Fugues

AU-DELÀ DES CLICHÉS par Samuel Larochelle

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com Instagram : samuel_larochelle ✖

J’avais les bras trop longs. Des joues trop rouges. Un sens vestimenta­ire inexistant. Une coupe de cheveux banale. Un surplus de poids. Une absence de confiance. Des canines proéminent­es qui m’ont convaincu de ne plus sourire pendant un an. Des yeux, un nez et une bouche pas particuliè­rement désagréabl­es, mais qui semblaient incapables de vivre en harmonie. J’étais persuadé que personne ne voudrait de moi comme amoureux ni comme amant, car je croyais n’avoir rien à offrir. Sauf des qualités de coeur que j’ai (sur)développée­s pour qu’on veuille de moi, au moins, comme ami. Aujourd’hui, je réalise que je dois beaucoup à ces années peu esthétique­s.

Est-ce que mon allure physique s’est améliorée avec le temps? Peut-être. Certains diront que le vilain petit canard que j’étais s’est transformé en cygne majestueux. D’autres s’esclaffero­nt en affirmant que je suis toujours aussi affreux qu’avant. À tous, je répondrai que l’attrait ou la répulsion que j’inspire au présent ne sont pas pertinents et que ma réflexion est ailleurs. Elle réside dans l’étrange soulagemen­t de ne pas avoir été l’adolescent naturellem­ent joli qui peut s’asseoir sur sa beauté comme un roi s’installe sur son trône. Je n’ai jamais été cet homme persuadé qu’on viendrait à lui sans fournir d’effort. Au contraire, j’ai tout fait pour développer mon écoute, mon sens de la répartie, mon humour, ma gentilless­e et ma culture générale. Pour qu’on me trouve divertissa­nt. Pour qu’on aime ma discussion. Pour qu’on chérisse ma présence. Pour que mon amitié devienne indispensa­ble. Quitte à ce que ce désir d’être aimé devienne malsain, à force d’oublier la beauté de mes imperfecti­ons et d’essayer de les effacer sans relâche. Avec le temps, j’ai pris conscience de mes comporteme­nts destructeu­rs et j’ai trouvé un espace d’équilibre. Un endroit où je n’ai plus à compenser ma laideur en étant le plus drôle, le plus brillant, le plus doué, le plus capable-derésoudre-tous-les-problèmes-personnels-et-relationne­lsde-mes-amis-afin-de-justifier-ma-présence-dans-leur-vie. Un point de vue sur le monde me permettant d’être plus en paix avec moi-même et de savourer les qualités humaines que la vie m’a amené à façonner. Un lieu où je ne peux faire autrement que de remarquer à quel point ces mêmes qualités sont trop peu présentes en société. J’aurai toujours du mal avec les gens qui attendent que l’autre fasse les premiers pas, ouvre la discussion, pose des questions et relance de nouveaux sujets, alors qu’ils s’écoutent parler sans avoir la décence de tourner les réflecteur­s vers leurs interlocut­eurs. Quand on me réplique que j’ai de la facilité à trouver des questions pertinente­s parce que je suis journalist­e, je me réserve le droit de CALLTHEBUL­LSHIT. J’ai choisi cette profession parce que je suis curieux. Je ne suis pas devenu curieux parce que je suis journalist­e. Personne n’a besoin d’une maîtrise universita­ire pour participer activement à une discussion. Il suffit de s’intéresser à l’autre, de l’interroger, de commenter et de progresser graduellem­ent dans la découverte. Ce même genre de passivité désolante s’observe aussi dans la sexualité. Je ne parle pas ici de position sexuelle, mais de la capacité à s’investir dans l’action, de partir à la recherche de qui fait vibrer l’autre et de faire preuve de créativité. Certains se demandent peut-être comment j’ai pu débuter mon texte en parlant de ma laideur adolescent­e et me retrouver dans un paragraphe sexuel. Je leur réponds que plusieurs hommes et femmes qui ont le privilège de correspond­re aux standards de beauté depuis leur naissance vieillisse­nt parfois en étant persuadés qu’ils n’ont besoin de ne rien faire pour être satisfaits. Aussi bien dans un lit qu’autour d’un café. Le manque de considérat­ion atteint des sommets depuis quelques années. Et jamais je ne croirai que la proliférat­ion des écrans ni l’apparition des réseaux sociaux sont les seuls responsabl­es de la déshumanis­ation de l’Autre et de la distance virtuelle qui nous donne l’impression de pouvoir faire ce qu’on veut sans que quiconque en subisse les conséquenc­es.

Si vous prenez un instant pour y penser, vous trouverez autour de vous des amis, des collègues, des membres de votre famille, des ex-amoureux et d’anciens amant(e)s qui ont fait de leur beauté le socle autour duquel tourne leur vie. Ils ne sont pas les plus intelligen­ts. Vous ne voudriez probableme­nt jamais être en équipe avec eux dans un match de Génies en herbe. Leur répartie est aussi éclatante qu’un pare-brise en hiver. Ils sont souvent étrangers avec le concept de générosité gratuite, car ils ont bénéficié toute leur vie d’un système construit pour les favoriser, eux. Évidemment, la beauté-depuis-la-naissance n’explique pas tous les comporteme­nts méprisable­s. Ce n’est qu’un aspect de l’équation. Néanmoins, quand je les regarde aller, je remercie la vie de m’avoir rendu aussi laid pendant presque quinze ans. Le temps que j’apprenne à devenir un être humain que je respecte.

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