Gabrielle Boulianne-Tremblay
La fille d’elle-même
Même si on la savait ultra talentueuse depuis la lecture de son recueil de poésie, Lessecretsdel’origami, Gabrielle Boulianne-Tremblay vient de nous renverser avec l’un des meilleurs romans… des dernières années. Dans Lafilled’elle-même, elle raconte le parcours transidentitaire d’un personnage de son enfance au début de sa vie d’adulte, en évoquant avec un mélange d’images puissantes, délicates et nuancées, le tourbillon émotif dans lequel a elle a été prise.
Au début, tu énumères des exemples troublants de violences physiques, sexuelles et verbales que vivent plusieurs personnes trans. Pourquoi?
Je voulais commencer de façon assez frontale avec des informations qui annoncent quelque chose. Ce sont toutes des choses qui me sont arrivées à 90%. Je fais de l’autofiction et je voulais mettre tout ça dans l’ADN du roman dès le départ. Je détaille cette violence avec une espèce de douceur en essayant que les gens soient sensibilisés sans être choqués. Je présente les choses telles qu’elles sont.
Tu invites aussi les gens qui ont peur de la transidentité ou qui ne la comprennent pas à parler aux personnes trans. Ton roman a-t-il des vertus éducatives?
Ce n’est pas un projet d’éducation, car chaque parcours est différent. Je ne veux pas que le livre soit perçu comme le manuel de la femme trans qu’il faut avoir lu pour comprendre. Toutefois, c’est définitivement un récit d’apprentissage: on voit la protagoniste évoluer à travers les épreuves et sa quête d’elle-même. C’est un exercice de sensibilisation à travers la fiction. Selon l’organisation LGBTQ+ GLAAD, 80% des Américains ne connaissent pas une personne trans dans leur entourage. Ça fait en sorte que certains individus construisent leurs perceptions des personnes trans uniquement à travers les médias, les films et la porno. Dans mon roman, on prend la main de l’héroïne et on grandit avec elle. Ça permet aux gens de «connaître» une personne trans.
En seulement 330 pages, tu racontes son évolution sur environ vingt ans, en plongeant au coeur de tes émotions, sans jamais donner l’impression d’un survol. Comment as-tu identifié ce que tu voulais raconter?
Je suis allée puiser dans les moments c charnières de mes expériences en tant que personne trans et femme en devenir. J’ai toujou toujours tenu un journal. Et en relisant mes journaux, j’ai ciblé plusieurs moments clés: les peurs, peur les événements transphobes et les succès, aussi petits soient-ils aux yeux de certains, m mais qui sont grands pour nous. Chaque chose vient de mes tripes.
Le syndrome de l’imposteur t’a habité durant l’écriture de ce premier roman. Est-il encore présent?
J’ai vécu tout ça, parce que je n’ai aucune aucun formation en études littéraires, mais ce sentiment d’imposteur s’est tassé avec le succès d des Secrets de l’origami, qui a été un Coup de coeur Renaud-Bray, en plus de recevoir de belles be critiques et d’être réimprimé. C’est venu valider
mon écriture, mon talent, ma façon de m’exprimer, de vivre les choses et de les transmettre. Cela dit, je suis dans le processus d’écriture de ce roman depuis 15 ans, soit la moitié de ma vie. Quand on porte un projet aussi longtemps en nous, il y a un stress de savoir comment les autres vont le recevoir. Je lui ai donné tout l’amour que je pouvais et j’espère qu’il résonne chez les gens.
Qu’as-tu vécu en revisitant les remous de ton enfance, de ton adolescence, de tes premiers amours et de tes premiers pas vers la transition identitaire sociale?
Mon éditrice a parfois senti que j’économisais mes mots, de peur de plonger dans mes abîmes et de déterrer certaines choses enfouies depuis longtemps. Ma santé mentale était très fragile durant ce projet. Par exemple, je ne voulais pas trop en dire sur l’agression sexuelle, mais il faut parler de cette culture du viol. Plusieurs de mes ami.es ont eu des moments semblables. Si on fait l’autruche, rien ne va se régler. Ça m’a beaucoup remuée de l’écrire. Parfois, je voulais tout lâcher. Le livre a failli ne pas naître plusieurs fois, mais il est là, et je suis contente qu’il soit là.
Ça te fait quoi de savoir que deux des romans les plus attendus de la saison, selon plusieurs journalistes littéraires, ont été écrits par des personnes trans, toi et Chris Bergeron, qui publiera Valide le 31 mars?
Je trouve ça génial! Ça démontre que les gens sont prêts à recevoir ces histoires. Chris est une amie. Elle m’a parlé de l’écriture de son roman dès le début. Ce qui est intéressant, c’est que nos deux romans sont totalement différents. Non seulement parce qu’on vient de générations et de milieux différents, mais aussi parce qu’elle a écrit une oeuvre dystopique et moi un récit d’apprentissage. Ça couvre un éventail de réalités très différentes.