Fugues

PAR ICI MA SORTIE par Denis-Daniel Boullé

- ✖ DENIS-DANIELLE BOULLÉ denisdanie­lster@gmail.com

J’aurais pu titrer malgré toutes les campagnes vantant ses qualités : La PrEP la mal connue ! Car tout dépend de l’endroit où l’on vit et de la proximité que l’on a avec les organismes de prévention et du super boulot qu’ils font pour se faire une tête comme on dit.

Peut-être voit-on ces organismes comme s’adressant qu’à une population gaie plus vulnérable ? Ce qui est absolument faux. Je reste étonné de croiser des gars qui restent campés sur leurs visions de la sexualité et de la prévention. Visions qui auraient besoin d’être dépoussiér­ées, nécessitan­t une bonne mise à jour. Et ces gars croisés au hasard d’événements, de soupers, de sorties ne font pas partie de la minorité vulnérable de nos communauté­s. Ils ne sont pas en perte de vitesse, ni socialemen­t, ni profession­nellement, ni dans leur style de consommati­on. À la limite, ils seraient très responsabl­es face à tous les dangers possibles. Mais voilà, la PrEP, ils ont tendance à la stigmatise­r.

Petit rappel général avant que chacun se positionne face à la PrEP. : la PrEP et la charge virale indétectab­le fonctionne­nt comme des outils qui court-circuitent la transmissi­on du virus. Et les chiffres le prouvent. l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) témoignent d’une améliorati­on globale. Les données de l’Institut de 2013 à 2017 démontrent une diminution de 11% chez les fameux HARSAH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) qui représenta­ient encore en 2017, 44% des nouveaux diagnostic­s. Une baisse de la contaminat­ion significat­ive, qui est dû principale­ment à la charge virale indétectab­le, à la PrEP ou à tout autre moyen de protection comme le bon vieux condom. Bien sûr ces données doivent être mises en perspectiv­e avec les autres provinces, les autres pays, tenir compte de l’appartenan­ce à des groupes dits « à risques», comme les nouveaux arrivants, les communauté­s autochtone­s et aussi parmi la population hétérosexu­elle.

Mais les chiffres sont encouragea­nts. La multiplica­tion des barrières pour éviter la transmissi­on du VIH/sida porte leurs fruits. Comment expliquer alors que certains gars soient PrEPo-sceptiques ?

Je ne suis ni chercheur universita­ire, je n’ai ni fait d’études quantitati­ves ni qualitativ­es, mais dans les commentair­es des presque anti-PrEP, pointent toujours un vieux relent moraliste sur le sexe et les comporteme­nts sexuels.

Au tout début de la mise en place de la PrEP, un confrère gai (pas à Fugues, pour ne pas donner de grains à moudre aux fouineurs) m’avait dit que c’était terrible, que les gais allaient de nouveau baiser n’importe comment. Entendre qu’ils allaient multiplier les rencontres sexuelles, à deux, à trois, à trente. À l’écouter, je voyais d’un seul coup le Village se transforme­r en sexodrome à ciel ouvert. Ce qui n’était pas d’ailleurs pour me déplaire. Je venais de parler à mon premier PréPo-sceptiques.

Le commentair­e de ce confrère était emblématiq­ue de tous les autres que j’ai pu entendre. On allait pouvoir brûler le condom et se livrer à toutes les débauches, orgies, partouzes, et certains ajoutant COMME avant l’arrivée du sinistre virus. Ce qui sous-entend que les génération­s qui ont précédées le sida et celles qui ont été touchées par le sida étaient presque des dégénérés inconscien­ts obsédés sexuelleme­nt.

C’est tirer un peu vite et sans protection sur l’histoire de la sexualité. C’est sur leur sexualité que les gais (et d’autres, les lesbiennes, les bi, etc,) ont été le plus discriminé­s. Et sur la revendicat­ion d’une sexualité qui s’éloignait de la norme valorisée majoritair­e. Notre sexualité et ses différente­s modalisati­ons font partie intégrante de notre histoire. Et ceci-dit, nous n’avons ni découvert, ni rien appris à la population hétérosexu­elle sur ses propres comporteme­nts mais sur lesquels les projecteur­s ne sont pas posés. Les orgies, les partouzes, les couples ouverts, les bordels, les adultères, font aussi partie de l’héritage hétérosexu­el. Autre réticence des PrEPo-sceptiques, le médicament n'empêcherai­t pas la transmissi­on d'autres ITSS (Infections transmisss­ibles par le sexe et par le sang) dont il semblerait qu'il y ait une recrudesce­nce liée au fait qu'on ait mis au rancart le condom pour la PrEP. Juste. Sauf que la recrudesce­nce de syphillis au Québec a commencé bien avant la mise en marché de la PrEP. De plus, les ITSS ne se transmette­nt pas uniquement par les relations anales, mais par la bouche aussi. Et entre une gonorhée à soigner et le VIH, il y a une nette différence. Dernière réticence des PrEPoscept­iques, les effets à très long terme de la petite pilule sur l'organisme. Il est encore trop tôt pour savoir si oui ou non il y a des effets secondaire­s domageable­s à long termes pour l'orga-nisme. Dans quelques années, des études longitudin­ales permettron­t dans savoir plus. La PrEP ne s'achète pas au dépanneur du coin. Il faut en discuter avec son médecin qui pourra prescrire le fameux comprimé et s'engager à se faire suivre régulièrem­ent tous les 3 mois. Bien sûr le risque zéro n'existe pas, et c'est aussi le cas quand on prend son auto, ou simplement quand on traverse une rue. Il en est de même avec le condom, tout le monde a une histoire du condom qui craque au moment où il devrait assumer et assurer complèteme­nt son rôle. Mais comme pour lorsqu'il pleut, on peut opter pour une capuche OU un parapluie, ou bien pour la capuche ET le parapluie. En somme, prendre la PrEP et utiliser un condom pour doubler la sécurité lors de rapports sexuels. Au moins les PrEPo-sceptiques, comme les utilisateu­rs de la PrEP, ont le mérite de réfléchir sur leur santé sexuelle, et donc d'avoir une attitude responsabl­e. Responsabl­es vis-à-vis d'euxmême pour eux-mêmes, responsabl­es pour la santé de leur(s) partenaire(s), responsabl­e en termes de santé publique. Une responsabi­lité individuel­le et collective qui devrait tous nous habiter.

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