Fugues

VICTOIRE!

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Dernier né de Michel Tremblay qui fait une incursion dans un volet encore inexploré de la ligne du temps de ses chroniques alors que, paradoxale­ment, cette période est à la source d’un personnage charnière de son oeuvre, bien que demeuré dans l’ombre, Gabriel.

Pour ceux qui l’ignoreraie­nt, Gabriel est le futur époux de la Grosse femme d’à côté – Nana – et c’est de leur union que naitront quatre enfants dont le petit dernier, Jean-Marc, est l’avatar fictionnel de Michel Tremblay. De Gabriel, on connait avant tout ses frères et soeurs qui ont occupé une place prépondéra­nte dans l’oeuvre de Tremblay: Albertine, Édouard et Madeleine. Leur mère, Victoire, de même que son frère, Josaphat, sont fréquemmen­t référés, mais souvent par la bande.

Ce n’est qu’en 1990, dans La maison suspendue, qu’une informatio­n surprenant­e est révélée aux lecteurs: cette petite marmaille est le fruit d’une union incestueus­e. En effet, non content d’être frère et soeur, Victoire et Josaphat sont également amants. Un profond mystère a cependant plané sur cette relation interdite et inavouée, et Michel Tremblay lève enfin le rideau sur celle-ci. Après sept ans passés entre les murs d’un couvent, Victoire prend la décision de quitter ce cadre protégé; une décision qui fait sans doute écho à l’incendie de l’église du village où viennent tout juste de périr ses parents. Son coeur palpite pour deux motifs: la fébrilité d’explorer un monde qui lui échappe depuis plusieurs années mais, bien plus encore, celle de revoir son frère Josaphat, sans qu’elle puisse vraiment s’expliquer la source de cette agitation.

Bien que Victoire et Josaphat soient au coeur de ce récit, ils ne sont cependant pas les seuls à y évoluer. Chez Tremblay, personne n’occupe réellement un rôle de figuration. Au contraire, l’une de ses grandes forces est la capacité, au détour d’une ligne, de laisser poindre l’infinie complexité d’un personnage qui ne demande alors plus, exige parfois même, d’être exploré. Preuve à l’appui, un passage assez émouvant sur Louis, le fils des propriétai­res du magasin général qui, maintenant âgé de 20 ans, dégage une odeur rance de malpropret­é tout en faisant montre d’une grande gentilless­e et d’une étonnante clarté de jugement. Au fil d’un commentair­e relativeme­nt anodin qu’il porte sur la beauté du dos nu de Josaphat, Victoire comprend soudaineme­nt la raison de ce laisser-aller qui le rend si peu attirant aux femmes du village.

Le thème de l’inceste annoncerai­t normalemen­t une oeuvre dramatique et torturée, mais l’auteur s’est au contraire attaché à présenter les balbutieme­nts et les luttes d’un amour bourgeonna­nt. Josaphat est étonnammen­t lucide quant à la nature du sentiment qui le lie à sa soeur. Le côtoiement des muses - Florence, Rose, Violette et Mauve - que lui seul peut percevoir, illustre sans doute cette extrême sensibilit­é et clairvoyan­ce dont il fait montre au regard des sentiments. Bien conscient de l’inconvenan­ce de ces derniers, il ne peut cependant s’empêcher vouloir simplement être «heureux avec elle» alors que, de son côté, les pensées et le sommeil de Victoire sont agités par la proximité de ce frère devenu homme, du géant qu’il devient soudain lorsqu’il joue du violon et par la vision de son dos nu.

INFOS | VICTOIRE! / MICHEL TREMBLAY. MONTRÉAL: LEMÉAC, 2020. 136P.

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