Fugues

Flirts au féminin par CHRISTINE BERGER

- CHRISTINE BERGER

Je venais de participer au lancement d'une revue collective au bar Les Pas Sages. Revue dans laquelle j'avais écrit un texte érotique lesbien sur le thème de la sécheresse. Récit lourd en fluides, dont l'appartenan­ce au thème ne se justifiait que par une habile manipulati­on du titre; je l'avais intitulé Secsse.

Très célibatair­e, j'étais dans ma phase libertine.

Un soir, un message m'est parvenu sur Facebook: « Hey! Je pense bien t'avoir croisée aux Pas Sages vendredi, et j'aurais aimé venir te parler mais je suis partie assez rapidement...mais bon, si ça te dit d'aller prendre un café un jour, fais-moi signe, je serais enchantée! »

Message très net et direct: charmant. J'ai scruté les photos de la fille, il y en avait peu. Brunette, elle était cute. Sur une photo près d'une rivière, elle portait un maillot one piece. Je ne l'avais jamais vue de ma vie. Ou peut-être que je ne m'en souvenais pas. Alors je lui ai répondu: « Salut! Oui, j'étais aux Pas Sages vendredi. Je dirais que ça me ferait sans doute plaisir d'aller prendre un café avec toi mais éclaire-moi ... D'où se connaiton? »

Selon elle, nous n'avions jamais été présentées. En raison des circonstan­ces qui lui avaient donné envie de me parler, j'ai tout de suite pensé que ses intentions étaient grivoises. J'ai accepté de la rencontrer.

On devait aller prendre un café, finalement elle m'a proposé d'aller bummer dans les ruelles. Oh. J'avais oublié l'existence de ce type d'activité depuis plusieurs années. Ça ne me tentait pas ben ben. J'ai dit: « Cool. On pourrait aller à la Taverne Jarry sur notre parcours. J'y suis jamais allée et je suis certaine qu'ils ont les shots les moins chers en ville. » J'ai repéré mon vieux coat de bum dans le fond du garde-robe. En cuir rouge, écorché dans le dos. Cette fille m'intriguait.

Rendez-vous sur le parvis de la Paroisse Ste-Cécile. Elle n'avait pas de téléphone donc j'ai essayé d'être à l'heure mais j'ai été en retard. Elle portait une casquette par en avant et des jeans troués, pourtant il faisait froid. Elle a aussitôt commencé à parler pour ne jamais arrêter. Son flot de paroles était comme une messe ininterrom­pue, ponctués de Seigneur! et de sacres. Elle animait les ruelles désertes de l'hiver de propos sur Job, sa mère, son ex, Jésus, Chomsky, la révolution de la structure scientifiq­ue, la psychologi­e, les meetings AA.

On s'est arrêtées dans un parc. C'est là que j'ai appris qu'elle avait été avec un mec pendant quatre ans et qu'au moment où elle commençait à réaliser son attirance pour les femmes, la mère de ce mec avait quitté son père pour partir avec une femme. Elle avait alors préféré attendre que son chum parte étudier en Europe pour rompre avec lui, sans lui dire qu'elle se sentait lesbienne. J'ai trouvé ça délicat de sa part. On buvait de la bière et elle rotait parfois.

Sur le chemin vers la Taverne Jarry, on a fait un pisse-stop au Miss Villeray où on a pris un shot de Jäger. Elle a mentionné que si elle avait un perroquet, elle voudrait qu'il mange des madeleines et qu'il parle japonais, puis elle a dit de ses yeux qu'elle voulait reprendre le parcours.

Dans la rue, elle m'a demandé mon feu pour allumer sa clope. Elle m'a doucement caressé la main en la prenant, j'ai aimé ça. Tout ce qu'elle faisait paraissait spontané. Son babillage nous portait comme des confidence­s dans le train de Josélito: « Pour moi le corps est un temple. Juste une fois je me suis retrouvée le matin avec quelqu'un que je ne reconnaiss­ais pas et j'ai pas voulu répéter l'expérience./Quand je suis en peine d'amour je maigris et mes jeans ne me font plus./Ne va pas au Village des Valeurs, paraît que ça appartient à Wal-Mart./Je ne sais pas pourquoi j'ai flashé sur toi comme ça. Quand je t'ai vue, le lendemain j'ai demandé à mon amie si je devais t'écrire, puis je me suis dit que je n'avais rien à perdre. C'était la première fois que je faisais ça. »

On n'a pas trouvé la Taverne Jarry. Mais on a trouvé un bar de karaoké. On s'est installé au bar. La serveuse était fabuleuse, prompte et souriante. On a pris des shots de Jameson, tout le monde était en feu. Sans surprise, quelqu'un avait commandé Thriller.

Détonnant dans cet environnem­ent festif, un vieux picoleur abattu dans un coin animé de la salle scrutait le fond de son verre, l'air absent. Lorsque les premières notes de Thriller se sont faites entendre, le pilier de bar a entrepris de se déplier quelques membres. Ses mouvements tombaient carrément dans le bon tempo, créant un effet vidéoclip captivant. Lorsque la piste s'est déployée, il a bougé vivement pour se gratter le coude, on aurait juré qu'il tentait un solo. On riait trop, alors ma compagne a suggéré qu'on décampe pour garder ce moment-là en souvenir.

Je ne l'ai pas invitée chez moi mais elle m'a naturellem­ent suivie jusque là. Je l'ai embrassée, sur ses lèvres et dans son cou, puis on a parlé encore un peu, on s'est caressé et elle a continué de jaser.

Le lendemain matin au restaurant, elle s'est retrouvée avec de la bouffe dans le toupet, c'était de l’oeuf avec du ketchup. J'ai appris qu'elle mangeait ses hot-dogs avec de la moutarde. J'ai dit: Moutarde orange? Elle a dit oui. Je voulais dire jaune mais elle avait compris. C’est à ce moment-là qu’elle a créé un mystère, me quittant en coup de vent sans me dire pourquoi. Les cloches de l’église St-Jean de la Croix sonnaient, il était midi tapant.

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