PEDRO ALMODÓVAR: GLOIRE DU PASSÉ, DOULEURS ACTUELLES
Amodovar revient avec un beau film d’essence autobiographique, mais sans narcissisme, sur le retour à la vie d’un cinéaste en panne d’inspiration et de désir.
DouleuretGloire décrit le retour à la vie d’un homme à qui Antonio Banderas prête ses traits, et Almodóvar ses névroses (autant que ses habits). Sans narcissisme ni complaisance, le film est d’une humanité telle qu’il ménage chaque personnage — du médecin se penchant sur la kyrielle de maux dont est atteint Salvador (migraines, lombalgies, acouphène, dépression, dépendances…) jusqu’à la mère mourante de celui-ci lui assénant sans aigreur des reproches — une épaisseur et une dignité auxquels les comédiens, tous exceptionnels, donnent magnifiquement corps.
Lorsqu’on rencontre Salvador, il est dans cet état quasi catatonique où l’ont plongé la mort de sa mère et une opération du dos. C’est un de ses vieux films au titre programmatique, Sabor, présenté à la Cinémathèque de Madrid, qui va le remettre sur le chemin de la vie, chemin dont les diverses stations n’auront rien de catholique: découverte de l’héroïne, qui s’avérera machine à ressouvenir, retrouvailles avec un comédien jadis détesté, puis avec un amant adoré (l’occasion d’un magnifique baiser de retrouvailles et d’adieux) et, enfin, remémoration du tout «premier désir», enfoui, dont le surgissement va permettre à Salvador de reprendre pied. Des scènes de jeu-nesse ponctuent ces embardées, et elles ont dès le départ la saveur idéale de l’enfance.
Que serait un film d’Almodovar sans la figure de la mère grandement présente ? C’est à sa muse préférée qu’il offre ce rôle rempli de délicatesse qu’il se plaît à filmer à nouveau avec une vraie attention. Penelope Cruz est dans DouleuretGloire l’une des mères les plus douces que le réalisateur ait mises en scène; malgré la pauvreté, malgré les problèmes, elle expose une partie d’elle très tendre et généreuse. Alternant souvenirs enfantins d’un petit garçon découvrant son homosexualité et le présent d’un cinéaste qui tombe dans l’héroïne, 50 ans séparent les scènes et pourtant, la même bienveillance s’en dégage.
DouleuretGloire n’est pas la cathédrale baroque et hystérique qu’on pourrait attendre d’un film avec un tel titre, d’un tel cinéaste. Non, si Pedro Almodóvar n’a pas eu peur de se frotter ici aux grandes réflexions, la vie et l’oeuvre, le désir et la création, la réalité et la fiction, il l’a fait avec un calme et une évidence qui ont quelque chose de stupéfiant, faisant de ce film l’un de ses meilleurs, et de ses plus autobiographiques.