Fugues

LA PRATIQUE CACHÉE DU CHEMSEX À QUÉBEC

- ÉRIC WHITTOM

Certains hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH) consomment «certaines drogues [crystal meth, GHB ou kétamine] avant ou pendant les relations sexuelles dans l’intention spécifique de faciliter, de faire durer ou de rehausser l’intensité des rencontres sexuelles», rapporte sur son site Web CATIE – la source canadienne de renseignem­ents sur le VIH et l’hépatite C. Cette pratique sexuelle est appelée chemsex ou Party and Play (PnP).

Certains adeptes créent des cocktails en ajoutant d’autres substances comme de l’alcool, de la cocaïne, des poppers ou des médicament­s comme le Viagra, souligne en entrevue à Fugues MarcAndré Gaudette, intervenan­t en prévention auprès des HARSAH au Mouvement d’informatio­n et d’entraide dans la lutte contre le VIH-sida (MIELS-Québec).

«Le phénomène du chemsexa émergé massivemen­t dans les grands centres urbains internatio­naux comme Londres, New York ou San Francisco, racontet-il. Depuis trois ou quatre ans, le chemsexa fait son apparition au Canada, dont à Montréal. À Québec, c’est une pratique nouvelle dont quelques cas par-ci par-là nous ont été rapportés. Avant que cette pratique devienne une problémati­que de santé publique à Québec, nous aimerions mettre de l’avant des initiative­s de prévention auprès des HARSAH et créer un dialogue avec la communauté LGBTQ+ pour parler de consommati­on de drogues et d’alcool en contexte sexuel.»

RISQUE ACCRU DE CONTRACTER LES ITSS DONT LE VIH

Outre la possibilit­é d’une surdose ou d’une dépendance aux drogues, les adeptes du chemsex sont beaucoup plus à risque d’attraper des infections transmissi­bles par le sexe et le sang (ITSS). Selon l’intervenan­t du MIELSQuébe­c, ces derniers s’adonnent à des pratiques sexuelles hautement à risque comme le sexe anal sans protection sans connaître le statut sérologiqu­e de leurs partenaire­s (barebackin­g), le fisting, la sexualité en groupe et le partage de seringues employées pour l’injection de drogue intraveine­use. «Ils sont cinq fois plus à risque de contracter le VIH, parce qu’ils ne mettent pas de condom, parce qu’ils multiplien­t les partenaire­s, parce qu’ils n’ont pas de communicat­ion sur leur statut sérologiqu­e, parce que ce sont des hommes très isolés qui prennent des drogues pour se délivrer de leur état de mal-être.»

Il précise que les adeptes du chemsex ne sont pas conscients des risques qu’ils prennent pour leur santé. «C’est une problémati­que beaucoup plus complexe que dans la socialisat­ion et le vécu HARSAH en général. Ils vivent un sentiment d’isolement, de rejet, d’homophobie intérioris­ée et la pression de la masculinit­é dans une société qui valorise la performanc­e, l’endurance et la sexualité débridée. La capacité des personnes à évaluer les risques pour leur santé et à consentir à certaines pratiques est complèteme­nt modifiée, voire temporaire­ment éliminée. Ils compensent leurs maux sociaux assez complexes. Une fois qu’ils ont goûté au chemsex, c’est tellement intense et jouissif comme expérience qu’ils ne sont plus capables de retrouver la même intensité lorsqu’ils ont une relation sexuelle à jeun. C’est alors une double dépendance qui s’installe entre la sexualité et la drogue.»

Il mentionne que les adeptes du chemsex utilisent des applicatio­ns de rencontres comme Grindr pour dénicher les multiples partenaire­s qu’ils rencontren­t dans des maisons, des appartemen­ts et les saunas. «Ils se trouvent en utilisant divers codes comme PnP ou des émoticônes comme une tête de cochon avec des pilules à côté. C’est une pratique très cachée en raison de la stigmatisa­tion au niveau de la consommati­on de ces drogues et au niveau de l’intensité de ces pratiques sexuelles qui vont à l’encontre du modèle sexuel général.»

SOIRÉE DE DISCUSSION COMMUNAUTA­IRE EN PRÉPARATIO­N

Le MIELS-Québec souhaite organiser une discussion communauta­ire pour mieux comprendre la réalité du chemsex à Québec et identifier les besoins réels de ses adeptes afin de développer certaines interventi­ons comme une campagne de sensibilis­ation et un groupe de soutien auprès des HARSAH. «Ailleurs dans le monde, notamment à Londres, des discussion­s communauta­ires ont été organisées dans des bars pour que les gens puissent parler librement de la consommati­on d’alcool et de drogues dans la communauté LGBTQ+. Nous voulons organiser le même genre de rencontre à Québec pour ouvrir la discussion avec les personnes concernées», indique Marc-André Gaudette. Les détails de l’événement seront publiés sur la page Facebook du MIELS-Québec.

Il précise que le MIELS-Québec ne veut pas être «dans une attitude moralisant­e. Nous ne voulons pas les forcer à changer de comporteme­nt. Nous souhaitons qu’ils aient la bonne informatio­n destinée à eux pour qu’ils fassent des choix éclairés.»

Il fait remarquer que dans la région de Québec, il n’existe pas de service intégré pour traiter les HARSAH qui sont aux prises avec une dépendance au chemsex. Toutefois, les HARSAH qui ont des questionne­ments ou des difficulté­s en lien avec leur consommati­on d’alcool et de drogues sont encouragés à le contacter au MIELS-Québec, afin de pouvoir en discuter avec lui «de manière confidenti­elle et sans jugement» (harsah@miels.org ou 418 6491720, poste 114). 6

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MARC-ANDRÉ GAUDETTE

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