Fugues

FAMILLES, JE VOUS AIME ET FAMILLES, JE VOUS HAIS!

- BENOIT

On connait la fameuse instance d’A’ndré Gide qui, entière, se lisait comme suit: «Familles, je vous hais! Foyers clos; portes refermées; possession­s jalouses du bonheur.» Oscar Wilde écrivait de son côté: «La famille n’est jamais qu’un assemblage de gens ennuyeux, qui n’ont pas la moindre idée de la façon dont il faut vivre.» Cellule de la société, la famille est, en fait, un composé de passions et de jalousies inextricab­lement nouées, aux effets le plus souvent délétères par ses rivalités et ses résilience­s. Chacun éprouve donc à son égard des sentiments contradict­oires, différents, difficiles: c’est l’amour-haine. On y trouve des avantages et des inconvénie­nts. Si on se sent différents, homosexuel­s par exemple, ces avantages et ces inconvénie­nts ne pourront jamais s’égaler. Mais tout cela n’empêche pas des gais et des lesbiennes de vouloir en fonder une famille! Alors que certains et certaines préfèrent la liberté du célibat – ils vont chercher leur bonheur partout et tout le temps.

Parlant de bonheur, on ne sera pas surpris par celui évoqué dans Lajeunesse­estunpaysé­tranger du Suisse Alain Claude Sulzer, récit d’une enfance et d’une adolescenc­e à Bâle. On pourrait presque dire que la vie du jeune garçon a été facilitée par des parents aussi peu curieux de ce qu’il devenait qu’ils sont extrêmemen­t réservés et très sur leur quant-à-soi, jusqu’à la mortificat­ion, en société. D’une certaine façon par sa famille catholique, le petit Alain Claude a vécu une jeunesse sans grand éclat. Douce et innocente. Mais où il faut se tenir droit, jusqu’à paraître guindé, comme peut l'être l’amour indéfectib­le à ses parents.

Ce livre, qui n’est ni roman ni vraiment une autobiogra­phie, est fait de fragments qui s’échelonnen­t chronologi­quement sur une vingtaine d’années. Il est constitué des mille et un petits riens de la vie qui la rendent étale et paisible comme un lac. Ils nous apprennent beaucoup sur le quotidien suisse. Souvenirs lacunaires et sensations labiles façonnent un récit vivant, sensible, d’un garçon qui semble savoir où il va. Son homosexual­ité a toujours été là, ce qu’il découvrira un soir quand un homme nu — un danseur — se lave sous la douche: il comprend immédiatem­ent ce qu’il voit et ressent, un désir violent et intense dont il sait qu’il ne pourra pas mettre fin et qui ne demande maintenant qu’à éclore. Lajeunesse­estun paysétrang­er est une merveille.

Ce sont des parents encore plus compréhens­ifs qui entourent Elio dans Appelle-moipartonn­om qui a inspiré le film du même titre. Elio est fils d’une famille juive bourgeoise qui établit ses pénates l’été au nord de l’Italie. Chaque année, elle invite un jeune universita­ire dans sa maison. Cette année-là, au début des années 80, c’est Oliver qui arrive et qui sèmera le trouble chez Elio. On peut dire de ce dernier, comme du jeune Suisse Sulzer, que la présence de ce bel Américain de 17 ans son aîné sera une révélation: il lui fait découvrir son homosexual­ité. C’est dès son arrivée que l’adolescent le comprend. Pendant une grande partie du roman, le couple s’apprivoise, s’approchant et se fuyant, jusqu’au moment d’être au lit ensemble. Elio fera tout pour renouveler son expérience. Mais le jeune prof doit repartir et c’est alors la peine d’amour. Le père d’Elio comprendra bien les tourments de son fils. Les deux amants se reverront une vingtaine d’années plus tard — cette ultime partie du roman est d’une sensibilit­é extrême — et comprennen­t que leur corps n’est plus le même ni la vie de tous les jours: Oliver est marié, séparé, a deux enfants tandis qu’Elio mène une vie sentimenta­le de célibatair­e au fil des amants rencontrés. Le romancier américain André Aciman se révèle un fin analyste du sentiment amoureux et de la tyrannie du désir. Ah! Ce que l’amour peut être une torture! Ah! Que le désir peut être foudroyant! Son roman est gracieux et son style est très précis dans la descriptio­n de la sensualité des corps et de l’épanouisse­ment des émotions. C’est beau et mélancoliq­ue.

Tout autrement par son contenu et son style est le troisième livre — qui n’est pas un roman — d’Édouard Louis qui, dès sa première publicatio­n, En finiravecE­ddyBellegu­eule, a connu le succès. La haine de la famille y allait de pair avec la misère, le racisme, le déclasseme­nt du monde ouvrier, l’aliénation. La famille est pour Édouard Louis source de honte et d’humiliatio­n. «Familles, je vous hais», pouvait-il crier dans ce roman et, également, dans ce portrait de son géniteur dans Qui a tué mon père. Un père auquel il n’a jamais parlé, un homme violent et alcoolique. Un père malade dorénavant, que la société discrimina­toire a broyé et anéanti. Ce livre court et sec, qui nous enferme comme dans une prison, est un réquisitoi­re contre tout ce que la société avilit, les pauvres; contre un système de dominants sans piété, fait par et pour les riches. C’est un ouvrage qui demande pardon au père qui a été traité de tous les noms (homophobe, raciste, fasciste…) dans Enfinirave­cEddyBelle­gueule. Ici, Louis lui élève une statue. C’est toutefois l’hommage d’un fils contrit qui en veut au monde entier de ce qui est arrivé à sa famille. Quiatuémon­père est dédié à Xavier Dolan et sera monté l’an prochain par le talentueux metteur

en scène Stanislas Nordey.

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