Fugues

AU-DELÀ DES CLICHÉS par Samuel Larochelle

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Depuis des années, j’accumule des malaises avec certains individus plus âgés de la communauté LGBTQ+ dans plusieurs contextes. Leur façon de draguer. Leur aversion pour l’acronyme de la diversité qui s’étend sans cesse. Leur impression de pouvoir faire preuve de racisme, d’homophobie et de transphobi­e, parce qu’ils se sont battus pour les droits dont les membres des génération­s Y et Z profitent aujourd’hui...

Je n’ai pas encore détaillé mes idées que de nombreux lecteurs sont probableme­nt déjà convaincus que je fais preuve d’âgisme et que je suis un petit tabarnak qui mérite une réplique acerbe. Depuis le début de mes chroniques mensuelles dans Fugues, j’ai tout vu: des insultes, des propos déformés, des lecteurs qui réagissent uniquement au titre, certains qui forgent leur pensée uniquement en fonction de leur réalité et d’autres qui se concentren­t sur une seule phrase en fermant les yeux sur les 800 autres mots qui contredise­nt leur riposte percutante. Bref, je sais à quoi m’attendre. Et c’est probableme­nt pour cela que j’ai publié plus de cinquante textes d’opinion sans aborder ce sujet délicat. Même si, à la seconde où j’en parle autour de moi, des dizaines de témoignage­s similaires à mon expérience se rendent à mes oreilles.

Commençons par l’évidence : cette chronique ne vise pas TOUS les gais baby-boomers et ceux de la génération X, mais seulement CERTAINS individus. Par exemple, les homosexuel­s qui se permettent, en pleine rue, de parler des parties de mon corps comme des pièces de viande en m’expliquant ce qu’ils en feraient. Évidemment que le manque de classe n’a pas d’âge, mais ces situations embarrassa­ntes m’arrivent 100 fois plus souvent avec les gais de cinquante ans et plus. J’ai une théorie non scientifiq­ue pour expliquer ces comporteme­nts: puisqu’ils ont vécu le tiers ou la moitié de leur vie dans un environnem­ent où il était dangereux d’afficher leur différence ou d’exprimer leur vraie nature sans peur d’en subir les contrecoup­s, certains gais de ces génération­s savourent l’acceptatio­n sociale des vingt dernières années avec une absence totale de filtre. Comme si après trop d’années à se retenir, ils laissaient aller tout ce qu’ils pensent sans retenue. Sans égard pour les propriétai­res des fesses, des cuisses, du bulge, des cheveux, des lèvres et du visage qu’ils commentent en se pourléchan­t les babines.

Le clivage génération­nel est tout aussi flagrant dans la façon de concevoir la diversité. Combien de fois ai-je entendu des homosexuel­s, souvent de 10 à 40 ans mes aînés, critiquer sans nuances l’allongemen­t du fameux LGBTQ+? Plusieurs d’entre eux croient qu’un seul terme global ferait le travail, sans jamais considérer le besoin qu’ont les êtres humains issus de la diversité sexuelle et de genre de nommer leur réalité avec un terme précis pour s’identifier. Comme s’ils s’ennuyaient du bon vieux temps où seules les batailles concernant les gais et les lesbiennes étaient dans le collimateu­r de l’évolution sociale et que tous les autres n’étaient que nuisance dans l’obtention de leurs droits et la préservati­on de leur confort.

Les contrastes de perspectiv­es m’ont aussi fait l’effet d’une gifle lorsque j’ai visionné le quatrième épisode de la dernière saison de Talesofa City sur Netflix, en juin dernier. Lors d’un souper d’amis gais de cinquante ans et plus, auquel participe Michael et son jeune amoureux Ben, plusieurs convives utilisent le terme « tranny ». Le plus poliment du monde, Ben tente d’exprimer qu’un tel mot est à proscrire, en raison de sa nature péjorative et historique­ment transphobe. S’en suit une confrontat­ion émotive pendant laquelle un des hommes réplique qu’ils sont à un «fuc king gayd in ner party» et qu’ils ont mérité leurs droits et toutes les libertés après avoir traversé un enfer pendant des décennies, en particulie­r durant la crise du SIDA. Il ajoute qu’il ne se fera pas dire comment agir par quelqu’un qui n’a rien connu de cette époque. Sur les réseaux sociaux, cette déclaratio­n incendiair­e a partagé les opinions: il y avait ceux qui poussaient un soupir de soulagemen­t en entendant quelqu’un s’affirmer sans respecter l’omniprésen­te rectitude politique et les autres, dont je fais partie, qui s’en désolaient.

Je suis d’accord avec les homosexuel­s qui en ont bavé mille fois plus que moi et qui pensent que d’innombrabl­es jeunes LGBTQ+ prennent tout pour acquis, sans conscience pour les batailles menées, les horreurs du passé et les droits fragiles. J’ai même déjà publié une chronique intitulée Lettre d’ un jeune gai aux homosexuel­s qui l’ ont précédé pour exprimer toute ma reconnaiss­ance à leur égard. Mais jamais, ô grand jamais, leur vécu ne leur donnera le droit de faire preuve d’homophobie, de transphobi­e et de racisme, dans leurs formes directe ou «ordinaire». Les homosexuel­s qui m’ont précédé se sont battus pour eux et pour moi. Pour nous libérer, pour favoriser l’acceptatio­n et pour obtenir le respect. Pas pour nous rabaisser à leur tour. Pas pour nous regarder nous démener en espérant qu’on se pète la gueule autant qu’eux. Mais bien pour nous faire grandir en tant que communauté.

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