LE BILLET DE LA RÉDACTRICE EN CHEF
Je remontais la côte est de l’Australie en 2001 quand ma voiture est tombée en panne. Pure négligence de ma part : j’avais omis de vérifier régulièrement le niveau d’huile... aussi bien dire jamais. Le véhicule a été remorqué dans la ville de Bellingen, et j’ai passé une agréable soirée inopinée à boire de la bière au pub local. À un moment donné, Russell Crowe est arrivé. Plus tard, j’ai campé sous une nuée de chauves-souris, les plus grosses que j’aie jamais vues. C’est l’un des souvenirs mémorables de ce voyage, alors que Bellingen n’était même pas sur ma carte routière quand je l’ai amorcé.
Pour moi, un périple consiste à trouver une forme d’équilibre entre planification et capacité de s’abandonner aux heureux hasards. C’est pourquoi le reportage de Nicholas Hune-Brown sur une aventure toute préméditée en Tasmanie (page 44) m’a intriguée. L’auteur illustre la tension entre le contrôle et l’abandon, puisque chaque détail de l’aventure est planifié du début à la fin, mais par quelqu’un d’autre. Est-ce le summum du contrôle, ou la capitulation complète ?
La planification de ce genre de circuit par le Transformational Travel Council démarre par un questionnaire de Proust. Les réponses fournissent aux organisateurs assez d’information pour qu’ils puissent vous concocter une expérience «transformatrice » idéale. Vous ne verrez l’itinéraire qui en découle que quelques jours avant le départ. On dirait une scène de Jouer avec la mort, mais sans Michael Douglas. Même votre transformation personnelle pendant le périple dépend d’une série de mesures, dont la tenue d’un journal.
Plusieurs voyageurs évoquent les circuits planifiés et les formules tout inclus comme de parfaits moyens pour lâcher prise. Lorsqu’un tiers gère vos besoins courants, il ne vous reste qu’à profiter du moment présent. Et c’est peut-être la raison pour laquelle le nouveau genre de circuit décrit dans notre article sur la Tasmanie se veut le compromis idéal entre l’abandon et le contrôle : toute la planification est assurée, mais avec des parenthèses de temps libre qui laissent place aux plaisirs impromptus.
Tout ce que je sais, c’est que si je n’avais pas laissé place à la chance (et à d’exécrables habitudes d’entretien automobile), je n’aurais jamais su que Russell Crowe porte une combinaison de moto tout en cuir blanc.