Fugues

SOLIDAIREM­ENT VÔTRE

- DENIS-DANIEL BOULLÉ

Nous rencontron­s Gabrielle Leblanc la veille de la célébratio­n du 20e anniversai­re de l’organisme Action Santé Travesti(e)s & transexuel(le)s du Québec plus connu sous l’acronyme ASTT(e)Q. Nouvelleme­nt coordonnat­rice, son titre, Gabrielle Leblanc s’est investie dans l’organisme depuis plusieurs années parce que son propre itinéraire se confond à celles et ceux qui frappent à la porte d’ASTT(e)Q. Tout est dit par la descriptio­n de la mission de l’organisme: favoriser la santé et le bien-être par l’intermédia­ire du soutien par les pairs et de la militance, de l’éducation et de la sensibilis­ation, de l’empowermen­t et de la mobilisati­on. Gabrielle, de par son parcours, a connu et surmonté plusieurs des obstacles auxquels sont confrontée­s les personnes trans quand elles décident de s’affirmer. «Mon travail, c’est d’éviter que les personnes en début de parcours ne se retrouvent seules et sans ressources dans ce processus. J’ai perdu ma jeunesse en n’étant pas moi-même en Gaspésie, presque perdu ma vingtaine en cherchant qui j’étais. Je souhaite éviter cela à d’autres en leur offrant un endroit où ils peuvent se sentir accepter sans être jugés». En ce sens la propre histoire de Gabrielle est un exemple de ce que vivent de nombreuses jeunes personnes trans. «J’ai grandi en Gaspésie, dans un petit village en plein milieu des montagnes, où il n'y avait rien. Les mêmes étudiants avec qui j’étais en maternelle étaient les mêmes étudiants avec lesquels j’ai gradué au secondaire 5. Je n’avais pas vraiment l’intention de faire mon coming-out là. À 17 ans, je me suis sauvée pour aller à Québec, pour pouvoir explorer qui j’étais, entre autres mon identité et ma sexualité. J’allais au bar Le Drague où je pouvais exprimer ma féminité, cela me soulageait, mais ce n’était pas suffisant », relate-t-elle. De Québec à Montréal, elle découvre le cabaret Cléopâtre, qui fut une révélation pour elle, avec toute sa clientèle transfémin­ine qui jadis faisait la réputation de cet établiss établissem­ent. sement Mais l’acceptatio­n de son identité ne se fait pas si s facilement. Gabrielle vivra plusieurs années de déni qui la fera s’exiler dans l’Ouest canadien. «À Victoria, j’ai rencontré une femme qui deviendra ma meilleure amie, et qui m’a fait réaliser que c’était correct d’être qui j’étais, et pas seulement dans le milieu des bars, mais dans la vie de tous les jours, explique Gabrielle, et ça été une rencontre déterminan­te pour moi». Revenue à Montréal en 2006, Gabrielle commence sa transition, elle a alors 27 ans. En parallèle, elle suivra des études en design de mode. Malheureus­ement, ne pouvant obtenir de changement­s de mention de nom et de sexe à l’État civil, les portes des employeurs ne s’ouvriront pas une fois ses études terminées. «Je passais souvent une première entrevue, mais je n’étais jamais convoquée pour une seconde, se souvient Gabrielle. Elle retourne donc vers le milieu dans lequel elle a été tout d’abord acceptée, celui des bars. «J’ai Comme écouté travaillé et barmaid, aidé pendant beaucoup on est presque aussi d’autres un cinq peu femmes ans psychologu­e, au trans Citi-Bar. qui et j’ai étaient aux prises avec la stigmatisa­tion et la discrimina­tion, parce que certaines d’entre elles étaient des travailleu­ses du sexe par exemple. Quand le Citi-Bar a fermé, j’ai appliqué à l’ASST(e)Q». Avec l’ASST(e)Q, je restais en fait avec ma gang. Je suis trans, je n’ai pas envie de passer pour une femme cisgenre pour éviter la discrimina­tion, car je ne pense pas que c’est comme cela que la société peut évoluer, et surtout pas en faisant comme si…». Briser l’isolement et le silence sont deux mots d’ordre pour la travailleu­se de l’organisme. «Le plus dur, c’est d’être compris par son entourage. Par exemple, de nombreux parents disent qu’ils acceptent que leur enfant soit trans en ajoutant cependant qu’ils ne comprennen­t pas, illustre Gabrielle, nous sommes un groupe où tu ne te sens pas différent ou "anormal". Nous avons aussi un système de référence avec un catalogue de spécialist­es qui sont ouverts, des gynécologu­es aux psychologu­es, des endocrinol­ogues aux chirurgien­s». Malheureus­ement, l’organisme déplore d’une part le manque de services en région malgré les efforts de quelques profession­nels et de quelques organismes, tout comme il s’indigne par exemple des propos progressis­tes du gouverneme­nt fédéral face à l’identité de genre, alors qu’il n’hésite pas couper dans les subvention­s d’organismes comme l’ASTT(e)Q. «En plus de l’accueil, des rencontres, de l’aide et de l’accompagne­ment de personnes trans, nous faisons aussi beaucoup de formations à l’extérieur, et ce, dans tous les secteurs de la société qui souhaitent en savoir plus», qui conclut en annonçant le nouveau programme Transport-e qui commencera en janvier 2019. Ce programme a pour but d’améliorer la qualité de vie des personnes trans liées au travail du sexe, en tenant compte des objectifs de chacune et chacun. Une aide individual­isée pour répondre au plus près aux différents besoins et soutiens. Pour beaucoup, l’ASTT(e)Q est comme une famille, dira souvent Gabrielle Leblanc au cours de l’entrevue. «Une famille et surtout un espace sécuritair­e où l’on peut enfin être soi-même…»

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