022 MARC BOUCHER
LES LIGNES BLANCHES SONT BLANCHES LONGTEMPS
Le français, l’écriture et la lecture sont les fondations de l’existence de l’auteur montréalais. Après son baccalauréat et sa maîtrise en littérature française à l’Université McGill, où il a également oeuvré comme professeur de français langue seconde, Boucher a continué de transmettre sa passion en enseignant aux fonctionnaires fédéraux à Ottawa et aux nouveaux arrivants à Montréal. Après un détour comme fonctionnaire au Ministère de l’Immigration, où il travaillait quatre jours par semaine afin de dégager du temps pour son écriture, il a réalisé que sa plume avait des besoins différents. « J’avais beaucoup de difficulté à mener à bien mes projets durant trois jours et à ne pas les faire avancer le reste du temps. Alors, j’ai décidé de prendre ma retraite un peu avant le temps, et aujourd’hui, j’écris cinq jours par semaine. »
Ayant un penchant pour les courtes histoires, qui lui permettent de se concentrer sur l’essentiel et d’aborder une multitude de sujets, il a donc mené à terme un recueil de nouvelles. « Comme je suis une éponge et que j’absorbe tout ce que je vois et entends, je m’imprègne de beaucoup de situations. Les nouvelles me permettaient donc d’explorer de nombreuses thématiques. »
Dans le lot, on suit un jeune homosexuel qui quitte Haïti pour le Québec, où il apprivoise sa nouvelle liberté, témoigne de l’évolution de la société, prend conscience de son homophobie intériorisée, vit ses premières expériences, vieillit et retourne des décennies plus tard sur l’île où il est né. On s’intéresse à des collègues, un gai et un jeune hétéro, qui développent une complicité sans ambiguïté. On assiste à la fin d’un couple gai, après qu’une lettre tenue sous silence donne lieu à une querelle de gamins qui restent campés sur leurs positions. Aussi, on accompagne deux garçons de 18 ans dans un road trip sur le pouce en Gaspésie, alors que l’un d’eux prend conscience de son homosexualité et fantasme sur son partenaire de voyage.
Une série de nouvelles élaborées afin de changer les perspectives. «Quand on parlait d’homosexualité il y a 20 ou 30 ans, il était soit question de glamour, de maladie mentale, de crimes macabres, de pervers ou de prostitués. J’ai voulu montrer que ce qui arrive à mes personnages gais pouvait être transposé avec des hétéros. La chicane entre deux gars autour d’une lettre aurait pu se produire entre un homme et une femme. L’immigrant aurait pu être un Haïtien qui marie une femme rejetée par sa famille, qui vient au Québec et qui retourne en Haïti en constatant que les choses n’ont pas évolué. Le voyage entre amis aurait pu mettre en scène un garçon hétéro qui découvre son attirance pour une fille, qui se révèle lesbienne. J’ai imaginé des contes de la vie ordinaire pour démontrer qu’il n’y a rien de bien différent dans le monde homosexuel.»
À 60 ans, Marc Boucher goûte enfin au bonheur de publier son premier livre, Les lignes blanches sont blanches longtemps, un recueil de nouvelles où il aborde l’homosexualité de près ou de loin, telle une trame de fond presque banale, afin, dit-il, de faire comprendre aux lecteurs de tous horizons que les personnes gaies vivent les mêmes joies et les mêmes peines que les hétérosexuels.
Si certains lecteurs auront le sentiment que les protagonistes gais de presque toutes les nouvelles vivent un malaise avec leur marginalité, le regard des autres ou les racontars à différents niveaux, tous percevront la façon dont l’auteur a distillé des bribes d’informations sur l’ouverture graduelle de la société face aux gais. « J’ai connu l’homosexualité alors qu’elle était vraiment taboue. J’ai vu l’inclusion de l’orientation sexuelle parmi les formes de discriminations interdites. J’ai vu les lois changer afin de permettre aux gais d’adopter et de se marier. Quand je regarde derrière moi, je vois plusieurs signes d’évolution dont je voulais témoigner », explique celui qui a été président de Gai Écoute en 1993, bénévole au GRIS pendant des années et responsable d’un plan d’action de lutte contre l’homophobie du gouvernement du Québec.