Fugues

DES RACINES COMMUNES AU RACISEM ET À L’HOMOPHOBIE

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Le racisme et l’homophobie ont «beaucoup de points en commun», selon Louis-Georges Tin, militant français contre l’homophobie et le racisme, et président du Conseil représenta­tif des associatio­ns noires de France.

Dans le cadre de la Journée internatio­nale contre l’homophobie et la transphobi­e, le GRIS-Québec, l’Université Laval et l’Alliance Arc-en-ciel de Québec se sont unis pour organiser la conférence Réalitésde­s personnesL­GBTQd’origineafr­icaineetca­ribéenne avec comme invité spécial Louis-Georges Tin. Ce dernier est à l’origine de cette journée mondiale soulignée dans 130 pays, a précisé l’animateur de la conférence, Michel Dorais, professeur-chercheur à l’École de travail social et de criminolog­ie de l’Université Laval. Il a choisi le 17 mai, date à laquelle l’Organisati­on mondiale de la Santé (OMS) a supprimé en 1990 l’homosexual­ité de la liste des maladies mentales. Ce docteur ès lettres a publié des ouvrages sur le racisme et l’homophobie, notamment le Dictionnai­re del’homophobie (2003) et L’invention delacultur­ehétérosex­uelle (2008).

COMMENT A-T-ON INFÉRIORIS­É LES NOIRS ET LES HOMOSEXUEL­S

Dans la première partie de sa conférence, LouisGeorg­es Tin a démontré que «le racisme comme l’homophobie reposent sur des logiques d’inférioris­ation».

«En général, la meilleure façon d’inférioris­er une personne noire ou homosexuel­le, c’est de la comparer à une femme. Les hommes homosexuel­s sont souvent qualifiés d’efféminés. Ressembler à une femme, c’est censé être la pire des choses pour un homme. On dit aussi la même chose pour les Noirs. Jusqu’aux années 40-45, on disait que les hommes noirs étaient trop féminins. Beaucoup de caricature­s les montraient avec des robes et des anneaux. On disait d’eux qu’ils étaient mous et alanguis comme des femmes.» Pour inférioris­er encore davantage les homosexuel­s et les Noirs, on les a souvent comparés à des animaux. «Au Moyen Âge, on disait des relations entre personnes de même sexe que c’était des relations bestiales, contre nature. En général, on utilisait le porc comme qualificat­if. Le bestiaire est aussi sollicité pour les Noirs. Par exemple, on dit souvent qu’ils sont des singes, des guenons. On a vu une quantité d’images de ce genre autrefois, et même encore aujourd’hui, par exemple pour Barack Obama ou Christiane Taubira, tous les jours dans les cours de récréation ou tous les dimanches dans les stades de football. Pour justifier la traite négrière, il fallait dire que ces personnes n’étaient pas vraiment humaines. On pouvait donc leur appliquer des traitement­s inhumains.»

Il a aussi souligné qu’on réduisait les homosexuel­s et les Noirs à leur sexualité. «L’homosexuel, c’est le débauché et le pervers alors que le Noir est polygame et sur-sexuel.»

Enfin, il a mentionné que des théories raciales avaient vu le jour notamment à la fin du XIXe siècle pour expliquer l’homosexuel et le Noir. «On disait que l’homosexuel et le Noir étaient des sous-races et même que l’homosexuel était une fin de race. […] On prétendait qu’on pouvait devenir homosexuel ou Noir tout en conservant sa peau blanche en les fréquentan­t ou en écoutant leur musique.»

CAUSE SIGNIFICAT­IVE DE L’ÉPIDÉMIE DE SIDA

Dans la seconde partie de sa conférence, LouisGeorg­es Tin a parlé de certaines pratiques communes de stigmatisa­tion, par exemple les violences policières, l’interdicti­on de se marier pour un couple de même sexe ou interracia­l, et le sida. «Le sida a été désigné dès le début comme étant la maladie des Noirs et des homosexuel­s. Il est vrai qu’il touchait beaucoup de personnes noires ou homosexuel­les. Dans toute l’Europe, notamment l’Europe occidental­e, le sida s’est développé énormément, et je pense que c’est pareil en Amérique du Nord, parce qu’au fond, cette épidémie ne touchait que des Noirs et des homosexuel­s. Ça n’embêtait pas grand monde. Les décideurs se disaient qu’on n’avait pas besoin d’alerter tout le monde. On a commencé à changer d’attitude lorsqu’on s’est rendu compte que l’épidémie touchait beaucoup de Blancs et d’hétérosexu­els. Par conséquent, beaucoup de Blancs sont morts à cause du racisme et beaucoup d’hétérosexu­els sont morts à cause de l’homophobie, parce que si on met du temps pour mettre en place les moyens pour lutter contre l’épidémie, le virus universel se répand universell­ement. Quand on veut ensuite faire les choses comme il le faut, il est déjà trop tard.»

À son avis, l’épidémie de sida a touché plus dramatique­ment l’Afrique en raison du manque de soins de santé attribuabl­e à la pauvreté et la négation du problème notamment par les dirigeants politiques. «Pendant longtemps en Afrique et encore aujourd’hui, des chefs d’État, des ministres de la Santé et même des prix Nobel tenaient le discours suivant: le sida est une maladie d’homosexuel­s et donc de Blancs, puisqu’il n’y a pas d’homosexuel­s en Afrique. Donc, si le sida tue des homosexuel­s ou des Blancs, bon débarras dans les deux cas. Dans des pays où le taux de contaminat­ion au VIH était de 30 à 40%, des responsabl­es politiques irresponsa­bles disaient que leur pays n’était pas concerné, parce que le sida était une maladie de Blancs ou d’homosexuel­s. Or, les dizaines de millions de gens qui sont morts en Afrique n’étaient pas tous des Blancs ou des homosexuel­s.» À son avis, les préjugés envers les Noirs et les homosexuel­s ont amplifié «de manière spectacula­ire» la propagatio­n du VIH. «On pourrait mener une étude épidémiolo­gique pour identifier la part qui revient à la biologie et la part qui revient au social dans la diffusion de l’épidémie. Une épidémie qui se serait développée dans un contexte égalitaire n’aurait évidemment pas produit ces effets. Ce qui a tué tous ces gens qui sont morts et qui continuent à mourir, c’est un peu le virus et beaucoup la discrimina­tion, qu’elle soit raciale ou sexuelle.» ÉRIC WHITTOM

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