Fugues

OÙ SONT LES LESBIENNES

- 6 JUL➜E VAILLANCOU­RT julievaill­ancourt@outlook.com

Qu’en est-il de ces femmes sans enfant ayant passé la trentaine? Comment sont-elles considérée­s socialemen­t? Comment se positionne­nt-elles dans leurs cercles d’ami(e)s ? Subissente­lles des jugements ? Si la vision et la pression de la maternité ont nécessaire­ment changé au fil des décennies - puisqu’on octroie aux femmes le « libre choix » d’enfanter (dans certaines sociétés) - le regard de plusieurs demeure ancré dans des préceptes d’antan. Chronique d’une trentenair­e sans enfant. Il y a une époque où la femme n’était qu’une machine à concevoir des bébés. Son rôle de mère passait avant son statut de femme. Si la femme n’était pas mère, elle n’était pas considérée comme une « vraie » femme, mais comme un individu ayant failli à son devoir. D’ailleurs, j’utilise le mot individu, car à l’époque de ma grand-mère (j’ai passé la trentaine, faites le calcul), cette dernière n’était pas considérée comme citoyenne à part entière de par son pays (oui, oui le Canada), puisqu’elle n’avait pas le droit de vote. Donc son devoir, n’était pas d’aller voter (bref, de prendre position et de participer aux décisions de la société dans laquelle elle vit), mais plutôt de procréer et de veiller sur ses progénitur­es. Or, mettre un enfant au monde (et l’élever) afin qu’il devienne un être à part entière, me semble que ça mérite le titre de citoyen? Me semble que ça mérite le droit d’aller voter? D’investir le marché du travail, si le coeur t’en dit? À l’époque de ma grand-mère, on pouvait constater le phénomène suivant : si la femme (la mère) n’avait eu qu’un enfant, c’était pratiqueme­nt un échec, comparativ­ement à cette autre mère d’une famille de 10 enfants. Là, c’était une réussite (familiale et sociale) : la machine à bébé étant bien huilée et fonctionna­nt à son plein potentiel. Or, ma grand-mère n’a eu qu’un enfant, soit ma mère, qui elle aussi n’a eu qu’un enfant unique. Moi, j’ai passé 30 ans et je n’ai pas d’enfants. Je ne ressens pas du tout le besoin d’en avoir. (OK, peut-être que dans quelques années après l’écriture de cette chronique, j’aurai le fameux appel de l’horloge biologique, comme ils disent, mais là, ce n’est pas le cas). Est-ce que j’haïs les enfants pour autant? Pas du tout. C’est le même principe que le lesbianism­e. Je préfère les femmes, mais je ne haïs pas les hommes pour autant. On a rarement demandé à feu ma grand-mère pourquoi elle n’avait pas eu d’autres enfants. C’était un peu tabou à l’époque, mais sa condition biologique a entravé son désir de fonder une grande famille. On m’a souvent demandé pourquoi ma mère n’avait pas eu d’autres enfants que moi. Ma naissance fut grandement prématurée et on ne pouvait garantir la survie d’autres enfants le cas échéant. Bref, mon point est le suivant : il faut toujours «avoir une raison» pour ne pas avoir d’enfants. Justifier le fait de «faillir à son devoir». Justifier le fait de dire «non à la maternité» en tant que femme. Justifier le fait de ne pas «suivre» la norme sociale de la maternité. À 36 ans (une passe critique pour l’horloge biologique de plusieurs femmes) on me demande souvent si je veux des enfants et je réponds «non». Après un silence interrogat­eur vient la question «Pourquoi ?». Ainsi, puisque je suis femme et que je suis dans la trentaine avancée, je dois justifier le fait que je ne veux pas d’enfants. De par ma réponse négative au choix de la nonmaterni­té, qui engendre une certaine culpabilit­é/remise en question de ne pas appartenir à la norme (encore une fois !), plusieurs sous-entendent au final, une anomalie, lire la perception de ne pas être une « vraie » femme. Encore aujourd’hui dans la tête de plusieurs, être une femme, c’est d’abord être mère. S’en suit, à mon «non je ne veux pas d’enfants », des répliques du style: « mais avoir un enfant, ça change une vie, c’est le plus beau cadeau de la vie ». Je n’en doute pas une seconde, que ça te change une vie (et j’aurais pu faire des blagues salées sur les couches et les nuits blanches, mais je ne fais pas dans la chronique grivoise). Le fait est que, j’en doute pas que ça vous change une vie, mais que je n’en veux pas pour autant, là! Je ne ressens pas le besoin d’avoir un enfant, je ne suis pas attirée par la maternité, ce n’est pas mon projet de vie. D’ailleurs, remarquez bien une chose : un homme qui ne veut pas d’enfant, ça passe, mais le choix de la non-maternité chez une femme attire davantage de jugements… Vient alors, l’idée de culpabilis­er la femme sans enfant, en sous-entendant un certain égoïsme de «penser juste à elle», de ne « vivre que pour ses projets ». C’est là que j’arrive avec mon bémol. Aujourd’hui, au Québec en 2017, lorsque tu as des enfants, c’est d’abord parce que c’est ton projet de vie, ton choix et que tu penses dans un premier temps, à toi, car tu combles un besoin (et/ou celui de ton conjoint) inhérent à tes désirs : celui d’avoir un enfant. D’ailleurs, parlons-en d’avoir un enfant. L’autre jour, un ami (hétéro avec un jeune enfant) me demandait « mais toi et ta conjointe, ça fait 15 ans que vous êtes ensemble, ça ne vous tente pas d’avoir un beau p’tit bébé?», de dire mon ami (après avoir dit qu’à la base y’en voulait pas, mais que ça change une vie…) C’est drôle, car dans sa phrase le fait « D’AVOIR un beau p’tit bébé » avait presque l’air anodin… Bien sûr, aujourd’hui, les couples de même sexe peuvent désormais avoir des beaux p’tits bébés, mais mettons une chose au clair: avoir un enfant pour un couple de femmes, c’est pas mal plus compliqué que de décharger du sperme dans un vagin lors d’une chaude nuit d’été. Sans conter « le prix coutant du bébé », qui surpasse de loin le simple fait d’acheter une chaise haute ou un banc d’auto pour bébé. Les couples hétéros infertiles en savent quelque chose, hormis le regard social, qui n’est pas du tout le même pour la lesboparen­talité, où subsistent encore de nombreux jugements. Bien sûr, j’évite de tergiverse­r sur l’accoucheme­nt, dans cette chronique, car je n’ai jamais accouché et je ne dirai pas comme certains médecins hommes (qui à leur tour n’en savent rien!): «ne vous inquiétez pas madame, tout va bien aller, vous n’allez rien sentir…» D’ailleurs, j’avoue toujours d’emblée que je ne me vois pas accoucher… et là, vient la solution « oui, mais vous pouvez adopter ». C’est comme toujours vouloir trouver une solution à un problème, alors qu’il n’y en a pas de problème. Du moins, moi je n’en ai pas de problème! Je ne veux pas d’enfants et ça ne fait pas de moi une mauvaise personne ou une «fausse» femme pour autant… Peut-être qu’un jour, quand vous allez vouloir faire le tour de l’Europe, vous serez contents de connaitre une «vieille fille» qui veut garder votre progénitur­e. À ce moment, j’accepterai de tenir le rôle d’une «vraie femme» le temps de quelques-mois….

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