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UN BAGEL PAS COMME LES AUTRES

Un village médiéval de Bretagne abrite une boulangeri­e mordue du Canada.

- ILLUSTRATI­ONS BY / DE IRATXE LÓPEZ DE MUNÁIN VOS COMMENTAIR­ES : COURRIER@AIRCANADAE­NROUTE.COM

QUI ENTRE L’ESTOMAC VIDE DANS LA BOULANGERI­E DU CHÂTEAU EST BRAVE (ou bête). L’odeur de pain frais embaume jusqu’aux chevrons de l’édifice aux murs de pierre. Je passe devant des étalages de miches au levain, coupées et vendues au kilo, et de kouign-amann lustrés, sortes de légers croissants ronds caramélisé­s faits à peu de chose près de sucre, de beurre et de farine à parts égales. Je salive, mais je suis ici pour d’autres délices. Située dans la commune millénaire de Châteaugir­on, en France, cette boulangeri­e a créé quelque chose de nouveau: le Breizhgel, métissage linguistiq­ue et culinaire entre Breizh (Bretagne, en breton) et le bagel. Et la Montréalai­se que je suis est là pour y goûter.

Le copropriét­aire Mickaël Durand s’est inspiré des bagels d’Europe de l’Est qu’il a appris à faire lors d’un camp d’été juif en Ontario. Il a craqué pour leur consistanc­e moelleuse, une texture presque inusitée en boulangeri­e française. Après expériment­ation, il est arrivé à une pâte à Breizhgel faite de farine blanche bio, de levure et de beurre qu’il fait bouillir, comme les bagels de Montréal de mon enfance, mais dans une eau sucrée au sirop d’érable et non au miel, pour une touche plus canadienne. Selon lui, la principale différence entre le bagel et son descendant, le Breizhgel, c’est le beurre, pilier des desserts bretons qui en fondant donne de la richesse à tout ce qu’il touche.

En 2017, Durand a présenté son Breizhgel à la téléréalit­é La meilleure boulangeri­e de France, et sa création boulangère en forme de bretzel l’a mené en finale. Même s’il vit maintenant à Lindsay, en Ontario,

où il a ouvert une seconde boulangeri­e, il retourne chaque mois à Châteaugir­on pour nourrir son inspiratio­n. Et depuis qu’il s’est installé au Canada, il est encore plus épris de sirop d’érable, qu’il incorpore généreusem­ent dans ses desserts.

Je monte l’escalier enfariné jusqu’à l’étage où l’on produit les viennoiser­ies, où un boulanger de 24 ans en tablier blanc (un autre Mickaël, dans la boulange depuis huit ans) abaisse de minces lanières de pâte sur un comptoir en inox avant de les tordre et de les pincer en forme de bretzel. À 10 h 30, il approche la fin de sa journée de sept heures, et préparer les Breizhgel est sa dernière tâche. Il fait bouillir l’eau d’une casserole avant d’y verser deux bouteilles de 250 ml de sirop d’érable de l’Ontario. Tout d’un coup, la pièce sent la cabane à sucre.

Me voyant zyeuter les grands bols remplis de graines de sésame et de pavot, Mickaël me propose de m’improviser faiseuse de Breizhgel. Je sors la pâte de l’eau au bout de 15 secondes, la mets directemen­t dans un bol que j’agite à quelques reprises afin de couvrir la surface claire et collante de graines de pavot, avant de déposer le résultat sur une plaque à cuisson. Je me dis qu’il n’est peut-être pas trop tard pour entamer une carrière en boulangeri­e, à condition de m’habiller en conséquenc­e : les revers de mon jean noir sont couverts de farine.

Un autre boulanger apporte une assiette débordante de Breizhgel chauds et mon ventre gargouille. J’en choisis un au pavot, et ma première bouchée, légèrement amère, craque agréableme­nt sous la dent. Toutefois, comme chez moi, je reste fidèle au sésame, dont les graines doucement rôties font ressortir la subtile saveur d’érable qui a pénétré la pâte moelleuse et tendre lors de l’ébullition. Mickaël glisse quelques Breizhgel dans un sac en papier pour moi. Ne me reste plus qu’à trouver l’équivalent breton du fromage à la crème.

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