Fugues

Un formidable roman de l’Acadien Pierre-André Doucet

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Des dick pics sous les étoiles, c’est la deuxième publicatio­n absolument exal tante del’ écriv ai net pianiste Pierre-André Doucet. C’est un roman qui marie le français normatif dans la narration et la poésie jouissive du chiac dans les dialogues. Et c’est surtout le parcours de Marc, un jeune Acadien qui retourne vivre à Moncton chez sa soeur après des années d’études à Montréal… et un coup de foudre inattendu avec un certain Marc-Antoine, globetrott­er parti en voyage un peu partout en Amérique. Fugues s’est entretenu avec son auteur.

Commençons en parlant de l’usage du chiac dans dialogues. Qu’est-ce que ça signifie pour toi de donner un aussi bel espace à la façon de s’exprimer de plusieurs Acadiens dans la littératur­e?

C’est quelque chose qui me tenait vraiment à coeur. Pour moi, ce serait un non-sens qu’un personnage dans la mi-vingtaine originaire de Moncton s’exprime dans un français internatio­nal. Moncton est une ville bilingue et biculturel­le qui compte plusieurs foyers dont les parents parlent chaque langue. Le switch des langues est très commun. C’était important pour moi de refléter cette culture-là, sans que ce soit gratuit et sans qu’on le folklorise. On a tous des couleurs régionales que je trouve très importante­s et qui dénotent beaucoup sur les personnage­s. C’est un aspect que j’ai énormément retravaill­é durant mon processus d’écriture.

Le roman est également entrecoupé de courts échanges sur Grindr très crédibles. Que voulais-tu illustrer?

Je cherchais entre autres à véhiculer comment les conversati­ons sur Grindr sont différente­s aux deux endroits. À Moncton, il y a seulement une couple de centaines d’usagers et on a rapidement fait le tour. Donc, c’est moins une histoire de «Hey, on fourre-tu?» que «Qu’estce que tu fais? T’es nouveau dans la région? Tu restes combien de temps?». Ça ressemble beaucoup plus à un smalltowng­aybar qu’à un lieu de rencontres au caractère utilitaire.

Au début du roman, Marc termine une période de sa vie vécue à Montréal. On retrouve d’ailleurs quelques prises de position sur le choc des cultures dans le livre. Comment les Acadiens sont traités au Québec?

J’ai habité Montréal entre 2007 à 2018. Les choses ont changé avec le temps, probableme­nt à cause de la vague d’artistes acadiens en musique, comme Lisa LeBlanc, Radio Radio et Les Hay Babies. Entre Acadiens, on se dit souvent que le Québec redécouvre l’Acadie tous les 10 ans… Mais pour répondre à ta question, oui, ça m’est arrivé de vivre des expérience­s choquantes. Durant mes premiers jours d’école, une fille a remarqué que je parlais français. Quand je lui ai dit que je venais du Nouveau-Brunswick et que je vivais à Montréal depuis trois semaines, elle a dit qu’elle n’en revenait pas que mon français soit rendu si bon… Pourtant, j’ai été élevé en français, je suis allé à l’école en français et si on faisait une dictée PGL, je vais sûrement te smoker! J’ai un gros accent et j’ai fait le choix de ne pas le perdre durant toutes mes années à Montréal.

Était-ce une expérience plus négative que positive?

J’ai aimé beaucoup de choses au Québec. C’est une société ouverte, progressis­te et cosmopolit­e. Pendant longtemps, j’ai eu un chum québécois, et nos différence­s culturelle­s étaient une grande source d’échanges, d’apprentiss­ages et de croissance pour nous deux. Par contre, je trouvais ça difficile de constater qu’à tous les jours, j’interagiss­ais avec au moins une personne qui me faisait remarquer que je ne venais pas du Québec. Ça me peine de le dire. Les gens n’étaient pas mal intentionn­és ni malicieux, mais souvent, quand ils me disaient qu’ils aimaient mon accent, ce n’était pas une façon de dire que je parlais mal, mais ils mettaient de l’avant que je ne venais pas d’icitte. Ça nous réduit à une espèce de folklore de nous-mêmes.

Quel genre de relation voulais-tu établir entre Marc et Marc-Antoine?

Ils représente­nt un peu la beauté qu’on retrouve dans quelque chose d’imprévisib­le et qu’on ne cherche pas. Je voulais les voir s’apprivoise­r et apprendre à se connaître rapidement, avant d’essayer de gérer la distance entre eux, en les regardant vivre et évoluer. C’était important pour moi que cette flamme qui les anime et cette relation qui les unit viennent un peu de nulle part. Au début, je pensais que le roman raconterai­t leur histoire d’amour, mais après quelques années à laisser les personnage­s m’habiter, je me suis rendu compte que je voulais surtout me concentrer sur Marc.

Tu suis principale­ment sa quête pour devenir moins girouette et faire en sorte que sa vie démarre?

Tout à fait. Marc se cherche une direction. Souvent, il a fait des choix qui lui paraissaie­nt évidents et qui le dérangeaie­nt moins, alors que son retour à Moncton était à peu près la seule option viable. Ce contexte-là ne lui permet pas vraiment de s’investir à fond dans quelque chose. En parallèle, l’histoire avec Marc-Antoine éveille chez lui le désir de se brancher. Ça lui prend tout le roman pour préciser ce qu’il veut dans sa vie.

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