La ville sacrée
En descendant de l’autobus dans la ville sri lankaise d’Anuradhapura, je pose mon regard sur des jeunes femmes en robe blanche tenant de volumineux bouquets de lotus à peine éclos. Aucune ne m’approche, car ces fleurs sont destinées à quelqu’un de beaucoup plus important: Bouddha. Je suis à Ruwanwelisaya, l’un des huit lieux de culte d’Anuradhapura, une ville fondée en l’an 380 av. J.-C. et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. À l’entrée, entre les inscriptions en cingalais, une phrase en anglais me rappelle le passage du temps: No selfie with the Buddha (« Aucun égoportrait avec Bouddha »).
Mes chaussures retirées, je suis la foule marchant au son de chants sacrés jusqu’au stoupa, monument immaculé en forme de demi-sphère coiffé d’une flèche dorée. Je ne suis pas une adepte du theravada, l’une des plus anciennes formes de bouddhisme, je fais donc comme les abeilles au-dessus de l’autel d’offrandes et je butine, derrière des femmes aux longs cheveux qui prient, leurs mains portant des fleurs vers leur front.
En tant qu’étrangère, je me demande comment donner un sens à ma visite ici, en ces lieux sacrés. Le Sri Lanka figure aujourd’hui parmi les nouvelles destinations en vogue, mais je trouve que ses sites touristiques portent plus à la réflexion méditative qu’à la prise de photos Instagram. Je me retrouve devant un bouddha assis, une main à la paume ouverte posée sur un genou et l’autre pointant le sol. Sam, mon guide, m’a rejointe et m’explique que cette position représente le moment où Bouddha atteint l’illumination. Je songe à mon père, récemment décédé: ma présence ici pourrait-elle, ou devrait-elle, m’apporter l’illumination ? Ce qui me vient, c’est plutôt une parole de mon sage paternel dans mes moments de grande impatience: «On traversera le pont quand on sera rendu à la rivière.» Je me relâche en me disant: ça viendra.