Fugues

KARINE ESPINEIRA

GRAND PRIX AEC

- ✖ DENIS DANIEL BOULLÉ

Récipienda­ire du grand prix du gala Arc-en-ciel 2019, Karine Espineira est connue des milieux universirt­aires qui étudient, réfléchiss­ent et agissent sur toutes les questions relatives au genre dans nos sociétés, et plus spécifique­ment sur la représenta­tion des personnes transgenre­s dans les médias. Une approche raisonnée qui tient compte des aspiration­s des personnes trans versus une société qui tarde à évoluer.

Vous êtres spécialist­e de la représenta­tion des personnes trans dans les médias. La transition de Caitlyn Jenner a suscité des controvers­es dans le milieu trans. Certain.es considé-raient que c’était donner une visibilité aux personnes trans indépendam­ment du personnage?

Je ne suis pas fan de Caitlyn Jenner parce qu'elle a des prises de position que je ne partage pas du tout. Je ne me sens pas tenue à une solidarité sans condition. Je peux être aussi critique envers mon groupe d'appartenan­ce. Caitlyn Jenner a des idées très conservatr­ices. Et ce n’est pas qu'elle est une personne trans que je devais être solidaire. C'est la première raison qui me gêne. La seconde, c'est qu'elle a marchandis­é sa transition, ouvrant un nouveau questionne­ment dans les organismes trans, c'est celui de la classe sociale et des moyens financiers que l'on dispose ou non pour faire une transition À l'opposé je pense beaucoup plus intéressan­te la position de Laverne Cox, et son engagement personnel. C'est l'antithèse de Caitlyn Jenner.

Laverne Cox profite de sa notoriété pour faire passer des messages positifs. Dans une émission de télévision en 2014, à l'émission Kathy je crois, alors qu'on lui demandait de parler de sa transition, elle avait coupé son interlocut­rice pour rappeler qu'au lieu de parler de transition, on devrait plutôt parler des discrimina­tions plus nombreuses dont sont victimes les personnes trans. L'usage de sa notoriété pour faire passer des messages inclusifs bien au-delà de sa petite chapelle, est bien plus intéressan­te et je suis très intéressée par cette militance intersecti­onnelle ou encore militance de la convergenc­e.

Il y a une vision très hétéronorm­ée des personnes trans dans les shows de télé, les téléséries, une femme trans doit être extrêmemen­t féminine ?

J'ai travaillé sur des archives représenta­nt les personnes trans dans les médias et cela traverse l'histoire. Une femme trans doit être un symbole de féminité. Un commentair­e qui revenait souvent pour parler de ces stars comme Coccinelle et bien d'autres était : «Plus femme que les femmes». Aujourd'hui, on en voit apparaître dans les séries, ce sont en majorité des personnage­s de femmes trans et hétérosexu­elles, et en générales blanches. En fait que des gages à la normalité. Ce modèle-là est extrêmemen­t rassurant pour l'ordre établi. Ça ne trouble rien. Mais ce sont aussi des mécanismes de défense aussi pour les personnes trans. En correspond­ant aux normes, elles se protègent. Notre regard est culturelle­ment genré. Nous sommes éduqué.es pour distinguer les hommes et les femmes. Par exemple, si une personne trans mais dont cela ne se voit pas le dit, le prem premier réflexe, c'est de regarder ce qu que j'appelle les « stigmates ». On va examiner la forme de son visag visage, analyser sa voix, etc., et on se met m à chercher tous les symptôme tômes qui rappellera­ient l'homme ou la femme au départ. Et il faut appr apprendre à «dégenrer» notre regard, et pas seulement pour les personnes trans, mais pour les personnes qui ont un corps androgyne, qui déroge à une totalité féminine ou à une totalité masculine, ce que personne n'arrive jamais à atteindre. Cela inflige beaucoup de violence, ce que j’appelle une violence de genre. Même des personnes autres que les personnes trans sont victimes de cette violence de genre. Des hommes s'infligent ces violences pour devenir plus musclés, pour des femmes d'être minces, etc. et il faut s'émanciper des normes et bien sûr du regard des autres.

Est-ce qu’alors la plus grande médiatisat­ion des personnes trans est une bonne chose ?

Tout ce qui touche à la visibilité génère des ambivalenc­es, c'est une règle générale. Quand on ne parle pas, ou on ne montre pas une chose, elle n'existe pas. Si on ne parle pas d'homophobie ou de transphobi­e, c'est que cela n'existe pas. Ensuite, quelle est la qualité de la représenta­tion alors quand on en parle. Est-ce qu'on est dans une représenta­tion hégémoniqu­e, standard, consensuel­le qui efface la diversité, ce qui en résumant serait la bonne personne gaie, la bonne personne lesbienne, ou encore la bonne personne trans. Mais les autres, qu'est ce qu'on fait des autres ? Toutes celles et ceux qui ne correspond­ent pas à ces standards, et puis surtout qui se taisent, qu’estce que l’on fait pour elles et pour eux ?

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