SCÈNE : DANSE (ISMAEL MOUARAKI
Les changements technologiques et l’intelligence artificielle modifient notre relation au monde. Mais ont-ils un effet, peut-être moins visibles, sur notre perception de nous-mêmes? De nous penser par exemple de plus en plus comme des machines humaines et moins comme des êtres humains? Le danseur et chorégraphe Ismaël Mouaraki explore, dans sa nouvelle création Phenomena, les bouleversements qui pourraient se produire et nous transformer en des êtres hybrides.
Ismaël Mouaraki a un parcours atypique. D’origine franco-marocaine, il a été élevé dans une grande cité de l'est de la France. Rien ne le prédestinait à devenir un chorégraphe reconnu par ses pairs. À l’adolescence, il découvre la danse de rue avec ses amis, une révélation qui lui donne la piqûre. «Ce qui est bien avec la danse urbaine, c'est que tu n'as pas besoin de grand chose, une paire de chaussures de sport et c'est tout. Et puis très vite, tu acquiers comme un statut social d'artiste, on ne te regarde plus de la même façon», avance Ismaël en entrevue. Le lien avec ses origines culturelles marocaines où la musique et la danse sont très importantes: «il n'y a pas une fête, mariages, baptêmes, où l'on ne chante et ne danse pas, et j'ai été aussi marqué très jeune par les danses marocaines, dont les danses transes présentes dans toutes les cérémonies», continue le danseur. Fort de son expérience en danse urbaine, le jeune homme n'hésitera pas à faire le siège des salles de spectacles, des compagnies de danse pour se faire reconnaître. «Les refus auxquels je faisais face ne faisaient que renforcer mon entêtement à ouvrir les portes du monde de la danse», nous confie le danseur qui ne veut pas s'étendre sur cette période, préférant parler de sa détermination. «Et puis un jour, les rencontres se sont faites et tout a vraiment commencé à partir de là; ce sont d'ailleurs ces rencontres qui m'ont donné l'idée d'appeler ma compagnie Destins Croisés. Une des grandes chances d'être un autodidacte c'est qu'on ne cesse d'apprendre à apprendre. En rencontrant d'autres chorégraphes, j'ai eu une autre vision, une vision plus large de ce qu'était la danse et cela m’a aussi construit comme chorégraphe». Une insistance de près de vingt ans pendant lesquels Ismaël Mouaraki va peaufiner sa signature chorégraphique, et qui au fil des rencontres, des opportunités vont petit à petit amener la reconnaissance aussi bien du public que de ses pairs. Phenomena représente trois ans de travail pour le chorégraphe, avec une approche au début très théorique. Le danseur a voulu en connaître plus sur les avancées technologiques, le transhumanisme et le concept d’humain augmenté. «Ce qui m'a beaucoup questionné au fil de mes recherches qu'elles soient philosophiques, ou en sciences sociales, c'est toute la question de l'immortalité, explique Ismaël Mouaraki, ou encore comment l'humain a continuellement étudié le phénomène de la vie pour améliorer sa propre vie. Et aujourd'hui, c'est à l'intérieur du corps qu'on imite la vie pour devenir immortel tels des demi-dieux. On retourne aux mythologies, c'est extraordinaire et inquiétant. Je n'ai pas eu envie de mettre beaucoup de technologies sur scène dans Phenomena car je pense qu'elles seront de moins en visibles puisqu'intégrées et vivantes en nous. Il y a pour moi dans ce phénomène un matériel chorégraphique intéressant, de jouer sur quelque chose que l'on ne verrait pas mais que l'on ressentirait dans le corps. Je suis donc parti d'un espace épuré sur scène, et j’ai travaillé sur les changements que cela pourrait imprimer à nos mouvements, et sur nos rencontres avec les autres. C’est ce qu’on explore dans Phenomena », précise Ismaël Mouaraki. Avec lui des danseurs et des danseuses avec qui il entretient une relation de complicité poussée à l’extrême. Certain.es travaillent avec lui depuis longtemps, et d’autres se joignent à cette aventure avant tout humaine. «Pour moi, toute création est avant tout une aventure humaine, d’abord avec les interprètes, puis avec le public. Et c’est bien plus fort, plus intéressant que de se poser la question sur le type de danse que je privilégie. La seule constante, et qui est un peu ma signature, c’est la ligne pure dans mon écriture chorégraphique», conclut le chorégraphe. Ismaël Mouaraki, puise aux différentes cultures qui le constituent, ancré aussi dans la culture d’aujourd’hui. Il fait partie de la génération des chorégraphes qui ont commencé en dehors du circuit habituel de la danse. Ces influences multiples lui donnent une très grande liberté dans la création, et lui permet de toucher un très large public.
PHENOMENA d’Ismaël Mouaraki - Compagnie Destins Croisés Les 13, 14, 15 mars 2019 à 19h et le 16 mars 2019 à 16h Agora de la danse – Édifice Wilder – Espace danse agoradanse.com