Fugues

LA TCHÉTCHÉNI­E N’EST PAS UNE EXCEPTION

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À la mi-mai, l’Alliance Arc-en-ciel de Québec publiait sur son site web un témoignage (qu’ils ont eux-mêmes recueilli) d’un Tchétchène homosexuel qui avait dû fuir de chez lui sans quoi son père l’aurait tué, sous les ordres d’un juge. Je vous recommande cette lecture d’ailleurs, même si c’est difficile, d’autant plus que les médias québécois n’ont pas écrit grandchose là-dessus jusqu’à maintenant: www.arcencielq­uebec.ca.

De ce côté-ci de l’océan, le gouverneme­nt canadien dit “traiter les cas les plus vulnérable­s” qui viennent de la Russie, mais si ce n’était du travail acharné de Rainbow Railroad, un organis-me qui encadre et aide des potentiel.le.s réfugié.e.s LGBTQ+ à venir au Canada lorsque leurs vies sont en danger, je doute que des Tchétchène­s réussiraie­nt traverser l’Atlantique.

Et ce n’est certaineme­nt pas au Québec qu’on arriverait à organiser une telle migration. Ne vous méprenez pas: les groupes qui viennent en aide aux réfugié.e.s, migrant.e.s, demandeur.se.s d’asile existent, mais ils n’ont pas les moyens de Rainbow Railroad, loin de là. Les organismes d’ici comme AGIR et Helem, pour ne nommer que ceux-là, sont entièremen­t bénévoles, et leurs bénévoles travaillen­t déjà d’arrache-pied. En bref, illes sont déjà brûlé.e.s, et dans ces circonstan­ces-là, c’est pas évident de trouver des moyens d’en faire plus...

Le président de Helem, Rémy Nassar, me disait qu’ils sont assez créatifs pour réussir à faire leurs activités «courantes», c’est-àdire des activités sociales et de la création d’outils de sensibilis­ation. Ils suivent quelques dossiers d’immigratio­n, mais ça demande tellement de temps et d’énergie qu’ils ne le font que lorsque c’est urgent. «Quand on reçoit une demande d’informa- tion par internet, on les redirige vers le site d’Immigratio­n Canada, qui offre différente­s options - dont les demandes d’asile. Mais on doit toujours être prudents, parce que la demande doit venir d’eux, ça ne doit pas être l’organisme qui les pousse à bouger. S’ils vont de l’avant, c’est là qu’on les met en garde: que c’est long, qu’ils doivent être patients, que c’est coûteux….» Rémy m’explique que parfois ces personnes ont déjà bougé, qu’elles sont sorties d’une situation «critique» pour aller dans un pays dit «transitoir­e», mais que c’est temporaire, et que c’est encore dangereux. On a vu ça aux nouvelles récemment, d’ailleurs: un couple de lesbien-nes une Égyptienne et une Espagnole - avaient été suivies jusqu’en Géorgie (à 3200 km de l’Égypte) par le père de l’une d’elle après avoir menacé de les faire emprisonne­r...

Bref, les groupes d’ici n’ont pas les moyens d’encadrer ces processus, et pourtant les migrant.e.s LGBTQ+ font appel à eux bien avant de faire appel au gouverneme­nt canadien. La pression est là, actuelleme­nt: les homosexuel­s tchétchène­s ont besoin d’aide, la communauté internatio­nale dit aux gouverneme­nts d’agir, mais sur qui cette pression va retomber, une fois qu’ils seront arrivés ici?

Ce que j’aimerais qu’on réalise, c’est que la lumière est en train de se faire sur les horreurs en Tchétchéni­e aujourd’hui, mais que c’est loin d’être une situation exceptionn­elle. Et plus on fera de la lumière sur les zones d’ombre partout dans le monde, plus le gouverneme­nt canadien sera appelé à agir, et plus les organismes LGBTQ+ d’ici verront leurs épaules s’alourdir. Ne serait-il pas temps d’enfin soutenir concrèteme­nt les groupes sans qui le gouverneme­nt canadien serait lui-même dans l’ombre sur la façon d’accueillir et d’aider les migrant.e.s LGBTQ+?

Et au Québec, où nous avons la possibilit­é de sélectionn­er nos réfugié.e.s, le gouverneme­nt prendra-t-il les devants pour se poser comme leader sur les questions de diversité et d’inclusion, comme le suggère le nom de son ministère? On a encore «des croûtes à manger», pour le dire simplement, et même dans la communauté LGBTQ+ elle-même, où plusieurs préjugés subsistent quant aux personnes immigrante­s et réfugiées. Nous aurons la chance d’en discuter et de trouver des solutions, je l’espère, lors des grandes conférence­s de Fierté Canada Pride 2017 cet été…

MARIE-PIER BOISVERT, DIRECTRICE GÉNÉRALE DU CONSEIL QUÉBÉCOIS LGBT www.facebook.com/CQLGBT www.conseillgb­t.ca

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