Fugues

UNE HISTOIRE DE DÉSIR

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Le nouveau livre d’André Aciman s’apparente à une suite de Callmebyyo­ur name, qui vient d’être édité en format de poche (au Livre de poche) et qui a été adapté au cinéma par James Ivory et Luca Guidagnino. Lesvariati­ons sentimenta­les (« EnigmaVari­ations » en anglais, de 2017) sont une histoire de désir composée en cinq temps.

Divisé en cinq grandes parties, le roman éveille tous nos sens, nous rend sensible à toutes les variations du coeur. Nous refermons le livre à la fin encore tout vibrant au récit des passions du narrateur prénommé Paul. Dès les premiers mots du roman, « Je suis revenu pour lui », nous sentons que nous allons être entraînés dans un tourbillon d’émotions, dans une série d’affects de l’amour avec tout ce qu’il emporte avec lui : l’attente, l’obsession, la folie, la souffrance. On est emportés dans les errements du sentiment amoureux : de l’attirance à la tendresse, de l’obsession à son abandon, de la lassitude du désir à son renouvelle­ment, ce que décortique minutieuse­ment Aciman. Tout tournera autour de Paul, qu’il soit en Italie, comme dans le premier chapitre du roman, ou à New York, comme dans les chapitres suivants.

On ne sera pas surpris que le chapitre soit intitulé Premieramo­ur . C’est celui dont se souvient Paul lorsqu’il revient à San-Giustinian­o où résidait sa famille. Il est adolescent et il est attiré par un homme de trente ans, Giovanni, ébéniste connu sous le surnom de Nanni. Les souvenirs se bousculent dans sa tête d’autant qu’il ne reconnaît pas l’île de son enfance quasiment abandonnée. Paul cherche dans les ruines du village à restructur­er son désir, à faire revivre les émois de cette attirance. Lorsqu’il a vu Nanni, tout de suite il a voulu être auprès de lui, lui demandant de pouvoir même travailler le bois avec lui. Et voilà que la première douleur de l’amour s’est faite jour, elle était à la fois la brûlure et son baume. Dans son souvenir, le narrateur aurait dit : « ... le doute est amour, la crainte est amour, même le mépris que tu éprouves est amour. » C’est ainsi que Paul fait son éducation sentimenta­le. C’est presque la même histoire, quelque vingt ans plus tard, que vit le narrateur à New York, dans le chapitre Fièvredupr­intemps. Tous les matins, en un printemps précoce, Paul joue au tennis. Il remarque un joueur qui semble indifféren­t à ses regards insistants. Il vit avec Maud et le couple semble stable, et pourtant quelque chose survient, qui sera développé dans la troisième partie du livre intitulée Manfred. Paul devient obsédé par cet homme. Il l’examine dans le vestiaire, le regarde nu sous la douche où se révèle un corps parfait. Ce troisième chapitre est probableme­nt le plus beau du roman, dans lequel se développe l’amour de Paul pour Manfred. C’est le temps de la félicité. Le fantasme de Paul est d’appartenir à Manfred.

Dans Amourstell­aire , Paul retrouve un amour de collège, Chloé, il en retombe immédiatem­ent amoureux alors qu’il vit dorénavant avec Manfred. La vie poursuit son cours, comme avec Heidi, une jeune journalist­e qui lui demande des conseils, dans AbingdonSq­uare, la cinquième partie, où les jeux de l’amour passent principale­ment par des e-mails. Une attirance intellectu­elle se développe, mais est-ce suffisant quand l’autre, Manfred, est en Allemagne, et que survient une attirance sexuelle ?

Ainsi se poursuit ce roman tout en circonvolu­tions, en dédales et en sinuosités. André Aciman tente de saisir ce qui est insaisissa­ble : les méandres de l’amour. L’amour est un pays où on peut être soit un citoyen, soit un touriste. L’amour peut être irréel, mais il est toujours chagrin, regret, jamais équilibré, il faut constammen­t l’apprivoise­r, faire sans cesse avec lui l’apprentiss­age de la vie. Le romancier nous embarque dans les fantasmes de l’amour, dans les rêves érotiques, dans les impulsions incontrôla­bles du coeur. Son livre est complexe, s’enroulant dans les sentiments sexuels, suivant le réseau des émotions qu’ils suscitent. Le roman est subtil dans ses digression­s, plein d’évocations sensuelles, chatoyant dans la révélation de toutes les facettes du désir. Mais l’amour reste une énigme (comme le rappelle le titre anglais original), énigme comme les sentiments et les personnes, énigme comme soi-même et l’autre. ✖ ANDRÉ ROY

LES VARIATIONS SENTIMENTA­LES / André Aciman, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne D’amour, Paris, Bernard Grasset, coll. : En lettres d’ancre, 2019, 367 p.

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