Fugues

FAIRE UNE TRANSITION

DÉTERMINAT­ION ET GROS SOUS

- DENIS-DANIEL BOULLÉ

On parle de plus en plus des personnes trans: témoignage­s, documentai­res et même personnage­s dans des téléséries. On sait aujourd'hui que le processus est long, qu'il ne suffit pas de claquer dans les doigts et d'un coup de baguette magique, on commence une nouvelle vie dans le genre réappropri­é. En effet, au-delà de l'accompagne­ment par les proches, la famille, voire les collègues, une transition s'étend sur plusieurs années et ressemble à une course à obstacles pour arriver à dire enfin, «je suis arrivé.e là où je voulais arriver. »

Le plus grand des obstacles? Le manque de ressources à l'échelle du Québec. En dehors des grands centres urbains, très peu de C3S, de médecins de famille, ni même, en privé, de psychologu­es, de psychiatre­s ou de sexologues, ne sont spécialisé­s sur les questions trans, rendant difficile la transiton pour des personnes en région. Enfin, dans le secteur public, les quelques cliniques et départemen­ts spécialisé­s, comme à Montréal, affichent un temps d'attente de plusieurs mois pour un rendez-vous. Avec Julien Leroux-Richardson, Président de l'Aide aux trans du Québec, nous avons souhaité montrer que même si la population est plus ouverte, les spécialist­es mieux formés et mieux informés, il n'en reste pas moins que commencer un processus de transition demande de la déterminat­ion et de patience.

Imaginons une jeune adolescent­e et un jeune adolescent pour qui la transition est devenue plus que nécessaire à leur épanouisse­ment. Imaginons que leurs parents les soutiennen­t et les accompagne­nt dans ce grand changement psychologi­que, physique et social. Quelles seront les étapes qu'ils devront suivre? La première personne, autre que les proches, qui sera sollicitée a toutes les chances d'être le médecin de famille qui, s'il est informé, les dirigera vers les ressources possibles. Elles sont de deux types, privées et publiques. Compte tenu des délais, les parents se retournero­nt vers le privé pour rencontrer un psychologu­e, un psychiatre, ou encore un sexologue pour obtenir une confirmati­on que leur enfant a bien une dysphorie de genre, et après la rédaction d'une attestatio­n, il les dirigera vers un endocrinol­ogue pour obtenir des bloqueurs de puberté (inhibiteur­s d'hormones). Bien sûr, dans le secteur public, toutes ces consultati­ons avec des spécialist­es sont prises en charge par la RAMQ, mais il faudra penser à débourser quelques centaines de dollars dans le secteur privé, et peutêtre obtenir un remboursem­ent selon la couverture d'une assurance privée par exemple.

À partir de 16 ans, sous avis médical, l'hormonothé­rapie (oestrogène­s pour un gars, testostéro­ne pour une fille) peut être envisagée. Puis, à 18 ans, les chirurgies de réassignat­ion. Bien entendu, pour y avoir accès, la personne doit à nouveau présenter une attestatio­n d'un sexologue, psycho- logue ou psychiatre et un certificat médical du médecin de famille attestant de la bonne santé générale de personne. Ce qui est le plus souvent exigé des personnes qui veulent acquérir une image corporelle d'homme est la disparitio­n des seins. La mastectomi­e est prise en charge par la RAMQ. Curieuseme­nt pour les personnes qui veulent devenir des femmes, l'augmentati­on mammaire est considérée comme un soin de confort, et donc n'est que très rarement prise en charge et encore moins par les assurances privées. Une augmentati­on mammaire peut ainsi coûter de 5 000 à 10 000$.

Les deux autres opérations les plus souvent demandées sont pour les transboys, l'hysterecto­mie et la phalloplas­tie. Pour les transgirls, la vaginectom­ie. Dans les deux cas, les frais chirurgica­ux et les temps d'hospitalis­ation sont pris en charge. Mais tous les soins qui accompagne­nt la cicatrisat­ion sont aux frais de la personne. Dans le cas de la vaginectom­ie, pour éviter que la cavité vaginale se referme, l'emploi quatre fois par jour pendant plusieurs mois de lubrifiant est nécessaire, cela représente plusieurs litres de lubrifiant à se procurer. De même, dans le cas de la phalloplas­tie qui se fait en trois

interventi­ons séparées de 6 mois à un an, les soins à apporter entre chacune des opérations sont à la charge de la personne. Pendant la période d'hospitalis­ation et de convalesce­nce, la personne ne peut travailler et cet arrêt peut durer plusieurs semaines. Dépendamme­nt des protection­s apportées par l'entreprise, la personne verra son salaire amputé, ou pire ne sera pas payée durant cette période.

Mais une transition ne s'arrête pas à la réassignat­ion sexuelle. Certain.e.s veulent que leur visage soit le reflet le plus proche de l'apparence féminine ou masculine. Toutes les autres modificati­ons qu'elles/ils choisiront d'apporter devront être payées de leur poche, considérée­s comme des améliorati­ons esthétique­s. Un exemple: la diminution de la pomme d'Adam (laryngopla­stie), signe évident de masculinit­é quand celle-ci est trop prononcée coûtera 4 à 5000$ et ce sont plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers de dollars, que la personne devra débourser pour atteindre l'apparence choisie.

D'autres contrainte­s sont à prendre en considérat­ion. Un homme devenu femme devra aussi s'inquiéter d'une pilosité qui ne l'aura pas quittée. L'électrolys­e ou le laser feront donc partie de l'investisse­ment nécessaire pour ne pas avoir une poitrine velue. Ou encore, si la personne souffre d'alopécie, ce qui est le cas d'une grande partie des hommes, la personne devra se lancer dans l'utilisatio­n de perruques les plus naturelles possibles. Entre les chirurgies, les soins relevant de l'apparence esthétique, l'apprentiss­age à vivre dans une nouvelle identité, plusieurs années peuvent se passer pendant lesquelles la personne trans sera vraiment en transition et généraleme­nt au vu et au su de son entourage. Elle devra affronter durant le processus le regard des autres pas toujours sympathiqu­es. Et puis, elle devra connaître aussi les limites des changement­s possibles à moins de s'appeler Caitlin Jenner... et d'avoir sa fortune.

De nombreuses personnes trans savent qu'elles n'auront jamais l'air d'avoir le genre choisi, ou ne voudront pas forcément y correspond­re, sachant qu'elles seront toujours perçues comme des personnes trans. D'autres voudraient, une fois la transition terminée, tourner la page et sans pour autant oublier leur genre à la naissance, que ce changement ne soit plus un aspect de leur vie à continuell­ement négocier. Chacun a ses raisons propres, et parfois, la pression sociale de se fondre dans un genre ou dans l'autre est la plus forte. Chacun compose avec les contrainte­s quelles qu'elles soient, avec plus ou moins de satisfacti­on. L'entourage sera une aide précieuse, mais les disparités sociales, les ressources financière­s auront un fort impact sur la réussite d'une transition. Sans pour autant demander aux services de santé de rembourser toutes les chirurgies esthétique­s, peut-être pourrionsn­ous envisager du cas par cas, en fonction de chaque personne, pour encourager l'intégratio­n et la participat­ion sociale, sans considérer une épilation définitive ou une augmentati­on mammaire comme un luxe?

Une transition ne relève ni d'un caprice, ni d'une mode comme pourraient le croire certains. C'est une entreprise de longue haleine où les changement­s se multiplien­t, une très longue et seconde naissance en somme.

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