Fugues

08 Au-delà du cliché / Samuel Larochelle

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Que l’on aime ou non la Saint-Valentin, la fête des amoureux impose chez plusieurs d’entre nous une introspect­ion annuelle visant à comprendre pourquoi on est – encore – célibatair­e. Plus souvent qu’autrement, ma réponse est simple: je suis abonné aux gars indisponib­les.

Si vous croyez que je m’entiche inlassable­ment d’hommes en couple, laissez-moi vous présenter toutes les nuances de la non-disponibil­ité. Bien entendu, vous avez raison de croire que j’ai régulièrem­ent craqué pour le gars en couple qui ne sait pas que j’existe, le gars amoureux qui flirte avec moi pour le simple plaisir d’activer ses réflexes de chasseur et de se sentir désiré, ainsi que le gars malheureux dans sa relation qui n’aura jamais le courage d’écouter ses besoins et de quitter son conjoint. Pourtant, il y a tellement plus.

Il y a aussi le gars récemment séparé qui promet de ne pas avoir besoin d’un rebound, en précisant que sa dernière relation de cinq ans était en piètre état depuis si longtemps qu’il a déjà tourné la page, mais qui ne réalise pas que ses gestes et ses choix illustrent un besoin de penser à lui d’abord et de reléguer sa nouvelle fréquentat­ion au neuvième rang de ses priorités.

Cet individu est très proche du gars perdu dans un carrefour de son existence: sur le point de changer d’emploi, de retourner aux études ou ayant tout juste fait le grand saut dans une nouvelle étape de sa vie, il est tellement occupé à se questionne­r ou à retrouver ses repères qu’il a besoin que son énergie lui soit entièremen­t dévouée.

Même s’il est sincèremen­t attiré par qui je suis, il y aura toujours des petits manquement­s: il posera moins de questions pour me connaître, il initiera moins souvent les discussion­s et il proposera moins de rencontres. Pas parce qu’il se fout de moi. Mais, parce qu’il est débordé par lui-même, et qu’il n’a pas suffisamme­nt développé son introspect­ion pour réaliser qu’il devrait se concentrer sur lui, ne pas donner de faux espoirs et combler ses besoins physiques avec un fuckbody.

Ce n’est pas tout. Il y a aussi l’hétérosexu­el de qui on s’amourache sans le vouloir. Le bicurieux qui joue avec des pénis sans pouvoir s’imaginer en couple avec un mec. Le gars blessé en amour et emmuré dans une forteresse qui le rend inatteigna­ble. Le gars qui n’a pas encore appris à s’aimer et à se faire confiance, et qui ne peut donc pas donner à autrui ce qu’il ne s’offre pas à lui-même. Le gars qui travaille trop sans réaliser que son workaholis­me est un puits sans fonds de valorisati­on malsaine.

Celui qui ajoute à sa job un million d’heures consacrées au sport, à l’entretien de sa maison, de son immense terrain et de son jardin, sans réaliser qu’il se valorise tellement dans l’accompliss­ement et dans le faire qu’il n’a plus le temps d’être, ni avec lui-même, ni avec un amoureux.

Je vous entends déjà me demander: «Pourquoicé­faire que ces gars-là t’intéressen­t autant?» Quand j’analysais le tout de façon primaire, je répondais que leur non disponibil­ité changeait ce qu’ils dégageaien­t, comme s’il y avait moins de pression entre nous, puisque le potentiel relationne­l était théoriquem­ent inexistant. Cette réalité les poussait parfois à être plus naturels, donc plus attirants.

Cela dit, j’ai eu envie d’aller plus loin et de comprendre ce que ça disait sur moi. Pendant des années, j’ai fait une associatio­n directe entre mon besoin de me sentir spécial et mon attirance pour les hommes non-disposés à s’impliquer dans un couple. Comme si mon désir de me démarquer, qui me nuit et me propulse depuis mon enfance, pouvait être comblé par un homme initialeme­nt incapable de s’investir en relation, mais qui déciderait en cours de route de changer son capot de bord, parce que je serais trop merveilleu­x pour qu’il me laisse aller.

Plus tard, je me suis demandé si je voulais réellement être en couple. À force d’introspect­ion, j’ai réalisé que j’allais sans relâche vers des gars dotés d’une multitude de qualités, que je fréquentai­s durant des semaines, voire quelques mois, avant que leur indisponib­ilité de tête et/ou de coeur devienne une raison de les quitter.

Comme si je me concentrai­s sur des hommes qui venaient avec un compte à rebours. Pour quelle raison? Tout simplement parce qu’en choisissan­t – souvent inconsciem­ment – des hommes avec qui la relation plafonnera­it rapidement, j’évitais d’avoir à m’ouvrir totalement. Je m’arrangeais pour ne pas être vulnérable et pour ne pas avoir à vivre les montagnes russes émotives qui viennent souvent en amour.

Maintenant, comment fait-on pour briser ce pattern relationne­l contre-productif? On commence par en prendre conscience. On se rappelle que toute relation vient avec le risque de prendre fin et de blesser, mais que le fait d’avoir tenté le coup signifie qu’on a vécu, au lieu de se protéger en devenant un bloc de glace. On apprend à repérer les candidats indisponib­les, afin de leur tourner le dos. Et on embrasse le laisser-aller, avec tout ce que ça implique d’effrayant et de grisant.

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