Fugues

AU-DELÀ DES CLICHÉS par Samuel Larochelle

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com Instagram : samuel_larochelle

«Tu diras à ton ami qu’il devrait arrêter de faire la promotion de son homosexual­ité avec son look…». L’ami en question, c’était moi. L’auteur de la citation, un homme hétérosexu­el qui m’a croisé alors que je portais un très long manteau, de jolies bottes et des pantalons aux lignes asymétriqu­es, avec mes cheveux tressés et rassemblés en chignon.

Sur le coup, il m’a donné envie de hurler. Comment pouvaitil être à ce point arriéré et me conseiller de cacher ce qui, selon lui, pourrait faire comprendre aux yeux extérieurs que je suis gai, comme si c’était honteux et que je devais le cacher? Puis, les jours ont passé et son commentair­e m’a fait réaliser à quel point j’aimais faire partie de la marge. Un mot qui s’applique pourtant de moins en moins à la communauté LGBTQ… Avant d’aller plus loin, permettez-moi d’éteindre les feux qui s’allument dans l’esprit de certains lecteurs. Bien sûr que je salue les avancées historique­s des droits LGBTQ. Les lesbiennes, gais, bisexuels, trans, queer et autres membres de l’acronyme sont tous des humains qui méritent l’égalité, le droit d’exister, de travailler sans craindre de perdre leur emploi, de se marier, d’adopter et bien plus encore. Mais l’égalité ne nous oblige pas à imiter les hétérosexu­els. À nouveau, j’appelle les pompiers en renfort pour préciser que les straights n’ont pas le monopole d’un mode de vie, du couple monogame exclusif, de la cohabitati­on dans une maison, de la parentalit­é et de tous les éléments associés au bonheur dans sa forme traditionn­elle. Ces préférence­s appartienn­ent à des individus et non à une orientatio­n sexuelle. Cela dit, j’ai envie de poser une question aux membres de la communauté : pourquoi avons-nous délaissé presque tout ce qui nous caractéris­ait et nous faisait briller? Je suis le premier à affirmer que nos préférence­s sexuelles ne doivent pas résumer notre identité et que nous n’avons pas l’obligation de ressembler à ceux qui les partagent. Toutefois, on dirait que les personnes LGBTQ ont de plus en plus peur de se démarquer, de porter – à l’occasion ou tous les jours – des vêtements flamboyant­s, d’admirer des artistes qui ne font pas partie de la culture mainstream ou de partager des codes surtout connus par un petit nombre d’individus. Je ne parle pas ici des bandanas de couleurs différente­s qui, à une certaine époque, indiquaien­t nos goûts sexuels aux seules personnes capables de comprendre leurs significat­ions. Je n’encourage personne à aimer un chanteur seulement parce qu’il n’est pas connu de la masse. Et je ne crois pas qu’il faille s’habiller d’une façon qui ne nous ressemble pas. Mais je questionne. Sommes-nous en train de disparaîtr­e depuis que la majorité des droits ont été obtenus? Avons-nous acheté la paix? Entretenon­s-nous encore les vieux réflexes de l’époque où il pouvait être dan- gereux de sortir du lot et d’être identifié LGBTQ? Est-ce pour cette raison que plusieurs membres de la communauté semblent se dire «mon orientatio­n sexuelle n’est pas celle de la majorité, mais je vais tout faire pour ressembler à tout le monde et juger ceux qui osent quitter les rangs»? Je suis conscient du privilège d’être un homosexuel québécois en 2019 et des droits dont j’ai hérité. Mais plus je vieillis, plus je cherche à me démarquer autrement. Avec une crinière bouclée. Des cheveux tressés. Des vêtements que peu de gens osent porter. Je trouve ça grisant de sentir que je fais partie d’une minorité de personnes qui comprend des références culturelle­s (le voguing, Stonewall, les mauvais films EatingOut, les virées à Provinceto­wn, la jeep de Brian dans Queerasfol­k version british ET version américaine, la présence de l’actrice de Flashdance dans TheL World, les centaines de clins d’oeil à RuPaul’s drag race, Suzanne Clément comme fantasme de tant de lesbiennes québécoise­s, le rôle important joué par Lez Spread the World). Je suis fier de savoir que plusieurs chanteurs doivent une partie de leur carrière au soutien de la communauté LGBTQ, longtemps réputée pour son côté avantgardi­ste et sa capacité à sortir des sentiers battus. Je ne souhaite pas que tous les gais me ressemblen­t. Je ne leur demande pas de changer de goûts si ça adonne que ceux-ci ressemblen­t à ceux de la majorité hétérosexu­elle. Mais j’encourage ceux qui aiment l’unicité sous toutes ses formes à la porter comme un drapeau. Peut-être que j’écris tout cela et que je suis seul de ma gang. Peut-être que tout ce que je raconte vient de mon besoin d’attention, d’une envie de me sentir spécial et d’un tempéramen­t artistique qui ne font pas échos en vous. Mais j’ose croire que je ne suis pas le seul qui désire profiter de l’égalité grandissan­te, en gardant la porte ouverte à un peu d’originalit­é et d’éclat. Au final, si le reste de la société croit découvrir mes préférence­s sexuelles à cause de mon linge, de ma chanson préférée, du Cutex sur mes pouces, de ma coupe de cheveux et de mes expression­s, je répondrai une chose: et puis après?

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