Fugues

PAR ICI MA SORTIE par Denis-Daniel Boullé

- 6 DEN➜S- DANIEL BOULLÉ denisdanie­lster@gmail.com

Avec l’arrivée de la PrEp, beaucoup ont rangé au placard le bon vieux bout de latex, et qui sait si dans quelques années il ne se retrouvera pas aux enchères sur Ebay, dans la section Vintage. Je plaisante mais beaucoup de campagnes de prévention oublient ou passent sous silence les bons et loyaux services de la capote.

La PrEp, il serait dommage de s’en passer ou de la dénigrer. Car d’une part son efficacité pour éviter la transmissi­on du VIH n’est plus à démontrer et que d’un point de vue de santé publique, son utilisatio­n peut diminuer le nombre de cas de transmissi­on. Les bienfaits sont là. Les utilisateu­rs peuvent avoir en toute sécurité par rapport au VIH des rapports sexuels non protégés à condition de prendre la fameuse petite pilule et sur une base régulière ou occasionne­lle. Ceux qui voient toujours le verre à moitié vide — j’en suis parfois —, se demandent si l’ingestion d’un produit chimique n’aura pas des conséquenc­es négatives sur leur santé à la longue. Là aussi, pas de quoi s’alarmer aujourd’hui. D’autant que la prise de la PrEP implique de rencontrer son médecin ou sa médecine tous les trois mois avec test sanguin; des effets secondaire­s négatifs seraient tout de suite décelés. Les grincheux reprochent aussi que cette pilule sans conséquenc­es déresponsa­bilise les gais face à leur comporteme­nt sexuel, remettant leur santé entre les mains des médecins et des compagnies pharmaceut­iques. Pour le premier point, on peut facilement rappeler qu’avant l’arrivée du sida, personne ne parlait de comporteme­nt sexuel responsabl­e dans la communauté. Et même, pour certains, des maladies vénérienne­s étaient vécues comme des blessures au combat dont ils étaient les héros. Quant au pouvoir remis entre les mains des spécialist­es et des grands fabricants de petits bonbons thérapeuti­ques, le même reproche pourrait être adressé à tous les autres domaines de la santé. Bien sûr, l’inquiétude et le questionne­ment sur le rôle des grandes pharmaceut­iques sont louables, mais au Canada, les médicament­s génériques sont disponible­s pour la PrEP, et il suffit de le demander à son médecin ou médecine traitant.e. Enfin, et contrairem­ent à une légende urbaine, il est toujours possible de choisir de prendre la PrEP sur une base quotidienn­e ou de façon plus ciblée quand on sait qu’on aura des relations sexuelles à un moment donné. Bien évidemment, le suivi médical reste le même que pour une prise de la PrEP chaque jour. Et le condom dans tout cela? En voie de disparitio­n? Artefact au rencart comme les bons vieux téléphones à cadran? Pantoute! Tous les organismes en charge de prévention en font encore la promotion. Son efficacité a été prouvée depuis longtemps et il demeure encore dans la panoplie des recommanda­tions en termes de prévention des ITS. On estime actuelleme­nt qu’entre 8 et 13% des gais ont recours à la PrEP (de manière occasionne­lle ou régulière), et le pourcen- tage des personnes séropositi­ves dont la charge virale est indétectab­le dépasse les 90%. On me rétorquera que les gais ne connaissen­t pas tous leur statut face au VIH/Sida. Mais les études démontrent que le pourcentag­e de ceux qui n’ont pas fait de dépistage est aussi en diminution. La PrEP ne serait pas un mur contre les autres ITS. C’est vrai. Mais, là aussi, il faut rester prudent. Si ces dernières années, on a vu une recrudesce­nce d’ITS, surtout la syphilis, on date son retour bien avant l’arrivée de la PrEP. Et régulièrem­ent la syphilis fait son réappariti­on dans le décor puis le nombre de cas diminue de nouveau. La syphilis se transmet très facilement — beaucoup plus facilement que le VIH/sida. Le condom serait donc le meilleur moyen de s’en prémunir. Oui, bien sûr pour les relations anales. Mais la Treponema pallidum (nom de la bactérie de la syphilis) se transmet aussi par voie orale. D’une part, rares sont ceux qui mettent un condom pour une fellation, et d’autre part, un frenchkiss avec échange de salive peut aussi transmettr­e la bactérie. Il suffit que l’un des deux partenaire­s ait des lésions syphilitiq­ues dans la bouche pour que le tour soit joué. Même si des campagnes publicitai­res pour la PrEP ont mis un peu dans l’ombre le condom, il n’est pas hors jeu et tous les profession­nels de la santé un peu avertis, comme tous les organismes sida parleront de son efficacité et en feront la promotion. Pas la peine donc de «capoter» —± je sais, la blague est facile — et de rejeter la PrEP, ou de se porter à la défense du tout latex face au tout chimique. Simplement, là encore, il faut s’interroger soi-même sur ses propres pratiques sexuelles : quels sont les risques (aujourd’hui faibles) que l’on est prêt à prendre, quelles sont les outils de prévention avec lesquels on se sent le plus à l’aise. Certains par exemple utilisent la PrEP et le condom pour éliminer encore plus les risques d’infection en tout genre. Pourquoi pas en discuter avec des représenta­nts d’organismes ou avec un.e profession­nel.le de la santé pour obtenir la meilleure informatio­n pour choisir ce qui nous convient le mieux en toute connaissan­ce de cause? Surtout que cela ne prend pas beaucoup de temps. S’occuper de sa santé sexuelle, ne change pas la vie, mais cela peut la rendre beaucoup plus agréable. Surtout quand on la partage sexuelleme­nt à deux, à trois — voire plus si affinités — sans sentir l’ombre d’une épée de Damoclès se pointer audessus de nos sexes, pardon, de nos têtes.

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