par Anton Horvath, prévisionn­iste d’avalanches depuis plus de 20 ans, l’équipe de prévention d’avalanches collabore avec les patrouille­s de ski et les dameurs pour estimer la stabilité de la neige et réduire les risques de glissement­s majeurs en en provoquant de petits après une tempête. M. Horvath me rejoint à la station météo de Pig Alley, à 1650 m d’altitude sur le mont Whistler. Il arrive en motoneige au moment où je détache mes skis.

Le poste de Pig Alley sert aussi de station d’enregistre­ment officielle à Environnem­ent Canada, à qui elle fournit des informatio­ns pour la météo régionale grand public. M. Horvath a beau suivre les bulletins météo et l’évolution des systèmes météo au centre opérationn­el de l’équipe près du sommet, la télémesure ne suffit pas pour des prévisions d’avalanches exactes. Il relève aussi la pression atmosphéri­que, l’humidité, la vitesse du vent et les accumulati­ons quotidienn­e et saisonnièr­e.

« Six centimètre­s depuis le dernier cycle de tempêtes, un depuis hier », marmonne-t-il. Il marche sur la neige pour évaluer sa résistance. « Quand il fait froid et sec, la neige est légère et pelucheuse. Mais ici, dans la chaîne Côtière, on a beaucoup d’humidité, ou une neige lourde, qui ajoute de la pression sur les fragiles couches du dessous », explique-t-il.

Le risque d’avalanche est faible le lendemain matin, même dans l’arrière-pays où m’accompagne Keith Reid. Guide de montagne diplômé, il travaille aussi avec Extremely Canadian et son domaine sort du filet de sécurité de l’équipe de prévention d’avalanches. Il consulte les prévisions afin de confirmer que le risque n’est que de 2 (sur un maximum de 5).

Nous enfilons les télésièges jusqu’au secteur Symphony, en zone alpine, mais avant que nous fixions les peaux sous nos skis et

que nous commencion­s l’ascension, Keith me met à l’épreuve. Il enfouit dans la neige son appareil de recherche de victime d’avalanche et me demande de le trouver en utilisant le mien en mode réception. Les bips augmentent à mesure que je m’approche en balayant la surface, jusqu’à ce que je trouve la « victime ».

Nous commençons à monter. Après une heure d’ascension, Keith s’arrête. « Cet endroit est fait pour le ski de randonnée, dit-il. Ce n’est pas qu’une question d’accès à des pentes intactes. J’aime traverser la montagne et sentir que je fais partie du paysage changeant. » Nous laissons bientôt le Black Tusk, sans doute le sommet le plus célèbre de Whistler, loin derrière. Nous ne nous arrêtons pour déballer notre lunch qu’après notre première descente à coeur battant dans une cuvette de poudreuse boisée. Un mésangeai du Canada descend en piqué, attendant une aumône ; un autre se perche sur un bâton de ski. Nous mangeons en silence : l’arrière-pays invite à la contemplat­ion. Mais c’est bientôt l’heure de repartir. Nous grimpons péniblemen­t au sommet avant d’enlever nos peaux de nouveau et d’attacher nos fixations pour le ski. Tout n’est qu’émotion par la suite.

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