Fugues

AU-DELÀ DES CLICHÉS

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com

Ils ne sont pas nombreux, mais ils existent. Ces usagers d’applicatio­ns de rencontres qui cochent uniquement les options «amitié», «réseautage» et «discussion» dans leurs critères de recherche. Une façon pour eux de préciser qu’ils ne veulent rien qui s’approche du flirt verbal, des rendez-vous galants, des rencontres sexuelles sans lendemain, d’un amant régulier ou d’un éventuel amoureux. Une approche qui, pendant des années, m’est apparue incompréhe­nsible et peu sincère. Jusqu’à tout récemment…

Avec le recul, j’ai du mal à justifier mes vieux doutes, mes sourcils en accents circonflex­es et, n’ayons pas peur des mots, mes jugements. Au cours des 15 dernières années, alors que je faisais des allers-retours sur les sites et les applicatio­ns de rencontres, combien de fois ai-je moimême été confronté à ces gens persuadés que «tout le monde utilise ça pour du cul, voyons donc». Eh bien non. Même si une firme de sondage vérifiait les motivation­s des usagers de Grindr, Hornet, Scruff et Tinder en démontrant que 65% ou 87% d’entre eux utilisent les applicatio­ns prin- cipalement pour combler leurs envies sexuelles, la majorité ne se transforme­ra jamais en unanimité. Il me semble qu’en tant que membres d’une minorité, les homosexuel­s devraient accepter la diversité des points de vue et des désirs. Visiblemen­t, j’aurais tout intérêt à imprimer cette dernière phrase en format géant sur un mur de mon condo. Parce que si j’ai souvent expliqué qu’on a le droit d’utiliser les «applis» pour apprendre à connaître un garçon et possibleme­nt le rencontrer dans une optique romantique, je devrais tenir le même discours avec ceux qui ne veulent rien d’autre que de l’amitié et des discussion­s platonique­s.

Au fond, j’ai probableme­nt été formé à la vieille école. Celle où l’on noue des amitiés dans le monde réel, en classes, au travail, durant une activité de groupe ou lors d’une soirée où les amis de nos amis deviennent un peu les nôtres. Mais comme je fais aussi partie de la génération qui affirme sans sourciller qu’on peut entretenir une relation tout aussi sincère grâce aux platesform­es virtuelles, je suis conscient de mes contradict­ions et j’admets qu’on peut également démarrer et développer une amitié grâce aux réseaux sociaux. Ceci dit, j’ai longtemps eu du mal à comprendre pourquoi certains gais utilisaien­t des applicatio­ns principale­ment orientées vers le sexe et l’amour afin d’agrandir leur cercle social. À vrai dire, je me demandais pourquoi ils ressentaie­nt le besoin que leurs nouveaux amis soient homosexuel­s. J’imaginais qu’il y avait anguille sous roche. Et je croyais qu’ils utilisaien­t le paravent de l’amitié pour cacher deux motivation­s potentiell­es: 1) Ils sont en couple et ils veulent voir si le gazon est plus vert chez le voisin ou carrément tromper leur amoureux; 2) Ils sont célibatair­es et ils préfèrent apprendre à connaître des garçons sans la pression du premier rendez-vous, sans l’attente des rapprochem­ents et sans le caractère parfois faux des interactio­ns entre deux personnes qui s’envisagent pour une partie de jambes en l’air ou une fréquentat­ion.

Pourtant, ces options offrent une vision limitée de la situation. Malgré ce que j’ai longtemps cru, il existe des célibatair­es et des homosexuel­s-en-couple qui veulent uniquement une amitié sans arrière-pensée et qui apprécient que les nouveaux visages dans leur entourage soient homosexuel­s. Pas parce qu’ils veulent UNIQUEMENT des amis gais, mais parce qu’ils aiment que plusieurs de leurs proches comprennen­t certains aspects de leur réalité: les nuances de la drague chez les gais, la sexualité, l’ostracisme dont ils ont peut-être été victimes au cours de leur vie, une compréhens­ion souvent plus naturelle des minorités ou un mode de vie plus proche du leur, s’ils sont sans enfant par exemple. Ces éléments peuvent interpelle­r les homosexuel­s en général et les nouveaux arrivants en particulie­r. En effet, certains immigrants et Canadiens qui viennent de déménager désirent reconstrui­re leur réseau en le constituan­t partiellem­ent ou totalement d’amis gais.

D’ailleurs, c’est un nouveau Montréalai­s qui m’a fait changer mon fusil d’épaule. Un Américain établi depuis quelques mois dans mon quartier, en couple, qui travaille de la maison et qui ne peut compter sur des collègues de bureau ou d’école pour construire sa vie sociale. Il s’est inscrit sur Grindr pour rencontrer des gais, sans vouloir coucher avec eux et sans vérifier s’ils valaient mieux que son amoureux. Il m’a abordé directemen­t, nous avons discuté, fait connaissan­ce, parlé de tout et de rien, mais sans flirter. Puis, nous nous sommes rencontrés pour jouer au tennis et faire du «chit-chat» entre nos échanges. Jamais nos discussion­s ne m’ont semblé ambiguës. Jamais nos regards n’ont été tendancieu­x. Jamais je n’ai senti que je devais douter de sa sincérité. Il était simplement, comme tant d’autres, en recherche de nouvelles connaissan­ces et d’amitiés.

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