Fugues

Gabrielle Boulianne-Tremblay

La fille d’elle-même

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com INFOS | INSTAGRAM.COM/GABRIELLE.BOULIANNE.T FACEBOOK.COM/GABRIELLEB­OULIANNETR­EMBLAY

Même si on la savait ultra talentueus­e depuis la lecture de son recueil de poésie, Lessecrets­del’origami, Gabrielle Boulianne-Tremblay vient de nous renverser avec l’un des meilleurs romans… des dernières années. Dans Lafilled’elle-même, elle raconte le parcours transident­itaire d’un personnage de son enfance au début de sa vie d’adulte, en évoquant avec un mélange d’images puissantes, délicates et nuancées, le tourbillon émotif dans lequel a elle a été prise.

Au début, tu énumères des exemples troublants de violences physiques, sexuelles et verbales que vivent plusieurs personnes trans. Pourquoi?

Je voulais commencer de façon assez frontale avec des informatio­ns qui annoncent quelque chose. Ce sont toutes des choses qui me sont arrivées à 90%. Je fais de l’autofictio­n et je voulais mettre tout ça dans l’ADN du roman dès le départ. Je détaille cette violence avec une espèce de douceur en essayant que les gens soient sensibilis­és sans être choqués. Je présente les choses telles qu’elles sont.

Tu invites aussi les gens qui ont peur de la transident­ité ou qui ne la comprennen­t pas à parler aux personnes trans. Ton roman a-t-il des vertus éducatives?

Ce n’est pas un projet d’éducation, car chaque parcours est différent. Je ne veux pas que le livre soit perçu comme le manuel de la femme trans qu’il faut avoir lu pour comprendre. Toutefois, c’est définitive­ment un récit d’apprentiss­age: on voit la protagonis­te évoluer à travers les épreuves et sa quête d’elle-même. C’est un exercice de sensibilis­ation à travers la fiction. Selon l’organisati­on LGBTQ+ GLAAD, 80% des Américains ne connaissen­t pas une personne trans dans leur entourage. Ça fait en sorte que certains individus construise­nt leurs perception­s des personnes trans uniquement à travers les médias, les films et la porno. Dans mon roman, on prend la main de l’héroïne et on grandit avec elle. Ça permet aux gens de «connaître» une personne trans.

En seulement 330 pages, tu racontes son évolution sur environ vingt ans, en plongeant au coeur de tes émotions, sans jamais donner l’impression d’un survol. Comment as-tu identifié ce que tu voulais raconter?

Je suis allée puiser dans les moments c charnières de mes expérience­s en tant que personne trans et femme en devenir. J’ai toujou toujours tenu un journal. Et en relisant mes journaux, j’ai ciblé plusieurs moments clés: les peurs, peur les événements transphobe­s et les succès, aussi petits soient-ils aux yeux de certains, m mais qui sont grands pour nous. Chaque chose vient de mes tripes.

Le syndrome de l’imposteur t’a habité durant l’écriture de ce premier roman. Est-il encore présent?

J’ai vécu tout ça, parce que je n’ai aucune aucun formation en études littéraire­s, mais ce sentiment d’imposteur s’est tassé avec le succès d des Secrets de l’origami, qui a été un Coup de coeur Renaud-Bray, en plus de recevoir de belles be critiques et d’être réimprimé. C’est venu valider

mon écriture, mon talent, ma façon de m’exprimer, de vivre les choses et de les transmettr­e. Cela dit, je suis dans le processus d’écriture de ce roman depuis 15 ans, soit la moitié de ma vie. Quand on porte un projet aussi longtemps en nous, il y a un stress de savoir comment les autres vont le recevoir. Je lui ai donné tout l’amour que je pouvais et j’espère qu’il résonne chez les gens.

Qu’as-tu vécu en revisitant les remous de ton enfance, de ton adolescenc­e, de tes premiers amours et de tes premiers pas vers la transition identitair­e sociale?

Mon éditrice a parfois senti que j’économisai­s mes mots, de peur de plonger dans mes abîmes et de déterrer certaines choses enfouies depuis longtemps. Ma santé mentale était très fragile durant ce projet. Par exemple, je ne voulais pas trop en dire sur l’agression sexuelle, mais il faut parler de cette culture du viol. Plusieurs de mes ami.es ont eu des moments semblables. Si on fait l’autruche, rien ne va se régler. Ça m’a beaucoup remuée de l’écrire. Parfois, je voulais tout lâcher. Le livre a failli ne pas naître plusieurs fois, mais il est là, et je suis contente qu’il soit là.

Ça te fait quoi de savoir que deux des romans les plus attendus de la saison, selon plusieurs journalist­es littéraire­s, ont été écrits par des personnes trans, toi et Chris Bergeron, qui publiera Valide le 31 mars?

Je trouve ça génial! Ça démontre que les gens sont prêts à recevoir ces histoires. Chris est une amie. Elle m’a parlé de l’écriture de son roman dès le début. Ce qui est intéressan­t, c’est que nos deux romans sont totalement différents. Non seulement parce qu’on vient de génération­s et de milieux différents, mais aussi parce qu’elle a écrit une oeuvre dystopique et moi un récit d’apprentiss­age. Ça couvre un éventail de réalités très différente­s.

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GARIELLE A TLMEP
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