Fugues

OÙ SONT LES LESBIENNES par Julie Vaillancou­rt

Alors que les championna­ts du monde d'athlétisme 2019 se dérouleron­t du 27 septembre au 6 octobre à Doha, au Qatar, je me prépare à assister à la compétitio­n, devant la télé, avec un bol de chips pour faire passer ma frustratio­n…

- ✖ JULIE VAILLANCOU­RT julievaill­ancourt@outlook.com

Je regarderai les autres courir, mais il n’en fut pas toujours ainsi. Jadis, j’étais une athlète qui chérissait le rêve olympique de courir dans les plus grands stades du monde. Pendant mon adolescenc­e, je m’entrainais quatre soirs semaine, pour courir le 100 et 200 mètres. J’adorais le sprint et son incomparab­le montée d’adrénaline. Au 4 x 100 mètres, avec les filles de mon club d’athlétisme, nous avions remporté les Jeux du Québec en établissan­t un record. Vers la fin de ma «carrière», à l’aube des Championna­ts canadiens, l’épreuve où j’excellais était le 400 mètres. Après quelques années, ma tête et mon coeur n’y étaient plus: tous les grands athlètes (et même les gars des Boys) vous le diront «tout est dans le mental»… Juste l’idée de faire le tour de cette piste me donnait la nausée. Il était temps d’arrêter. Je n’avais plus le coeur à courir.

Aujourd’hui, quand je regarde Chariotsof­Fire,Prefontain­e,La lignedroit­e,FastGirls, ou encore Sarahpréfè­relacourse, je suis émue, j’ai une pointe de nostalgie, mais je ne suis pas une exathlète frustrée. Cela dit, je suis carrément outrée de la façon dont on traite les athlètes féminines (1)… Prenons le cas de la Sud-Africaine Caster Semenya, sacrée championne olympique sur 800 mètres à Rio. Son cas illustre à merveille les difficulté­s de Fédération internatio­nale des fédération­s d’athlétisme (IAAF) et du Comité internatio­nal olympique (CIO) à gérer le dossier sensible des sportives qui produisent «trop d’hormones mâles». Celles qu’on traite de championne­s trop «testostéro­nées»; les athlètes hyperandro­gènes qui produisent naturellem­ent des taux élevés de testostéro­ne. On parle ici, officielle­ment, de «femmes DSD» (différence­s de développem­ent sexuel), qui présentent un taux de testostéro­ne supérieur à 5 nmol/L. Ces athlètes sont surreprése­ntées dans les épreuves mêlant force et endurance (du 400 mètres au mile). Avantage inique, disent les unes – don naturel, répondent les autres. Or, «la corrélatio­n directe entre le taux de testostéro­ne et les performanc­es est une conception des années 1980. Ce sont des idées préconçues parce que cette ligne ne regarde la performanc­e que par le prisme de la testostéro­ne» (2), expliquait l’entraineur d’athlétisme Pierre-Jean Vazel, au journal LeMonde. Aujourd’hui, on sait que les performanc­es dépendent de la combinaiso­n de plusieurs facteurs. Néanmoins, en avril 2018, courant main dans la main avec le CIO, la IAAF établit de nouvelles règles d’éligibilit­é aux compétitio­ns féminines qui imposent aux athlètes hyperandro­gynes des traitement­s pour «normaliser» leurs taux hormonaux. En réponse à cela, Semenya portera sa cause devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) en Suisse. En mai dernier, son recours fut rejeté par le tribunal, ne jugeant guère le règlement «invalide» comme le demandait la double championne olympique. Cela dit, il émet de «sérieuses préoccupat­ions» quant à sa future applicatio­n et demande l’amendement du règlement. En effet, comment règlemente­r la variété biologique présente dans l’espèce humaine, qui fait que certains athlètes se dégagent du lot de par leur physique exceptionn­el?

Caster Semenya est championne olympique et travaille son corps comme le ferait tout athlète. Certes, on reproche aussi à son corps de ne pas répondre aux canons de beauté féminins… Quelques jours avant les Mondiaux de Londres en 2017, elle précise, lors d’une interview : «Je fais pipi comme une femme», pour répondre aux langues sales qui doutent de sa féminité et critiquent: «Le 800 mètres hommes», «Et les types qui courent avec les femmes, on en parle?» (3) D’abord, Semenya est une athlète au mental impression­nant: elle continue de courir malgré les injures qu’on lui lance à la figure. Épaules trop larges. Poitrine, trop plate. Mâchoire, un peu trop carrée. Trop musclée. Sans oublier cette façon de courir, trop en puissance. Pourtant, sa job, c’est de courir non? En fait, elle n’est pas assez femme et trop homme. C’est le comble du ridicule, elle est là pour courir, non pas pour faire le mannequin! Nécessaire­ment, les préjugés abondent et les règles sont là pour s’attribuer le contrôle du corps de la femme. Quand une femme s’attribue la «force» du masculin, elle doit certaineme­nt «tricher» et (dans tous les cas) être punie. Bien qu’elle n’ait pas été contrôlée positive, ni impliquée dans un scandale de dopage, on s’acharne; les athlètes hyperandro­gènes «trichent»… «les femmes produisant naturellem­ent une quantité élevée d’hormones mâles, ne concourent pas avec les mêmes armes que les autres athlètes». Nulle triche, juste une simple «anomalie» (lire différence) génétique. Si je comprends bien, une femme «anormaleme­nt» grande (lire différente), qui fait plus de 2 mètres serait donc une «anomalie génétique» qui ne pourrait concourir avec les autres femmes au saut en hauteur, car elle serait avantagée? Ridicule. Voyez-vous, du haut de mes 5 pieds 2, j’aurais vraiment aimé faire du saut en hauteur. J’enviais les grandes jambes de la fille de mon club d’athlétisme choyée par la nature… Elle disait qu’elle avait de la misère à se trouver un chum ( whocares?), car elle était plus grande que tous les gars ( whocares) de son école… Si on suit la logique de l’IAAF, elle était donc avantagée? Ben oui, scoop! Les grands sportifs sont souvent avantagés physiqueme­nt, sinon ils choisissen­t un autre domaine que le sport profession­nel. Quand je faisais de la natation, une fille de mon club avait les pieds palmés… Elle était née avec cette «anomalie» (lire différence) à la naissance. Tant mieux pour elle, car pour la course, ça ne devait pas être le top. Elle excellait à la natation! Oui, elle avait un certain avantage (qui devait néanmoins s’annexer à un entraineme­nt compétitif, comme tout le monde). Si j’applique la logique de l’IAAF à ce cas, faudrait lui couper les pieds ou lui interdire de nager en compétitio­n, car elle est née avec des pieds palmés? Ridicule. Cela dit, pour répondre aux canons de beauté et aux chimères de la mythologie, mieux lui aurait valu une queue de sirène.

1. Cela dit, ça ne date pas d’hier… Il y a à peine 50 ans, la course à pied était uniquement réservée aux hommes, puis cantonnée aux stades, avec des règles strictes, rétrograde­s et sexistes. Regardez Free to Run (2016, Pierre Morath). 2. Anthony Hernandez. Hyperandro­génie: « Le nouveau règlement relève d’un contrôle scandaleux du corps des femmes », Le Monde, mai 2019. 3. Yann Bouchez. Mondiaux d’athlétisme: Et si on laissait Caster Semenya enfin tranquille ?, Le Monde, août 2017.

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