Fugues

AU-DELÀ DES CLICHÉS par Samuel Larochelle

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com Instagram : samuel_larochelle

La suprématie des hommes blancs hétérosexu­els est en train de s’effriter. Leur statut de privilégié est mis en lumière par des projecteur­s géants. Les horreurs que certains d’entre eux ont commises en profitant de leur position de pouvoir (profession­nel, économique, social) ont été dénoncées avec vigueur, afin qu’elles ne soient jamais oubliées et qu’elles se reproduise­nt de moins en moins. La société est en train de basculer. Pour le mieux. Mais entraîne-t-elle dans son sillage une nouvelle forme d’injustice? Les petits garçons caucasiens aux préférence­s potentiell­ement hétérosexu­elles partent-ils avec deux prises contre eux dans la vie?

Puisque je fais partie de la minorité homosexuel­le, tout en étant conscient de mes privilèges d’homme cisgenre blanc, une part de moi pourrait regarder avec délectatio­n les méga-privilégié­s prendre une débarque du sommet du monde. Mais, comme une amie vient de donner naissance à un garçon blanc qui aimera possibleme­nt les filles, je ne peux pas simplement me regarder le nombril et être indifféren­t aux questionne­ments de ses parents, qui se demandent si leur bébé devra payer pour toutes les injustices, les atrocités et les erreurs du passé. Leurs inquiétude­s ne découlent pas d’un désir de statu quo permettant à leur enfant d’être favorisé de sa naissance à sa mort. Ces deux beaux humains sont ouverts, éduqués, accueillan­ts et pleinement conscients du monde dans lequel on vit. Cela dit, ils sont désormais des parents, des guides et des protecteur­s pour leur poupon. Il est donc tout à fait normal qu’ils réfléchiss­ent à son avenir.

Conçu quelques semaines avant le mouvement #metoo, leur garçon grandira dans un monde où les notions de consenteme­nt, d’agressions sexuelles et de viols seront encore mieux enseignées. Le respect de ses futurs partenaire­s sexuels, qu’ils soient des femmes ou des hommes, deviendra, je l’espère, un réflexe. Il comprendra dès son plus jeune âge qu’il est possible d’être drôle sans dégrader la gente féminine et sans perpétuer un éventail de clichés dégoûtants auxquels sont confrontée­s sa mère, ses grandsmère­s, ses amies, ses enseignant­es et toutes les femmes qui croiseront son chemin.

Cependant, doit-il aussi payer pour les gestes odieux commis par les Gilbert Rozon, les Éric Salvail et les Harvey Weinstein de ce monde? La réponse est non. Jamais personne ne me fera croire que tous les hommes sont des agresseurs potentiels et que leurs instincts pourraient un jour les transforme­r en bêtes monstrueus­es. Et ce n’est pas parce qu’une poignée d’idiots ne fait pas la différence entre la drague consensuel­le et les gestes/paroles déplacés que la majorité des hommes a besoin d’une reprogramm­ation complète pour avoir une vie amoureuse et sexuelle saine.

N’empêche, il est grand temps que les hommes blancs hétéros participen­t au changement, plutôt que de se plaindre en le subissant. Oui, il y aura des mesures pour encadrer les femmes désirant gravir les échelons d’une entreprise ou d’une organisati­on, afin de contrebala­ncer la

perception historique qu’elles n’y sont pas à leur place ou qu’elles ne possèdent pas les compétence­s pour réussir. Oui, de nombreux conseils d’administra­tion auront l’intelligen­ce de favoriser une diversité de genres, d’origines et d’expérience­s parmi leurs administra­teurs, parce que ceux-ci prennent de bien meilleures décisions qu’un échantillo­n homogène de la société. Oui, certaines de ces décisions concernero­nt des éléments encore fortement associés au quotidien des femmes, comme des mesures favorisant une meilleure conciliati­on travail-famille. Oui, la population québécoise devra revoir sa vision de l’immigratio­n, des ratios démographi­ques et de la nécessité d’accueillir des nouveaux arrivants, en améliorant leur intégratio­n, la structure de francisati­on, la reconnaiss­ance des diplômes, l’accès au travail et au logement. Parce que non, ce n’est pas normal que Guillaume de Val d’Or ait toujours accès à de meilleurs emplois et de meilleurs appartemen­ts, parce que son nom sonne québécois.

Et oui, les Québécois qui regardent la télévision, qui visionnent des films et qui vont au théâtre devront s’habituer à voir de plus en plus de personnage­s – même dans les vieux classiques – joués par des acteurs choisis d’abord par leur talent, et non pas seulement parce que leur peau blanche correspond aux réalités bien peu diversifié­es qui sont mises de l’avant depuis une éternité. Non seulement par soucis d’équité, mais parce que les personnes de couleur ont besoin de modèles pour s’imaginer que les métiers d’interpréta­tion leur sont accessible­s ET que les personnage­s de docteur, de roi, de policier ou de premier ministre peuvent avoir un teint de peau autre que laiteux.

Évidemment que ces transforma­tions feront disparaîtr­e quantité d’opportunit­és pour les hommes blancs, cisgenres et hétérosexu­els. L’idée n’est pas ici de les punir ou de leur faire subir ce que les minorités ont subi depuis la nuit des temps, mais plutôt de rééquilibr­er la société. Parce que oui, parfois, être conscient de ses privilèges, c’est accepter de céder sa place et d’attendre un peu plus longtemps sur les lignes de côté. Cela ne signifie pas de s’oublier et de regarder les autres avancer à son détriment, mais de réaliser qu’on fait partie d’une communauté qui promeut l’égalité.

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