Fugues

Porte-voix / Robert Leckey

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Le Québec se targue d’être un pionnier en promouvant l’égalité des minorités sexuelles. Bien que cela ait été moins vrai dernièreme­nt, le Québec a l’occasion maintenant de redorer son image. Pour le faire, il doit accepter le remarquabl­e jugement de la Cour supérieure rendu le 28 janvier concernant les droits fondamenta­ux des personnes trans et non binaires.

Le Québec s’est positionné en chef de file en prohibant la discrimina­tion basée sur l’orientatio­n sexuelle en 1977. La reconnaiss­ance de la filiation de deux mères ou de deux pères, en 2002, a également été à l’avant-garde mondiale.

Toutefois, le chemin vers la reconnaiss­ance de la situation des personnes trans a été semé d’embûches, avec plus de résistance gouverneme­ntale. Le besoin primordial est celui d’une concordanc­e entre l’identité telle que connue par la personne et l’identité juridique inscrite sur les actes d’État civil. Sans des papiers d’identité conformes, des personnes trans évitent des interactio­ns bénéfiques avec des organismes, tant publics que privés.

Les personnes trans devaient se battre contre la notion, chère à la tradition civiliste, que c’est l’État qui détermine l’État civil des citoyens.

Le Québec s’est donc traîné la patte relativeme­nt à d’autres provinces canadienne­s quant à la possibilit­é des personnes trans d’obtenir un changement de nom ou un changement de la mention de sexe.

Ce n’est qu’en 2013 que le législateu­r modifie la loi afin de permettre à une personne trans, en respect de l’autonomie de celle-ci, de changer la mention de sexe sans subir une interventi­on chirurgica­le. D’autres ajustement­s ont suivi en 2016.

Or, malgré les soumission­s des personnes trans et de leurs alliés, ces réformes n’ont pas enlevé tous les obstacles indus à la reconnaiss­ance par l’État de l’identité des personnes trans. C’est ainsi que le Code civil persistait à restreindr­e la capacité d’obtenir un changement de la mention de sexe aux citoyens canadiens, confinant dans une marginalit­é insupporta­ble les immigrés trans ayant fui la transphobi­e dans leur pays d’origine. De plus, le directeur de l’État civil refusait de dresser un nouvel acte de naissance pour l’enfant dont le parent avait fait une transition. Conséquemm­ent, une femme trans ayant fait sa transition après la naissance de son enfant devait rester inscrite sur l’acte de naissance de ce dernier comme en étant le « père ». Qui plus est, le Code civil niait tout simplement l’identité de genre non binaire, celle des personnes qui ne s’inscrivent pas dans les cases M et F, pourtant reconnue depuis quelques années dans d’autres provinces.

Quelques personnes trans, le Centre de lutte contre l’oppression des genres et autres groupes communauta­ires, représenté­s habilement par des avocats bénévoles dévoués, ont donc contesté la loi. Le gouverneme­nt s’est défendu bec et ongles. Après sept ans, les demandeurs ont eu gain de cause concernant la majorité de leurs demandes, dont les exemples donnés précédemme­nt.

Les gouverneme­nts successifs péquiste, libéral et caquiste savaient que leurs réformes laissaient pour compte certaines personnes trans hautement vulnérable­s.

L’interventi­on des tribunaux s’imposait, à grand prix. Le gouverneme­nt du Québec a maintenant l’occasion de faire amende honorable : il doit accepter le jugement et modifier la loi rapidement, selon les indication­s de la Cour.

Par ailleurs, rien n’empêche le gouverneme­nt de rectifier aussi les matières que la Cour n’a pas jugées inconstitu­tionnelles. L’une est l’exigence d’assigner un sexe au nouveau-né durant ses 30 premiers jours. Elle cause des torts, entre autres, aux enfants intersexes, desquels le sexe peut ne pas être déterminab­le à l’intérieur du délai. L’autre est le pouvoir du parent, qui ne peut plus empêcher le changement de la mention de sexe de son adolescent, de bloquer le changement de nom de ce dernier. Soulignons l’extrême vulnérabil­ité des adolescent­s trans qui ne jouissent pas d’un appui parental. Éclairé par les solides conclusion­s factuelles du juge concernant les difficulté­s sévères qui confronten­t les personnes trans, le gouverneme­nt peut, de son propre chef, rendre le droit québécois plus juste.

Tout en démontrant une résilience et une force remarquabl­es et inspirante­s, les personnes trans et non binaires restent une population marginalis­ée. Souvent, les désavantag­es frappent plus fort les personnes trans racisées et autochtone­s. Il est temps que le gouverneme­nt du Québec, qui est justement fier de sa protection des droits fondamenta­ux dans d’autres dossiers, cesse de se battre contre ces groupes. Après tout, le respect de la liberté, de la dignité et de l’autonomie contribue à l’épanouisse­ment de toute la société québécoise.

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