LES MIGNONS: L’AMOUR, C’EST LA GUERRE par Frédéric Tremblay
Les deux parties de ce couple hétérosexuel qui traverse le Village étroitement élancé, ce sont de toute évidence deux hydrogènes indissolublement unis l’un à l’autre, et incapables de se lier avec d’autres atomes. (Bon, il faut dire que leur démonstration publique d’affection relève probablement davantage d’une volonté de montrer que cette belle pièce d’homme n’est pas disponible pour les désirs homosexuels environnants… mais n’empêche.) Et il y a quelque chose du méthane dans ce groupe de cinq qui déambule en riant, quatre vingtenaires débutants et un trentenaire admirablement conservé – ce dernier jouant le rôle du carbone central, les autres des hydrogènes n’interagissant les uns avec les autres que par leur relation avec lui. Attablé à une terrasse à siroter tranquillement sa sangria, son portable ouvert sur la table et prêt à recevoir la moindre des pensées qui défilent dans son esprit, Jonathan analyse ainsi les relations des petits et grands groupes qui circulent sur Sainte-Catherine. Il étend ce schéma chimique jusqu’aux individus qui, dans les regards qu’ils jettent sur d’autres, échangent subrepticement, se rendent ou ne se rendent pas, manifestent soit leur statut de gaz noble, soit le manque d’électrons sur leur couche de valence.
Depuis dance actions hypothèse complexité théories à sa humaines. appliquer psychologiques. conversation de est départ, beaucoup Il la trouve théorie à savoir avec Un plus partout autre Olivier, de proche que la valence artiste c’est la il de confirmation a là plus la aurait un à réalité toutes que modèle résisté jamais que les de dont les inter- son à ten- la cette turelles. qu’il a invasion toujours Lui au des contraire voulu sciences que y son ouvre humaines art les soit bras par hybride les avec sciences et joie, grandisse parce na- de tout d’amis ce ont qu’il toujours côtoie. été C’est diversifiés pour cette au raison possible. que Même ses groupes en se ghettoïsant davantage ces derniers temps à force de côtoyer majoritairement des gais, il s’efforce de ne pas se tenir qu’avec des artistes et de diversifier ses débats et ses réflexions. Oui, décidément, écrire un roman sur cette idée est un projet qui en vaut la peine. Il se permet de ne pas décider déjà des personnages et des situations exactes qui lui permettront d’exposer, au-delà du polyamour, la polyvalence – la diversité des états de valence amoureux –, voulant d’abord s’imprégner au maximum de sa fascination pour cette diversité.
Inévitablement, maines ment après lecture son le ou qui sexe, esprit. de suivent télésérie, ou son Entre encore que copain deux quelque Ludovic quand Ludovic conversations Jonathan devine chose réalise occupe que prend lors au sa particulière- cours réflexion d’une une pause des activité, n’est se- de jamais une idée en d’histoire repos. Il finit et je par la laisse l’interroger s’élaborer ouvertement. dans ma tête.» «J’ai eu «Une pièce? Un film?» Quand il parle de roman, Ludovic hausse un sourcil. Mais il l’écoute patiemment lui parler de son intuition, de ses recherches wikipédiennes, de ses études sur le terrain. «Es-tu en train de m’annoncer que tu te considères polyamoureux?» Jonathan éclate de rire. «Mais non, voyons! Je te dis juste que je commence à croire que c’est possible et que ça peut même être très beau, même si moi, je suis monoamoureux à 100%!» Ludovic hoche la tête. «Je vois.
C’est virement dérant polyamoureux quand qu’on de même situation, se ensemble moquait un gros consi- il des re- y a quelques «Tu me connais semaines : j’aime à peine…» rester ouvert à de nouvelles idées. D’autant plus si elles peuvent donner des oeuvres d’art originales. Tu n’es pas d’accord avec moi, que c’est un projet qui a du potentiel? Et que ça se ferait beaucoup mieux en roman qu’en pièce de théâtre ou en film?» Ludovic lui sourit. «J’avoue que même si je suis frileux avec l’idée que tu me fasses ta sortie du placard comme polyamoureux à force de trop flirter avec le sujet, tu as un concept qui peut donner quelque chose de solide, et je te fais confiance pour bien le rendre.»
Sa confiance gonflée à bloc par la validation de son copain, Jonathan se dit qu’il y a une dernière personne à laquelle il doit demander ce qu’elle en pense pour être définitivement certain de la valeur de son projet. Dès le lendemain donc, il se rend chez Louise. Il la trouve assise dans son fauteuil sur le bord de la fenêtre en train de faire des mots croisés. «Salut Loulou! Bien revenue à tes loisirs de p’tite vieille, comme ça?» Hospitalisée récemment pour un épisode psychotique bref qui s’est manifesté par un délire paranoïde, elle s’en est heureusement tirée sans séquelles. Ses mignons l’ont bien supportée lors de son séjour au CHUM et de son retour à la maison. «Ah! s’il faut être plate pour garder toute sa tête, cré-moi, j’vas en faire des mots croisés mon gars!» «Tu dis ça maintenant, mais dans une semaine tu vas être redevenue notre bonne vieille casse-cou… et casse-couilles!» Elle tire la langue. «Tu v’naistu me voir juste pour me narguer, toi, ou t’avais quelque chose à me demander?» Jonathan rit. «Tu me connais tellement bien. Je voulais avoir ton avis à propos d’un tout petit quelque chose.» Il refait donc pour elle le fil de pensée qui l’a mené à son idée telle qu’elle est maintenant. «T’as pas peur de catégoriser encore plus, au lieu de libérer les sentiments?» «Les étiquettes sont inévitables. Il faut juste le réaliser et les multiplier. La variabilité est la loi de la matière, d’accord, chez les atomes comme chez les humains, mais il restera toujours des tendances qui se dégageront et qui vaudront d’être comprises.» «Au fond, tu veux faire un genre de tableau périodique des amours.» La mâchoire de Jonathan en tombe. «J’A-DO-RE. Tu permets que je te la vole?» «Vas-y fort!»