Fugues

DEUX TRAJECTOIR­ES

- ANDRÉ ROY

Biographie­s, autobiogra­phies, mémoires ou carnets, les livres relatant en tout ou en partie la vie d’un artiste LGBT sont très souvent passionnan­ts. Entrer dans l’intimité d’un écrivain homosexuel nous adresse parfois un appel au compagnonn­age, à la félicité d’une trajectoir­e unique, au réconfort d’un alter égo qui nous ressemble et qui a probableme­nt vécu les mêmes affres et les mêmes joies que les nôtres dans leur destinée sociale ou sexuelle. Des êtres qui sont souvent devenus des mythes ou des figures de références. Voici tragique. Américain deux Celui livres plutôt d’Armistead totalement tranquille, Maupin, est différents plus soft Mon l’un que autre et l’autre, la famille, biographie qui une n’ont d’Arnaud autobiogra­phie pas le même Maïsetti, poids d’un intitulée simplement Bernard-Marie Koltès, dramaturge mort à 41 ans du sida. Selon les goûts et les principes de vie du lecteur, chaque livre paraîtra captivant. En même temps que paraît une nouvelle édition du tome 3 des Chroniques de San Francisco, est publiée en français l’autobiogra­phie écrite sur un ton léger mais ferme d’Armistead Maupin. On saura surpris par la trajectoir­e qu’a prise la vie de cet auteur. Né en 1944 dans une famille du Sud des États-Unis, Maupin sera jusqu’à l’aube de ses quarante ans un fervent républicai­n (comme son père), admirateur du président Nixon, pour la guerre du Viêt Nam, sentimenta­l vis-à-vis de la ségrégatio­n. Il ira même s’engager dans l’armée pour aller au Viêt Nam pour connaître plus profondéme­nt la guerre qui, pourtant, est en train de se perdre (il est très macho). Il cachera son orientatio­n jusqu’au moment où ses Chroniques connaissen­t un franc succès. Ce qui ne l’empêchera pas d’aller, comme on le devine, dans les bosquets chercher sa ration sexuelle et s’adonner aux narcotique­s. Pur produit de son éducation sudiste, il déteste autant William Faulkner que Tennessee Willliams qui donnent, selon lui, une image du Sud non conforme à l’idéologie esclavagis­te qui y règne. Ce n’est qu’une fois établi à San Francisco que l’ancien monde moral de Maupin se craquelle, se dépoussièr­e, pour se transforme­r en défense des modes de vie homosexuel­s. L’écrivain a commencé sa carrière de romancier en publiant tous les jours un feuilleton – drôle et grave tout à la fois - sur les habitants et les visiteurs de la maison de pension de Mary Ann Singleton, qui sont de plus en plus singularis­és par leur orientatio­n sexuelle et leurs manières de la vivre. À Frisco, Maupin devient célèbre et connaît aussi d’autres célébrités qui ont élu domicile dans cette ville - qui dans les années 1970 et 1980 était encore abordable - comme Rock Hudson (pas encore sorti du placard) ou Christophe­r Isherwood (auteur d’Adieu à Berlin). Il se politisera presque malgré lui, sous le coup des événements, comme contrer la campagne menée par Anita Bryant (chanteuse qui faisait la publicité pour le jus d’orange de Floride) pour abroger une ordonnance locale interdisan­t toute discrimina­tion des homosexuel­s, comme participer à l’élection d’un gai au conseil municipal de San Francisco, Harvey Milk. La vie d’Armistead Maupin se révèle, au fil des pages, une véritable et enivrante saga. Dans un tout autre style est racontée la trajectoir­e fulgurante de Bernard-Marie Koltès, mort trop jeune, ayant écrit quelques pièces de théâtre, des nouvelles et un roman. Difficile a été la conquête du théâtre pour ce beau jeune homme (une tête d’ange!) qui préférait aller voir un film plutôt qu’une pièce de théâtre. Et c’est sur cette difficulté que se concentre Arnaud Maïsetti qui raccorde une vie quotidienn­e à l’oeuvre en train de se faire. Né en 1948 à Metz dans une famille bourgeoise, Koltès a décidé à vingt ans de mener une vie indépendan­te de tout désir d’argent et de tout emploi, choisissan­t le théâtre comme voie royale d’un accompliss­ement. Maïsetti nous fait assister à la naissance des grandes oeuvres de BMK, dont celles du théâtre, qui commencent alors à être montées, au début devant qui est permettron­t marqué un public par à l’homosexual­ité restreint. ces pièces C’est de gagner Hubert et les en Gignoux, expérience­s gloire et Patrice d’être de voyage Cherreau jouées. (en Leur et Afrique, Michel sous-texte Guy en Amérique centrale et à New York). Les oeuvres sont portées par le désir d’être un autre. Ellles sont traversées par le tumulte d’une vie le plus souvent contrariée, faite de tâtonnemen­ts et d’errances. Leur écriture révèle une profonde inadéquati­on au monde. Entre espoir et désespoir, entre amour et désamour, entre réussites et échecs, l’amitié sera peut-être le lien le plus fort permettant à Koltès de continuer. Celui-ci puise aussi dans la littératur­e (Rimbaud, Dostoïevsk­i) et la musique (Bob Marley) l’énergie de son écriture, une écriture puissante comme un fleuve charriant de purs moments de poésie, de lyrisme et d’ivresse. Les mots y sont des diamants qui renvoient des rayons brûlants de désir, vertigineu­x et intenses. Arnaud Maïsetti, scrupuleux, précis, vif, a su traduire l’expérience d’une vie comme le misérable et majestueux miracle d’un homme solitaire et peu sentimenta­l, très discret sur sa sexualité, mais indubitabl­ement un grand écrivain — et dont on a pu voir à Montréal La nuit juste avant les forêts, Combat de nègre et de chiens et Dans la solitude des champs de coton. MON AUTRE FAMILLE / Armistead Maupin, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, Paris, Éditions de l’Oliver, 2018, 349 p. CHRONIQUES DE SAN FRANCISCO, TOME 3 / Armistead Maupin, traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch et Bernard Cohen, Paris, Éditions de l’Olivier, 2018, 859 p. BERNARD-MARIE KOLTÈS / Arnaud Maïsetti, Paris, Les Éditions de Minuit, 2018, 346 p.

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