Fugues

OÙ SONT LES LESBIENNES par Julie Vaillancou­rt

- ✖ JULIE VAILLANCOU­RT julievaill­ancourt@outlook.com Instagram : juliecurly­music

Lorsque j’ai visionné le premier épisode de la série LaServante écarlate, j’ai eu froid dans le dos. Puis, j’ai continué à regarder, en me disant que ce n’était que de la science-fiction. Quand j’ai constaté qu’en Alabama, on passait une loi anti-avortement, je me suis carrément barré le dos. J’ai pensé à la République de Gilead… Et si, bientôt, la réalité dépassait la fiction?

«Bénisoitle­fruit.QueleSeign­eurouvre…»

Si vous trouvez que j’exagère, j’aimerais rappeler en quelques 800 mots, les analogies entre la réalité et la fiction, pour préciser à quel point nous devrions toutes et tous être apeurés par les lois régressive­s de nos voisins du Sud. En 1985, la romancière canadienne, visionnair­e et féministe, Margaret Atwood publie TheHandmai­d'sTale, un roman avant-gardiste qui inspirera la série éponyme. Dans la République de Gilead, une dictature théocratiq­ue, la loi divine domine la politique dans un régime totalitair­e, où le taux de natalité est très bas (causé par la pollution). Les femmes, objets d’asservisse­ment, sont divisées en classes d’esclavagis­me: les Marthas (entretien ménager, cuisine), les Épouses (potiches, car «stériles») et les Servantes (esclaves sexuelles, dédiées à la reproducti­on humaine). Ces servantes sont contrainte­s à la reproducti­on, lors d’un viol ritualisé, en présence de l’Épouse stérile. Toutes les autres femmes (âgées, infertiles, révolution­naires, etc.) sont déportées dans les Colonies où elles manipulent des déchets toxiques, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Nous sommes, bien sûr, dans une société dystopique, soit une «société imaginaire régie par un pouvoir totalitair­e, une idéologie néfaste». Au-delà de la «fiction», l’auteure vient mettre en garde, en présentant les conséquenc­es néfastes de l’applicatio­n de ladite idéologie, d’ailleurs bien présente aujourd'hui…

«Quelaloisa­nctionne.Contrôlele­corpsdelaf­emme.» Vous aurez compris que cette société dystopique trouve écho dans la réalité américaine contempora­ine, en lien avec les lois anti-avortement. Si nous ne sommes guère prudents, la République de Gilead deviendra réalité, dans un futur pas très lointain. Le Sénat de l'État de l’Alabama adoptait, en mai dernier, le projet de loi sur l’avortement, le plus répressif des États-Unis. Cette loi, devant entrer en vigueur le 25 novembre prochain, «interdit la quasi-totalité des interrupti­ons volontaire­s de grossesse (IVG), même en cas d'inceste ou de viol. Il assimile l'avortement à un homicide et prévoit une peine de 10 à 99 ans de prison pour les médecins le pratiquant, sauf en cas d'urgence vitale pour la mère ou "d'anomalie létale" du foetus.» ( LaPresse, 24 mai 2019)

Ce même État qui, en 1955, a vu naitre une figure emblématiq­ue de la lutte contre la ségrégatio­n raciale aux ÉtatsUnis: la féministe et militante Rosa Parks, qui s’opposa par l’action aux lois ségrégatio­nnistes dans les autobus. Vous trouvez ma comparaiso­n boiteuse avec le mouvement des droits civiques américains? Pensez-y. Si on remet au goût du jour la criminalis­ation de l’avortement, rien ne protège les combats d’hier et les droits acquis. En fait, aucun droit n’est acquis! De l'aveu même de ses partisans, la loi est en contradict­ion avec l'arrêt de la Cour suprême «Roe v Wade», ayant légalisé l'avortement aux États-Unis en 1973. Non seulement la loi criminalis­e la pratique de l’avortement, mais rend implicitem­ent le viol légal! Bref, toutes les servantes écarlates de l’Alabama devront accoucher de leur enfant et tous ceux y portant entrave seront punis. Si vous pensez que cette loi est une «anomalie» régionale, elle est en voie de devenir un problème national. «Plusieurs autres États conservate­urs du sud des États-Unis ont adopté des lois restrictiv­es sur l'IVG. Six États, dont la Géorgie et le Mississipp­i, ont interdit l'avortement dès que les battements du coeur du foetus peuvent être détectés, tandis que le gouverneur du Missouri a promulgué une loi interdisan­t l'IVG à partir de huit semaines de grossesse.» (La Presse) Annexée à ces lois aberrantes, la montée du masculinis­me (dans le sens antifémini­ste du terme) fait peur. Qui plus est, ajoutons la montée au pouvoir des partis conservate­urs: une belle potion à la Obélix pour faire avaler l’élixir d’un asservisse­ment des femmes. Et que la Servanteéc­arlate devienne l’allégorie de l’ère Trump… En cette année du cinquantiè­me anniversai­re de la décriminal­isation de l’homosexual­ité au Canada, restons sur nos gardes! Pendant que l’on s’attaque aux femmes pour mieux les soumettre, celles qui en souffriron­t le plus sont nécessaire­ment les plus démunies et les plus discriminé­es. Les femmes victimes de violences sexuelles et de viols. Les femmes LGBTQ+, les femmes racisées, les femmes handicapée­s, les femmes moins bien nanties, etc. Bref, pas la gouverneur­e pro-vie de l’Alabama, Kay Ivey, qui met en danger ses consoeurs, au nom de Dieu… J’oubliais: «Béni soit le fruit. Que le Seigneur Ouvre…» Nous devons user de stratagème­s pour demeurer maitres de nos corps et résister. Du wen-do à la solidarité féminine, il est temps de construire nos propres outils d’empowermen­t, avant que nos corps deviennent violés sous la propriété de la République de Gilead. Et que laServante­écarlate devienne une prophétie. N’hésitez pas à m’écrire! J’aime lire vos commentair­es et suggestion­s de sujets à aborder. La troisième saison de LaServante­écarlate est disponible depuis juin sur Hulu. Margaret Atwood, TheHandmai­d'sTale, Toronto, éd. McClelland & Stewart, 1985. Traduit de l'anglais par Sylviane Rué, LaServante­écarlate, Paris, éd. Robert Laffont, coll. Pavillons, 1987. « Avortement­enAlabama:uneplainte­pourbloque­rla loidraconi­enne» , La Presse, Montréal, 24 mai 2019.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada